Bosnie-Herzégovine : les défis de l'éducation

5 Avril 2013



Alors que la France planche sur une refonte du système scolaire, la Bosnie cherche à réinventer son école pour éloigner le spectre de la guerre. Une réforme est nécessaire mais se heurte à de nombreux obstacles. Ségrégation, multiculturalisme, laïcité, à quoi doit ressembler l’école et la société de demain ?


Crédits photos — Reuters/Dado Ruvic
Crédits photos — Reuters/Dado Ruvic
La France a une mauvaise opinion de son système éducatif, la Bosnie-Herzégovine en a peur. Car là-bas, parler de l’avenir de l’éducation c’est s’aventurer en terrain dangereux. L’an dernier, le ministre de l’Education du canton de Sarajevo a dû revenir sur la mesure phare de sa campagne : la suppression des notes du cours de religion dans l’évaluation des élèves. Lui et sa famille étaient menacés de mort. Cette mesure devait permettre de supprimer la discrimination qui s’exerce de fait envers les élèves ne participant pas au cours de religion. Des autorités religieuses avaient lancé une fatwa contre l’ancien ministre. Un exemple parmi d’autres des tensions que peut susciter la question scolaire. Une question qui est celle de l’avenir des enfants et de l’avenir des communautés bosniaque, croate et serbe qui cohabitent en Bosnie-Herzégovine dans un climat encore tendu, 15 ans après la fin des conflits.

« Deux écoles sous le même toit »

Sous protectorat international officieux, la Bosnie-Herzégovine s’est vu contrainte d’accélérer les mesures pour réunifier les groupes ethniques. Face aux réticences, le compromis adopté en 2000 était la politique de « Deux écoles, sous le même toit». Insufflé dans les cantons mixtes bosno-croates, cette politique devait inciter les réfugiés à revenir chez eux. Pensée temporaire, elle devait permettre de contrebalancer le nettoyage ethnique effectué pendant la guerre. Concrètement, il s’agit de rassembler dans les mêmes locaux deux institutions scolaires, une pour chaque communauté. C’est-à-dire deux directeurs, deux salles de professeurs, deux plages horaires pour les récréations, parfois même deux portes d’entrée… Pour des enfants vivants dans le même quartier. Ce système doit garantir l’accès à l’éducation pour tous dans les régions où les tensions restent fortes.

La population est partagée entre les partisans de ce statut quo et les défenseurs de l’école mixte qui considèrent que le système actuel est une absurdité qui gâche la vie de leurs enfants, créant des distinctions là où eux-mêmes n’en voient pas. La communauté internationale a dénoncé ce système ségrégatif. Certains politiques en Bosnie rétorquent que c’est un garant de la paix, qui d’ailleurs, ajoutent-ils, existe ailleurs en Europe (en Espagne et en Belgique par exemple).

Les écoles laïques

Le gouvernement tente cependant d’abandonner ce système de ségrégation scolaire pour un modèle multiculturel et laïque, sans grand succès ni grande conviction pour l’instant. On prévoit de supprimer progressivement le système de « deux écoles sous le même toit ».

La première mesure consiste à rapprocher les deux administrations en une seule entité. Pour le rassemblement des élèves, il faudra encore attendre. Les rares écoles mixtes et laïques se révèlent pourtant fructueuses, mais de nombreuses barrières religieuses et politiques freinent le processus.

A Mostar, capitale de l’Herzégovine, un lycée prône la laïcité et la mixité, et se pose en modèle. Pourtant, les seules matières où se mélangent Croates et Bosniaques sont l’informatique et le sport en option, soit quelques heures seulement. En cause, des programmes de langue et d’histoire différents. Le serbo-croate, rapprochement des deux langues cousines prôné sous Tito, n’est plus de mise. Bien qu’ils se comprennent, les Croates et les Bosniaques utilisent chacun un alphabet différent, latin et cyrillique.

Un pays : trois programmes d’histoire

La question de l’apprentissage de l’histoire est la plus épineuse dans le processus de mixité scolaire. Les défenseurs du système actuel craignent que l’histoire défendue par la communauté majoritaire de chaque canton ne devienne l’histoire officielle. La peur de la minorité, variable d’un canton à l’autre, voire d’une ville à l’autre, empêche tout changement radical. L’enjeu est crucial, c’est celui de la mémoire. Chaque camp revendique sa légitimité, son statut de victime pendant la guerre, son autorité à travers les siècles. L’histoire de chaque période de cette région peut devenir l’objet d’instrumentalisations. Pour créer un programme laïque, il va falloir réunir les parties et se mettre d’accord pour une histoire officielle. Mission impossible ? Peut-être, mais passage obligé pour que la paix s’installe.

L’école laïque prônée par le gouvernement est encore loin d’être une réalité. Et pourtant c’est une nécessité. Dans un pays déchiré par les luttes ethniques, confessionnelles, fratricides, qui vient de commémorer les 15 ans du massacre de Srebrenica en répétant « Que Srebrenica ne se reproduise jamais, pour personne et nulle part », la paix fragile passe par la construction d’un avenir commun. L’école construit les Hommes de demain mais les directives scolaires sont celles de ceux d’aujourd’hui... Et dans le cas présent des Hommes d’hier, ceux qui ont vécu la guerre de Bosnie. Les enfants d’aujourd’hui n’ont pas les rancœurs de leurs parents, mais ces rancœurs se communiqueront d’une génération à l’autre si les communautés continuent à vivre séparées, entretenant la haine de l’autre. Le baiser serbo-croate qui a fait le tour de la toile est le symbole d’une jeunesse qui veut tourner la page, encore faut-il lui en laisser la possibilité.

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur