Après trente ans de pouvoir, quel bilan pour Yoweri Museveni ?

Noé Michalon
16 Février 2016



Il est rare qu’il faille regarder aussi loin pour évaluer un bilan présidentiel. Celui du président sortant et candidat à sa réélection, Yoweri Museveni, remonte à 1986 et sa prise de pouvoir par un coup d’État. Trente ans et quelques jours plus tard, le président ougandais l’affirme, il « ne peut pas quitter le pouvoir maintenant, puisque tout ce [qu’il] a planté commence à porter ses fruits ». Son discours, répété à l’envi par ses partisans s’axe autour d’un mot-clé : la paix.


Crédits : Flicker / cc DFID - UK Department for International Development
Crédits : Flicker / cc DFID - UK Department for International Development
Longtemps tourmenté par deux décennies meurtrières de guerre contre l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony, dans le Nord du pays, l’Ouganda ne connaît que depuis quelques années la paix intérieure totale. Les différents conflits de l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) ont vu Yoweri Museveni jouer une influence importante qui lui a permis de jouer les faiseurs de rois au moment de remplacer le Maréchal Mobutu par Laurent Désiré Kabila en 1997, tandis que de nombreux conflits frontaliers ont entretenu les tensions entre les deux pays.

Profitant de l’instabilité dans le Kivu, de nombreux groupes rebelles ont vu le jour et menacé variablement l’Ouganda au cours des années 2000. Les islamistes des Allied Democratic Forces (ADF), à présent pourchassés et quasiment réduits au silence, ont longtemps représenté une menace d’attaques dans l’Ouest ougandais et d’attentats à Kampala. 

Si la paix est intérieure, à l’extérieur M. Museveni fait cependant preuve d’un interventionnisme important, faisant de son pays une puissance régionale incontournable. L’armée ougandaise est partout : ses troupes participent à la guerre civile sud-soudanaise, à la mission de maintien de la paix de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM), à la traque des résidus de la LRA en Centrafrique et des ADF en République Démocratique du Congo.

Le revers de cette puissance affirmée n’est pas pour autant une sérénité à toute épreuve. L’implication ougandaise dans la lutte contre les shebabs somaliens pousse ces derniers à multiplier les attentats. Comme dans la soirée du 11 juillet 2010, où trois bombes explosèrent dans des bars de la capitale, très fréquentés ce jour de finale de coupe du monde de football. Véritable traumatisme national, les attaques tueront 74 personnes et seront à l’origine de règles de sécurité très strictes désormais observées dans la capitale.

Une économie enfin sur pattes

Économiquement, l’Ouganda va mieux, c’est une certitude, et les perspectives sont attrayantes : presque 6% de croissance, des investisseurs en quantité, du pétrole bientôt en exploitation et en quantité dans le Nord-Ouest… Si le taux de pauvreté est tombé à moins de 20% en 2013, les inégalités demeurent importantes, tandis que 80% de la population vit encore de l’agriculture. Peu diversifiée, l’économie ougandaise patine dans le vide et vend ses ressources non-transformées aux investisseurs. Mais le redressement reste spectaculaire après les années difficiles ayant suivi les ajustements structurels des années 1980 et 1990.

La principale satisfaction du président sortant reste en outre celle d’avoir pu atteindre la quasi-totalité des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Même s’il peut lui être reproché d’avoir joué avec les effets de seuil et d’avoir privilégié ces données chiffrées à un résultat plus qualitatif et global, les indicateurs de santé comme l’alphabétisation ont beaucoup progressé sur la dernière décennie. Cité parmi les pays les plus touchés par le SIDA dans les années 1990, l’Ouganda est devenu un exemple en la matière en termes de lutte contre le VIH, passé de 18 à 7,4% de taux de prévalence entre 1992 et 2015.

Sur le plan environnemental, la croissance ne se fait pas sans dommage, non plus. Alors que la forêt de Mabira, à l’est de la capitale, s’est vue largement entamée pour promouvoir le tourisme, le réchauffement climatique met en danger la productive filière café du pays et fait fondre les glaces des monts Rwenzori près de la frontière congolaise.

Une puissance régionale

En dehors des rébellions et des conflits, le bilan de Yoweri Museveni en politique étrangère fait de lui l’acteur est-africain incontournable. Médiateur dans les crises congolaise et burundaise, il est l’un des piliers de la Communauté Est-Africaine (EAC), qui rassemble l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. Encore embryonnaire après plusieurs existences passées, l’organisation régionale se développe depuis plusieurs années sous l’impulsion de son chef d’État le plus ancien, Yoweri Museveni. Un chemin de fer voit le jour entre l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie, tandis que des projets de monnaie unique sont à l’étude.

Les partenaires de l’Ouganda ont su se montrer variés, pour ne pas dire contradictoires ces trois dernières décennies. Mouammar Kadhafi, déjà proche du pays sous Idi Amin Dada, s’est rapproché un peu plus de Kampala jusqu’à sa chute, lors de laquelle Yoweri Museveni avait proposé de lui accorder l’asile diplomatique. Mais les pays occidentaux ne sont pas pour autant rejetés, sinon lorsqu’ils critiquent certaines lois nationales, tandis que la Chine, l'Inde et autres émergents asiatiques ou du Golfe investissent de plus en plus. 

Contempteur invétéré de la Cour Pénale Internationale, le chef de l’État ougandais n’a pas semblé avoir de remord lorsqu’il a autorisé cette dernière à juger les cadres de l’ancienne rébellion de l’Armée de Résistance du Seigneur. Un anti-occidentalisme de façade qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de son voisin et meilleur allié, le Rwandais Paul Kagamé.

Un retour de l’ordre moral

À mesure que le pays s’ouvre au libre-échange, un conservatisme sociétal se propage, porté entre autres par les discours radicaux et influents des pasteurs évangélistes. Si la loi anti-homosexualité a fait la une de la presse internationale à propos de l’Ouganda dès la fin des années 2000, une batterie d’autres textes controversés est portée par la majorité.

Très médiatique, la « loi anti-pornographie  », également surnommée « anti-minijupe », a fait couler beaucoup d’encre en voulant restreindre les parties du corps dévoilées dans l’espace public. Si son application reste modérée, elle a été l’occasion de certaines attaques de femmes dans la rue, déshabillées de force par des inconnus. Une loi sur le VIH controversée est également venue sanctionner plus lourdement « la transmission volontaire du virus du SIDA », tandis que les ONG sont désormais sous le coup d’un nouveau texte qui renforce le contrôle du pouvoir sur elles.

Ces lois, souvent critiquées par les organismes de défense des droits de l’Homme, sont l’émanation d’un rapprochement des cercles du pouvoir des sphères évangéliques, très influentes notamment via la Première Dame Janet Museveni. La plupart du temps financées par des nord-américains au discours néoconservateur, ces églises sont parmi les plus riches du pays et gagnent tous les jours un peu plus de terrain.

Difficile donc d’avoir un point de vue global sur trente ans de pouvoir, marqués tant par la guerre que par la paix, la prospérité et la crise économique. Si ces dernières années sont meilleures, il serait hâtif de les imputer à la seule gouvernance d’un homme aussi influent que contesté et sur lequel l’Occident – et peut-être même les Ougandais – peine à se faire un avis.

Jeudi 18 février, de 5 à 14 heures, suivez le live tweet du premier tour par Le Journal International.

Notez