Carl Schmitt : fin de la culture et crise politique au XXIe siècle

Nieves Meijide, traduit par Aurélie Salignon
31 Août 2013



Carl Schmitt est un grand philosophe et juriste allemand du XXe siècle dont les idées s’imposent de manière particulièrement flagrante au XXIe siècle. Schmitt a évalué la modernité en termes politiques, économiques, techniques, sociologiques et étiques. Cet auteur a aussi été impliqué dans le nationalisme bien qu’il nie toute responsabilité ainsi que toute connaissance des finalités du parti nazi.


Carl Schmitt : fin de la culture et crise politique au XXIe siècle
Accusé de collaboration avec le Troisième Reich, il a été arrêté et emprisonné. Il a fortement critiqué la condition d’ennemi, c'est-à-dire de personne privée de droits, dans laquelle il vivait, ainsi que la validité du tribunal de La Haye. Ce qu’il faut cependant retenir de lui? Sa pensée. Il a réalisé une étude sur la modernité dans tous les domaines, au travers de laquelle il a développé une critique du libéralisme et de la technique, jugés alors responsables de la grande perte de valeurs que nous subissons de nos jours. Quelques unes de ses œuvres les plus importantes sont « La notion du politique » et « Ex captivate salus ».

LA NOTION DU POLITIQUE

Carl Schmitt nous présente une définition existentielle du politique, la majeure partie ne le concerne pas, car la politique n’y apparaît pas. La politique, en elle-même, requiert une relation avec le contexte spatio-temporel dans lequel naissent quelques notions contradictoires, ainsi que des interactions avec l’humain. Ces interactions s’établissent sur la relation entre amis et ennemis. La politique a besoin d’un ennemi public, c’est pour cela qu’elle existe, tire sa force du conflit, de l’humanité et se concentre sur un ennemi commun.

En soi, la politique n’est ni une guerre ni un combat, mais elle présente seulement la possibilité d’une bataille réelle basée sur des idées alternatives de groupes opposés, se positionnant pour leur propre défense. L’unité politique se construit donc à partir d’une association qui s’oppose à un ennemi commun. En cela, la détermination du cas décisif - la différenciation entre amis (qui sont les membres de la dite unité politique) et ennemis (le groupe) - est indispensable et inhérente au politique. L’association qui détermine ce cas décisif, c'est-à-dire à qui appartient le pouvoir de décision, est la souveraineté.

LA TECHNIQUE : FIN DE LA CULTURE

Schmitt considère l’Histoire comme un chemin tracé à travers différentes considérations de l’esprit. Dans la modernité, trois visages de l’esprit ont été établis : le métaphysique-personnaliste du XVIIe siècle, le moral du XVIIIe siècle et le technique des XIXe et XXe siècles. L’ère du capitalisme, celle dans laquelle nous vivons, est caractérisée par l’union de la technique à l’économie à tel point que Schmitt n’a pas appelé ce nouveau domaine « technique » mais « économico-technique ». L’économie dicte l’évolution de la technique.

Selon sa philosophie, cet auteur, fait de l’esprit des « centres de gravité », pour lui, ce sont des entités sur lesquelles se baser pour neutraliser les conflits de chaque époque. Bien qu’elle puisse neutraliser, la technique est incapable d’ouvrir un espace-temps où réside l’esprit, c’est pourquoi Schmitt assure que nous avons subi un processus de sécularisation pour remplacer l’esprit par la technique. Nous pouvons nous détacher de la morale, mais pas de la technique.

En termes schmittiens, les centres de gravité sont des centres de radiation linguistico-culturels ; ainsi que des centres de résolution des problèmes et déterminent l’importance des événements. Ils sont, en tant que tels, des centres de définitions du pouvoir. La technique ne peut offrir un espace à ces questions et pour cela elle est culturellement considérée comme aveugle. L’esprit se manifeste tout au long de l’Histoire par sa capacité à neutraliser les conflits, il dépolitise la sphère précédente en un accord pacifique et la sphère neutralisée s’établit en tant que nouveau centre de gravité, ouvrant ainsi un nouveau terrain de dispute et de politisation. Cependant, la technique promulgue une certaine rationalité instrumentale et objective, elle peut également servir à n’importe quelles fins, peut être utilisée par un communiste, par quelques terroristes en plein désert ou par un millionnaire au Japon. A cause de cela, elle ne compte pas comme un critère, elle ne peut pas politiser. Seul l’argent compte et non les valeurs, c’est pourquoi il est dit que grâce à la technique nous sommes arrivés à la fin de la culture.

LA TECHNIQUE : RELIGION DE MASSE

Autour de la technique s’est forgée une religion de masse, qui consiste à croire que la technique résoudra tous nos problèmes et octroiera, en plus, le pouvoir et le contrôle sur la nature. Le paradis est passé d’un endroit lointain à un lieu établi tout près, dans le monde quotidien. Or, là où existent la foi et la croyance il y a l’esprit. (Pas l’esprit authentique que Schmitt encense et réclame). Un esprit malin et falsifié : l’Antéchrist, qui, bien qu’il rivalise avec le véritable esprit, ne lui ressemble en rien.

Le bonheur et le plaisir spirituel sont aujourd’hui une consommation ; la beauté devient le bon goût ; la paix de l’âme devient une sécurité ; le droit devient le pouvoir. La société s’est sécularisée en essayant d’imiter l’esprit. Le pouvoir dominant est désormais un pouvoir technique, ou de la même façon, un pouvoir économique.

La crise du parlementarisme

Dans ses œuvres, Schmitt parle d’une crise du parlementarisme libéral qui aurait lieu à cause de la non-authenticité de la représentation, malgré leur engagement dans les principes individualistes libéraux de celle-ci, c'est-à-dire, pour les intérêts économiques de groupes précis. Cette critique adressée au parlementarisme fait partie de la critique que le philosophe adresse au libéralisme pour être un mouvement sans qualités pour la politique.

Pour Schmitt, le libéralisme politique n’est pas une théorie au sens positif, bien qu’elle n’ait aucun sens des relations publiques ni de la politique. Tout ce qu’il veut c’est que la souveraineté soit entre de bonnes mains. La lutte politique est devenue une lutte économique. La représentation est quant à elle mise en relation avec la pensée économique.

Le parlementarisme est la forme politique du libéralisme, celle en laquelle le monde libéral voit la représentation publique. Il y avait trois principes de base au parlementarisme de la première moitié du 19e siècle, avant qu’il perde de sa valeur. Le principe de discussion publique, comme manière d’accéder à la vérité ; le principe de publicité pour que les décisions prises par le parlement et leur discussion soit menées à bien en toute transparence ; et le principe de la séparation des pouvoir, l’équilibre clé des pouvoir, pour un bon développement de la politique. Cependant, Schmitt affirme qu’aucun de ces trois principes n’est réellement appliqué.

Les principaux problèmes du parlementarisme, causés par la représentation ont émergé à cause de la démocratie. Dérivé du suffrage universel, non pas l’unité politique que représente le parlement dans le but de contrôler le gouvernement, mais la séparation politique de toutes les classes sociales représentées, c'est-à-dire, la lutte des classes. Ce modèle juridico-privé du peuple ne crée aucune valeur du public car les intérêts économiques et techniques ne sont pas spirituels, c’est pourquoi la représentation, en plus de ne pas être authentique est déléguée.

Le Parlement, au lieu d’être dilué, est resté obsolète si bien que la représentation politique a disparu en faveur de la représentation déléguée des intérêts des classes sociales, ce pour quoi il ne peut incarner l’unité politique de la nation et le peuple ne peut pas non plus générer une conscience d’identité politique car il est divisé. La politique comme conscience est entrée en crise au point de rendre vulnérables ses points fondamentaux en échange d’une foi, ou d’un intérêt massif, en la technique dominée par l’économie.

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