Brésil : Favela, danse et espoir

Laetitia Rossi, correspondante à Rio de Janeiro, Brésil
29 Octobre 2014



Rio de Janeiro, samedi 18 octobre. A quelques pas des célèbres plages d’Ipanema et Copacabana, avait lieu dans un établissement scolaire de la favela de Cantagalo, la 2e édition du festival de danses urbaines Favela em Dança. L’objectif ? Valoriser les interventions artistiques dans les quartiers populaires et mettre en avant la culture locale.


Crédit DR
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L’événement, totalement gratuit, s’adressait aussi bien aux danseurs professionnels qu’aux amateurs ou encore aux simples curieux. L’idée était de susciter intérêt et participation chez les jeunes habitants de la favela pour l’art, en mêlant danses locales et importées. Cocktail réussi : hip-hop, krump, breakdance et passinho – danse locale - étaient au rendez-vous du matin au soir.

A chaque danse sa compétition

Dix heures du matin, heure officielle d’ouverture du festival, une quinzaine de danseurs étaient déjà présents sur la piste de danse s’échauffant au son des grands classiques du hip-hop, sous les yeux des enfants du quartier. A l’entrée de l’établissement, les futurs participants faisaient la queue pour s’inscrire aux battles – ouverts à tous. 

Crédit Laetitia Rossi
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Une heure plus tard, le hangar plein et les danseurs échauffés, la pré-sélection débutait. C’est le Passinho qui ouvra le bal. Cette danse, née dans les favelas et issue de la scène funk carioca –  qui signifie originaire de Rio – a connu un succès phénoménal dans toute la ville après qu’une vidéo d’un groupe de jeunes, Passinho Foda, a été publiée en 2008 sur Youtube. Les participants à la première étape de la compétition étaient une vingtaine, des enfants pour la plupart, nu pieds, et d’une agilité à en couper le souffle. Le plus jeune d’entre eux avait 4 ans et déjà tout d’un danseur : du rythme dans la peau jusqu’à l’attitude. La foule était en ébullition. Le jury en sélectionnait 8 parmi les 20 concurrents pour l’étape suivante : les batalhas – battles.

Vint ensuite le tour du krump : danseurs comme public étaient déchaînés. Cette danse née dans les années 1990 au cœur des quartiers populaires de Los Angeles, non-violente malgré ses mouvements en apparence agressifs et l’expression de la rage qui peut se lire parfois sur les visages des danseurs, est électrisante. Tellement électrisante que la piste de danse n’avait de cesse de rétrécir à mesure que le public, incapable de rester passif face à tant d’énergie, se rapprochait des participants. Une fois les pré-sélectionnés désignés par le jury, le krump laissait la place à son cousin, le breakdance. 

Ce style de danse développé à New York dans les années 1970 caractérisé par son aspect acrobatique et ses figures au sol, trouve de nombreux adeptes à Rio. Les participants, pour la plupart, étaient des hommes aux alentours de la vingtaine. Leurs corps paraissaient taillés dans la pierre tant leurs muscles étaient saillants. Rien d’étonnant à cela, vu la hauteur et la rapidité de leurs acrobaties, lesquelles suscitaient chez le public nombre d’exclamations et d'applaudissements.

Une dimension sociale

Crédit Laetitia Rossi
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En début d’après-midi, avait lieu un débat animé par Rodrigo Pires Soninho, danseur professionnel de hip-hop et professeur, Sônia Destri, directrice de la troupe Companhia Urbana de Dança et la médiatrice et membre de l’organisation de Favela em Dança, Ingrid de Carvalho. Les principaux thèmes abordés lors de cette discussion, ouverte au public, étaient les suivants : les enjeux sociaux de l’art et en l’occurrence de la danse au sein des milieux défavorisés ; la danse comme profession ; les moyens d’obtention de fonds publics pour les troupes de danseurs et organisation d’évènements.

Une danseuse de renommée à Rio, Bárbara Lima a soulevé un point intéressant : «  Je suis danseuse, ce que je vends, c’est de la danse, de la danse tout court, pas nécessairement de la danse populaire. J’ai beau venir, comme la majorité d’entre nous, d’un quartier défavorisé, d’une favela, ou de la zone nord de Rio, je suis avant tout danseuse. Vous n’avez pas peur, qu’en mettant en avant « d’où on vient » on nous voit comme des pauvres avant de nous voir comme des danseurs ? Est-ce que c’est quelque chose que vous voulez changer ? »

C’est ensuite Sônia Destri, directrice de la troupe Companhia Urbana de Dança qui a pris le micro, expliquant que les danses urbaines étaient un phénomène récent au Brésil et que si en Europe ou aux Etats-Unis, elles étaient moins associées aux milieux défavorisés que dans le passé car présent depuis plus longtemps, ce processus était encore en cours au Brésil. Elle a ajouté, la voix pleine d’émotion et la larme à l’œil : «  Et vous savez, c’est beau ce que vous réussissez à faire, il faut en être fiers. Rappeler d’où vous venez n’enlève rien à qui vous êtes ».

Après cet indéniable succès,  une 3e édition de Favela em Dança est attendue courant 2015.

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