Birmanie : l'éventuelle opportunité de changement

Tadzio Mac Gregor, traduit par Ana Van Bilsen
19 Juillet 2014



Face à l'émergence d'un nouvel ordre mondial dans lequel l'économie est prépondérante et gouverne, où les migrations ne vont plus que du sud vers le nord et où le mot politique n'a plus guère de valeur, nous voyons resurgir des Etats qui pendant de longues décennies avaient rarement été présents dans le cadre du programme éducatif occidental.


Crédit REUTERS/Cathal McNaughton
Crédit REUTERS/Cathal McNaughton
S'il est vrai que certains de ces pays n'avaient guère d'intérêt à figurer dans les livres d'histoire, il faut remarquer que dorénavant cela est en train de prendre un virage radical face aux nouvelles tendances économiques. C'est une question de quelques années. Du fait de la rapidité des métamorphoses se pose l'intérêt de visiter au plus vite l'un de ces pays. 

L'aéroport de Yangon, capitale de la Birmanie, semble être contrôlé de façon omnipotente par un pouvoir supérieur qui superviserait à toute heure tout ce qui serait en dehors du règlement imposé par la junte militaire. Le fonctionnaire des douanes, un général de pantomime homme ou femme, semble essayer de faire avouer aux rares touristes quels sont leurs plans secrets pour renverser le régime militaire. Le pavé couvrant les rues, crevassé, représente un danger permanent pour les piétons, l'internet ne fonctionne que rarement quand on parvient à pouvoir se connecter quelques minutes, la carte SIM d'un téléphone portable coûte en moyenne cent dollars - oui, seulement la carte - et les centrales d'électricité ne fonctionnent que quelques heures par jour comme si elles semblaient vouloir économiser l'énergie pour les lendemains matins. La saison des moussons souligne l'insuffisance d'infrastructures dans le pays et pour le moment, pour des raisons notoires il vaudrait mieux essayer d'éviter de toucher au thème des droits de l'Homme...

Ex-colonie britannique et anciennement annexée à l'Inde comme l'une de ses régions, la Birmanie est actuellement un pays d'inégalités extrêmes où le contrôle politique laisse rarement quoi que ce soit au hasard, un grand bout de planète par ailleurs très beau dans lequel subsiste le régime militaire le plus ancien de l'histoire moderne. Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, s'est convertie il y a plus de vingt ans comme la principale figure de lutte et d'opposition contre l'actuel gouvernement. Suivant les pas de son père qui avait lutté contre l'empire britannique pour l'indépendance de son pays, Suu Kyi a souffert des arrestations domiciliaires permanentes ainsi que d'obstacles graves et très considérables contre son mouvement et contre elle-même.

La Birmanie continue d'être considérée comme le deuxième pays le plus « inhospitalier » si l'on tente de l'ajuster aux tendances mondiales de la globalisation. Par conséquent au monde occidental auquel nous sommes habitués. Ici on ne retrouve pas les grosses annonces de Walmart, de McDonald's ou d'autres multinationales qui sont installées depuis des décennies dans les rues de Mexico, Los Angeles, Sydney ou Paris. Mais il y a peu, la compagnie Coca-Cola y a récemment installée sa première usine laissant la Corée du Nord et Cuba comme les seuls Etats au monde "à ne pas bénéficier d'avantages - terme à controverse selon les principes du lecteur - quant à l acquisition d'eau et de boissons gazeuses produits par la multinationale américaine". Il y a encore quelques années, les seules voitures circulant dans les rues du pays appartenaient uniquement à la plus haute sphère politique.

Ce panorama a commencé à changer de façon drastique en raison de la soudaine décision du gouvernement d'ouvrir ses portes au marché mondial. Quel est son effet et quel intérêt cela aura t-il pour nous ? Probablement aucun, mais dans les années à venir la Birmanie sortira progressivement de l'ombre, sera considérablement représentée dans les médias internationaux, et par conséquent dans nos vies. Le rôle politique et économique du 4ème pays avec la plus grande étendue territoriale du sud-est asiatique après la Chine, l'Inde et l'Indonésie, sera primordial, en particulier en tant qu'intermédiaire commercial entre ses deux voisins, les Indiens et les Chinois.

À Yangon, la Dr Lwin Lwin est témoin des changements subis et à venir. Doctorante en énergie nucléaire et présidente actuelle de l'organisation IGreen, cette femme travaille vigoureusement pour les droits environnementaux que son gouvernement est déterminé à constamment ignorer. La création de son ONG est récente. Lwin Lwin englobe la situation en nous décrivant « qu'il y a quelques années, il était impossible de travailler en raison de l’oppression, on allait directement en prison simplement pour discuter les méthodes du gouvernement. Nous ne pouvions même pas songer à la création de notre propre organisation pour défendre le patrimoine de tous les birmans ».

Aujourd'hui, le gouvernement semble s'être adouci grâce au succès d'Aung San Suu Kyi au sein de la communauté internationale mais poursuit la Dr. Lwin : « le gouvernement n'est pas prêt à discuter avec la société civile. Personnellement, je me suis consacrée pendant de nombreuses années à enseigner l'éducation environnementale aux enfants de mon pays, mais un jour le gouvernement est venu me dire qu'il était interdit de continuer. J'ai alors dû quitter les écoles publiques et j'ai décidé d'aller voir ailleurs. J'ai fini par enseigner dans les temples bouddhistes et chez moi. »

Incursion de la junte dans un bidonville Rohingyas. Crédit DR
Incursion de la junte dans un bidonville Rohingyas. Crédit DR
Economiquement, le pays est enfermé entre deux géants qui cherchent de nouveaux territoires et les ressources nécessaires pour se développer. En 2008, la Chine avait investi 1 milliard de dollars en Birmanie. En 2011, seulement 3 ans plus tard, elle a augmentée ses dépenses à un total de 14 milliards de dollars en se convertissant comme le principal investisseur. L'Inde est devenue lors des dernières années une concurrente de poids, sans parler de la Thaïlande, le puissant voisin au sud. Les ressources nationales des birmans sont énormes et il reste beaucoup à explorer. Par exemple, 70% de la production mondiale de bois de teck, « la mère des bois », unique et précieuse, provient des forêts qui encadrent la frontière avec la Thaïlande, dans le « triangle d'or ». Le rubis birman représente 90% des ventes mondiales de cette pierre précieuse.

La lutte pour le pétrole et le gaz est impressionnante ainsi que pour l'exploitation minière. Des entreprises chinoises contrôlent la quasi-totalité des mines du pays, mais bien sûr, officiellement, la compagnie nationale, Myanmar Economic Cooperation - MEC pour ses sigles en anglais - en assume les responsabilités. Cette même entreprise, avec le soutien du gouvernement militaire, s'occupe d'expulser les individus en quête de chasse au trésor. La docteur Lwin Lwin lutte actuellement pour arriver à faire que la compagnie chinoise Wonn Paung Co, avec la MEC, ne violent pas les droits des locaux dans l'un des nouveaux projets miniers au sud du pays ; « nous nous battons pour que les gens connaissent les intentions pour lesquelles ils se font déloger de leurs terres. On les récompensent dûment pour la perte de leurs terres. Des terres qui ont été récupérées au cour de l'indépendance coloniale britannique, des terres fertiles qui appartenaient à leurs parents et grands-parents et que dans l'avenir doivent continuer à appartenir à leurs enfants et non pas aux entreprises étrangères. Dans notre pays, toutes les décisions sont prises par le gouvernement birman, clairement sous l'influence des grandes multinationales. C'est tout nouveau pour nous... mais vraiment, cette nouvelle économie libérale est devenue une nouvelle forme de colonialisme ».

En 2011, Wikileaks à publié des documents qui mettaient à nouveau les Etats-Unis sous la loupe internationale mais cette fois pour s'opposer à l'un des projets les plus importants dans toute l'Asie du sud-est, la centrale hydroélectrique de l'Irrawaddy, le fleuve le plus important de la Birmanie. Financée par des fonds chinois, la centrale fera bénéficier avec plus de 75% de toute l'énergie produite, non pas le pays hôte de cette production, mais la Chine. Cela a provoqué des conflits majeurs dans la région, où la guérilla locale a été curieusement soutenue par des fonds américains. La méthode pour y parvenir n'est pas encore claire  -armes, incitations - l'objectif lui, est plutôt évident ; ne pas permettre que l'une des nouvelles pièces angulaires de la géopolitique mondiale tombe si facilement entre les mains des rivaux historiques. Parallèlement, le président Barack Obama a décidé de réduire l'intensité de l'embargo commercial que les Etats Unis ont maintenu pendant des années contre la Birmanie sous l'argument - ou prétexte - que le pays aujourd'hui est enfin sur la bonne voie pour un réel changement démocratique. Il ne serait pas surprenant de voir la Russie bientôt entrer dans le jeu si elle n'est pas déjà en train d'y participer bien plus discrètement.

L'histoire de ce pays jusqu'à aujourd'hui est l'une de celles qui valent la peine d’être écoutées et suivies. Un endroit presque secret, plein de mystère et caché par une forêt dense dans laquelle George Orwell et Rudyard Kipling se sont aventurés aux XIXème et XXème siècles. Une terre magique qui aujourd'hui, parvient à sortir à la lumière. Mais aussi un nouveau champ de bataille pour ceux qui cherchent la survie à travers l'hégémonie.

« Voici la Birmanie » écrivait merveilleusement Kipling, « un pays qui sera différent de tous ceux que tu connais ». Un peu plus de cent ans après, il semble difficile d'améliorer la description qu'il en faisait alors. La Birmanie continue d'être un lieu en dehors de ce monde. Mais pendant combien de temps encore ?

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