Belgique, le nucléaire à la rescousse de l’hiver

Victor Béquignon
22 Juin 2015



Comme en 2014, la Belgique risque de manquer d’électricité cet hiver. Pour répondre à ce besoin, l’exploitation des réacteurs nucléaires Doel 1 et Doel 2 a été prolongée de dix ans. Ces prolongations posent la question de la transition énergétique de la Belgique, qui s’est engagée à sortir du nucléaire en 2025. Analyse.


Crédit : Olivier Peulen
Crédit : Olivier Peulen
Les réacteurs nucléaires de Doel 1 et Doel 2 devraient donc pouvoir tourner jusqu’en 2025. Le premier pas a en tous cas été franchi, puisque le Parlement Fédéral belge a voté le 18 juin en faveur de la prolongation de la durée de vie de ces deux réacteurs. Avec ce projet de loi Marie-Christine Mareghem, la Ministre de l’énergie, espère assurer l’approvisionnement électrique belge durant l’hiver 2015. Il s’agit d’éviter toute éventualité d’un « black-out ». Néanmoins, cette prolongation questionne la transition énergétique belge.

Doel 1 était à l’arrêt depuis le 15 février 2015, Doel 2 était censé être arrêté en décembre prochain. La Belgique a décidé en 2003 de sortir progressivement du nucléaire. Cette sortie est fixée à l’horizon 2025. Parmi les sept réacteurs nucléaires que compte la Belgique, Doel 1 et Doel 2 devaient être les premiers à fermer. Mais face à l’urgence, le gouvernement en place a finalement choisi la voie de la prolongation.

Une prolongation conditionnée

La prolongation est loin d’être acquise. Le vote du projet de loi ne représente en effet qu’une première étape avant la reprise effective. Le gouvernement devra d’abord s’accorder avec Electrabel, société propriétaire des deux réacteurs. Electrabel demande notamment une « vision très claire sur les cadres économique et juridique qui accompagneront cette prolongation ». La société estime qu’un programme d’investissement de l’ordre de 700 millions d’euros devra être mis en place pour permettre le redémarrage des deux réacteurs.

Le dernier mot reviendra surtout à l’Autorité fédérale de contrôle nucléaire (AFCN). L’AFCN doit en effet statuer si Doel 1 et Doel 2 offrent des garanties de sécurité satisfaisantes en vue d’être relancées. L’Autorité en question prendra le temps qu’elle jugera nécessaire. L’AFCN regarde avant tout « la sûreté et la sécurité du réacteur par rapport aux dangers pour la population et l’environnement, il n’y a pas de question pour l’approvisionnement pour l’hiver qui compte là-dedans ».

Hors de la sphère technique, la prolongation de Doel 1 et Doel 2 a aussi relancé le débat sur l’utilisation du nucléaire sur le territoire belge. Des organisations comme Greenpeace ont notamment fait comprendre qu’elles useraient de tous les recours possibles pour que Doel 1 et Doel 2 ne puissent être relancés. Pour un chercheur et militant comme Michel Huart, cette décision « évoque un constat d’échec d’une décision prise en 2003, il y a douze ans ».

Michel Huart est professeur à l’Université Libre de Bruxelles, et également secrétaire général de l’Apere, association qui promeut l’emploi des énergies renouvelables. Pour M. Huart, cette décision de sortir du nucléaire ne « s’est pas accompagnée des mesures qui s’imposaient », notamment en matière d’alternatives au nucléaire. La Belgique reste en effet très dépendante de ses installations nucléaires du point de vue électrique.

Dépendance nucléaire

Sans la prolongation de Doel 1 et Doel 2, seuls 3 des 7 réacteurs belges auraient été fonctionnels pour l’hiver 2015. Depuis mars 2014, les réacteurs de Doel 3 et Tihange 2 ont aussi dû cesser toute activité. La présence de microfissures dans les cuves des réacteurs a provoqué la fermeture de ces deux centrales pour en tester la sécurité. Bien que Electrabel ait annoncé que Doel 3 et Tihange 2 seraient indisponibles jusqu’en novembre 2015, rien n’assure leur reprise d’ici l’hiver.

L’AFCN est encore une fois la seule instance en mesure de déterminer si Doel 3 et Tihange 2 pourront redémarrer. Le porte-parole de l’Autorité s'est prononcé à ce sujet : « pour le moment nous n'avons pas encore sur la table de rapport de justification [d’Electrabel], pas d'éléments encore suffisants pour pouvoir se prononcer sur le redémarrage ». À noter que l’arrêt de ces deux centrales coûterait 40 millions d’euros par mois à Electrabel, l’exploitant.

L’éventualité que quatre réacteurs sur sept soient hors d’usage aurait été problématique pour la Belgique qui dépend à 47 % du nucléaire pour la production électrique en 2014. Les énergies renouvelables représentent plus ou moins 12 % de la production électrique belge. Le reste émane de l’exploitation d’énergies fossiles comme le charbon ou le gaz naturel. Ces ressources sont néanmoins insuffisantes. Les importations d'électricité représentent également 22 % de la consommation électrique en Belgique en 2014.

Un hiver moins clément menacerait ces exportations, en poussant des pays comme la France ou les Pays-Bas à diminuer les importations vers la Belgique, en donnant la priorité à leur propre marché. C’est ce manque d’électricité qui conduirait la Belgique vers un fameux « black-out », situation où la consommation d’électricité dépasse les capacités de production. Néanmoins, la Belgique s’est dotée en 2005 d’une solution pour parer à cette éventualité par le biais d’un « plan de délestage ».

L’idée serait de priver d’électricité certaines régions du pays durant quelques heures. Les régions en question sont celles les moins densément peuplées. Durant les périodes de grande pénuries, les coupures pourraient s’opérer de 18 à 20 heures. Pour certains spécialistes comme M. Huart, la bonne gestion du réseau électrique nécessite « un équilibre entre producteurs et consommateurs, il faut aussi bien agir des deux cotés de la balance, au niveau de la production, mais aussi mettre en place une réelle maîtrise des consommations d'énergie ».

Des alternatives existaient

Pour Michel Huart, un potentiel black-out semble « exagéré » et sert surtout « à faire avaler la pilule du nucléaire ». La prolongation d’activités à Doel 1 et Doel 2 est selon lui avant tout le souci de l’activité industrielle. Les activités industrielles représentent plus ou moins la moitié de la consommation électrique brute de la Belgique. La prolongation du nucléaire répondrait en conséquence surtout aux besoins de l’industrie.

Michel Huart plaide en faveur du « délestage volontaire rémunéré » de certaines activités industrielles. Cette solution « coûterait moins cher que le fait de rester dans cette instabilité », d’après lui. Il serait donc souhaitable selon M. Huart que « la Belgique prépare ses citoyens à bien réagir en cas de délestage ».

Beaucoup de voix se sont également levées en faveur d’une amélioration des interconnexions avec les pays voisins de la Belgique, comme Greenpeace par exemple. Une amélioration de ces capacités d’interconnexion améliorerait la quantité d’électricité que la Belgique pourrait importer lors du prochain hiver. Tout en sachant qu'Elia, l’entreprise gestionnaire du réseau de transport d’électricité, a déjà opéré un renforcement des interconnexions courant 2015.

L’incertitude autour de la solution nucléaire Doel 1 et Doel 2 subsiste toujours, en gardant à l'esprit que les besoins électriques dépendront finalement de l’hiver. 

Notez