Algérie : Sonatrach, l'affaire qui indigne

Soraya Senouci, correspondante en Algérie
7 Septembre 2013



La société publique Sonatrach n’est autre que le pilier de l’économie algérienne. Sa renommée internationale, ainsi que ces nombreuses filiales présentes dans plusieurs pays, lui permettent d’investir dans différents secteurs. Néanmoins depuis plusieurs mois, les scandales se multiplient et révèlent les pires travers du monde politique algérien.


Crédit Photo -- D.R.
Crédit Photo -- D.R.
Les chiffres d’affaires de la société Sonatrach (Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures) explosent au fil des années, lui permettant de vite gravir les échelons et de faire le poids au niveau international. La compagnie occupe la première place sur le marché africain des hydrocarbures. Depuis 2010, la société Sonatrach fait les gros titres, non pas grâce à ces prouesses économiques, mais par les nombreux scandales, mêlants hauts cadres du gouvernement et de la compagnie dans des affaires de corruption liés aux activités de l'entreprise. Plusieurs « anomalies » ont été constatées concernant les conditions d’exécutions de nombreux contrats très importants.

En 2009, le DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité) a lancé une enquête qui inculpait Mohamed Meziane, à l’époque PDG de Sonatrach, ainsi que ses deux fils, deux de ses vice-présidents et une dizaine d’autres personnes ayant joué un rôle majeur dans ces transactions. Parmi eux, l’ancien PDG de la banque CPA (Crédit Populaire d’Algérie) et son fils, accusés d’avoir reçu des sommes d’argent faramineuses au cours de signatures de différents contrats. Le dossier complet a été monté dans le cadre de l’appel d’offre pour la réalisation de l’autoroute est-ouest. Par ailleurs, Nouria Melliani Mihoubi propriétaire du bureau d’études CAD (Compagnie Africaine de Distribution) a été désigné pour prendre en charge la rénovation du siège social de Sonatrach. Le projet a été surfacturé de plusieurs millions d’euros et a valu à Mihoubi une sévère inculpation.

La justice a procédé à la saisie des biens immobiliers des nombreux inculpés. D’autres affaires ont été mises en lumière : pots-de-vin, blanchiment d’argents, signatures de contrats gré à gré, compte bancaire offshore … Pour faire bonne figure face à l’opinion publique, des peines, bien que faibles, ont été prononcées envers les accusés, mais rien ne les mettra réellement « en danger ».

Le président Abdelaziz Bouteflika ne s'est jamais prononcé clairement sur ces affaires qui entachent son gouvernement. Depuis son premier mandat en 1999, on ne peut que constater les faits : l’un de ces principaux changements a été de faire cesser toutes les activités du Conseil National de l’énergie. Ce dernier était chargé de maintenir la transparence dans les activités de Sonatrach et de veiller à son bon fonctionnement en servant l’intérêt du pays. Peu de temps après, le directeur général de Sonatrach a été remercié pour se voir remplacer par le ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, ancien conseiller et ami d’enfance avec qui Bouteflika a grandi à Oujda, au Maroc. Les obstacles écartés, le gouvernement Bouteflika a pu commencer les affaires : prix du pétrole bradés, démantèlement de la société Sonatrach au profit d’investisseurs étrangers contre des sommes d’argent exorbitantes, mauvaises gestions des fonds publics … Et cela sans qu’aucune institution de contrôle ne puisse intervenir pour les contrer. Pour sauver les apparences, le ministre Chakib Khelil a désigné d’autres PDG à la tête de la société


Le dossier Sonatrach 2 ne cesse d’enfler de jour en jour

Plus récemment, l’affaire dite Sonatrach 2 a éclaté, impliquant l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, relevé de ses fonctions après un remaniement en mars 2010, qui n’est autre que Chakib Khelil. Ce dernier n’était jusqu’à présent guère inquiété malgré la médiatisation du rôle important qu’il avait dans toutes ces affaires. Il a fallu que le parquet de Milan ouvre une enquête sur les activités de Saipem en Algérie, société spécialisée dans la recherche et les forages pétroliers, filiale du groupe ENI (la société nationale italienne des hydrocarbures). Cette enquête, toujours en cours, a conduit aux limogeages des dirigeants d’ENI.  Saipem a été choisie pour gérer le site de forage et de raffinement au nord-ouest de la Wilaya (équivalent d’une collectivité publique territoriale) de Tiaret, après la découverte de gaz naturel dans la région.

Farid Bédjaoui, accusé d’avoir organisé le versement des pots-de-vin, est le principal suspect dans l’affaire. Impliqué, lui aussi, dans l’affaire de l’autoroute est-ouest, il tente de jouer de la position de son oncle Mohamed Bédjaoui, ancien ministre des Affaire Étrangères. Ces dernières années, ces activités frauduleuses l’ont amené à détourner pas moins de 800 millions d’euros qu’il a réinvesti sur le marché immobilier européen. La justice italienne a lancé, à la mi-août, un mandat d’arrêt international à l’encontre de ce dernier.

L’Algérie, face à l’ampleur médiatique et l’intervention d’une justice extérieure, a lancé, à son tour, un mandat d’arrêt international à l’encontre de Farid Bédjaoui, de Chakib Khelil (qui se trouve actuellement aux États-Unis, avec sa femme et ses deux enfants), de Saipem et de Orascom Industries. Les chefs d’inculpations prononcés pour les personnes physiques sont corruption, trafic d'influence, abus de fonction, blanchiment d'argent et direction d'une association de malfaiteurs et d'une organisation criminelle transnationale. D’après les enquêtes menées par la justice italienne, ce contrat était d’une valeur de onze milliards d’euros, avec, à la clé, 197,9 millions d’euros de « commission ». Les noms de Mohamed Meziane et de son fils retentissent de nouveau, ainsi que celui de Mohamed Reda El Hameche, chef de cabinet de l’ancien Président de Sonatrach, accusé d’avoir touché 1,75 million de dollars.  

Le dossier Sonatrach 2 ne cesse d’enfler de jour en jour, éclaboussant les noms de personnalités au pouvoir. L’intervention de la justice italienne a quelque peu forcé le déroulement de cette enquête. Reste maintenant à éclaircir les points les plus sombres de cette affaire qui indigne au plus haut point les Algériens. Sonatrach 2 n’est qu’une affaire parmi tant d’autres. Durant les 14 dernières années, cette société, entre les mains de Chakib Khelil et de ces collaborateurs, a signé une centaine de contrats en lien, direct ou indirect, avec le marché de l’hydrocarbure via les nombreuses filiales spécialisées dans différentes activités.

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