« Fabulous Fab » : le seul coupable ?

24 Juillet 2013



Lundi 15 juillet, le procès de Fabrice Tourre, l’ex-trader de Goldman Sachs, s’est ouvert à New York. « Fabulous Fab » doit répondre devant une Cour américaine des accusations avancées par la Securities and Exchange Comission (SEC), dans le scandale Abacus. Retour sur un procès révélateur des excès de la finance.


Cinq ans, presque jour pour jour, après le début de la crise des « subprimes », l’ancien « fabuleux » trader de Goldman Sachs se retrouve seul sur le banc des accusés. Soupçonné d’avoir « floué » ses clients, Fabrice Tourre fait l’objet d’une plainte pour « fraude » lors de la vente d’un produit financier baptisé Abacus ayant généré près d’un milliard de dollars de pertes pour les investisseurs lors de l’éclatement de la bulle immobilière.

Genèse de la crise des « subprimes »

À la suite de l’éclatement de la bulle dot.com, en 2001, le président de la Réserve fédérale américaine (FED), Alan Greenspan, a décidé de baisser les taux d’intérêt pour relancer la consommation et donc, par voie de conséquence, la croissance. Dès que le taux d’augmentation des prix de l’immobilier a eu dépassé le taux d’intérêt des emprunts, la bulle immobilière s’est mise en place.

Des ménages non solvables, c’est-à-dire dont la couverture financière était insuffisante, ont alors souscrit des emprunts à taux variable, « mortgage », pour acheter des biens immobiliers. Le risque pour le préteur semblait alors minime puisque le prix de l’immobilier augmentait tous les ans.

Lorsque les ménages se sont retrouvés dans l’incapacité de rembourser leurs crédits, les organismes ont saisi les biens immobiliers pour ensuite les revendre aux enchères. Aux États-Unis, un arrêt de paiement du crédit vous oblige à renoncer à votre bien immobilier, mais, si la vente ne permet pas de recouvrir l’intégralité de la créance, c’est l’organisme qui est perdant dans la transaction. Le bien immobilier est alors un « mortgage » ce qui signifie que l’engagement prend fin lorsque l’obligation est remplie ou lorsque le bien immobilier, utilisé comme garantie pour le prêt, est revendu.

C’est pour cette raison que dès 2005-2006, les organismes préteurs ont tenté de se protéger face aux risques engendrés par cet afflux d’emprunts. Pour se couvrir contre le risque de défaut de paiement, ils ont revendu une partie de ses emprunts par le biais de la titrisation. Cette technique permet aux établissements de crédit de revendre une partie des prêts de la clientèle transformés en titres négociables pour financer les encours d’autres institutions financières. Ces créances « pourries », car non remboursables, se sont rependues, plongeant ainsi le monde dans une crise sans précédent lors de l’éclatement de la bulle immobilière.

Le 18 avril 2010, la SEC, le gendarme américain de la bourse, dépose une plainte contre la banque d’investissement américaine, Goldman Sachs, et un de ses employés Fabrice Tourre. Ils sont accusés d’avoir vendu un produit financier sur base de subprimes, baptisé Abacus, négligeant de mentionner que parallèlement Goldman Sachs avec le hedge fund, et à sa tête John Paulson, spéculaient sur l’éclatement de la bulle immobilière.

Le double pari de Goldman Sachs

Regardons de plus près ce produit « Abacus 2007-AC1 » commercialisé par Goldman Sachs et aujourd’hui au centre des débats.

Le produit Abacus est un CDO, c’est-à-dire un titre représentatif de portefeuille de créances bancaires ou d’instruments financiers. En 2007, pour commercialiser ce nouveau produit financier, Goldman Sachs s’associe à la société ACA Capital.

Dans la présentation faite aux futurs clients, le nom de Fabrice Tourre, affecté à l’équipe de la division des crédits hypothécaires dirigée par Jonathan Egol, n’apparaît qu’une seule fois à l’avant-dernière page du rapport de 66 pages, noyé entre les 15 autres noms d’employés de Goldman Sachs, et les 15 autres personnes de ACA Capital.

Lorsque la SEC se penche sur le dossier Abacus, Goldman Sachs, a tenté d’éviter toutes poursuites. Accusé d’avoir trompé ses clients en pariant parallèlement à la commercialisation d’Abacus sur la chute du marché immobilier, Goldman Sachs se retrouve une nouvelle fois sous le feu des critiques. À l’heure où les bourses s’affolaient, Goldman Sachs s’enrichissait. La banque d’affaires aurait doublement gagné grâce à la vente de ce produit toxique : une fois en touchant les commissions lors de la commercialisation du produit Abacus et une autre fois lors de l’éclatement de la bulle immobilière.

Déjà montrée du doigt lors de la crise de la dette grecque, la banque d’investissement s’est empressée d’ouvrir des négociations avec le gendarme de la bourse se soldant par un règlement amiable de 550 millions de dollars (442 millions d’euros). Des millions de dollars dépensés par Goldman Sachs pour mettre un terme aux poursuites pour fraude présumée sur le marché des CDO, alors qu’elle affiche publiquement depuis le 16 juillet ses résultats du deuxième trimestre de 2013 avec un profit de 1,93 milliard de dollars.

Et, si Fabrice Tourre se retrouve aujourd’hui seul devant la justice américaine, c’est parce que Goldman Sachs, dans les documents transmis au début de l’enquête, n’a pas manqué de remettre un échange de mails entre l’ex-trader et sa copine, puis de les publier avec une traduction en anglais. Le « fabuleux » a commis deux erreurs. D’une part en écrivant des mails personnels de sa boite professionnelle et d’autre part en reconnaissant par écrit que le produit Abacus allait très probablement engendrer une perte pour ses clients. Paradoxe de la justice américaine, nul ne peut être reconnu coupable s’il ne reconnaît pas les faits ou s’il n’y a pas de preuves irréfutables comme des traces écrites.

Le 27 avril 2010, le Frenchy a témoigné devant la sous-commission d’enquête du Sénat des États-Unis. Faisant preuve de la traditionnelle arrogance française, il a refusé de s’excuser tout en continuant de nier les faits. Il se présente devant la Cour américaine en plaidant non coupable.

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