Dans le costume de Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis

Claude-Henry Dinand
15 Février 2016



« De la danse contemporaine à l'énergie nucléaire » tel est le quotidien d'un ambassadeur de France aux États-Unis. Avec plus de 3 600 entreprises implantées et quelques 300 000 expatriés outre-Atlantique, la France entretient avec ce pays la « relation bilatérale la plus intense » de son réseau diplomatique, loin devant celles nouées avec ses voisins du vieux continent que sont le Royaume-Uni et l'Allemagne. Dans son bureau de Washington D.C., Son Excellence Gérard Araud évoque avec le Journal International les différents costumes qu'il est amené à revêtir en tant qu'ambassadeur de France aux États-Unis pour donner de la valeur ajoutée à cette vieille relation qui lie la « France de Voltaire et de Saint-Louis » au Nouveau Monde de Verrazzano et de La Fayette.


Gérard Araud - Crédit Muriel Epailly
Gérard Araud - Crédit Muriel Epailly
Avec une forte communauté française répartie sur un territoire aussi vaste qu'un continent, le rôle de l'ambassadeur est avant tout celui de la formation, du conseil des uns vers les autres et des autres vers les uns. Avec deux sociétés fondées sur des modèles opposés, des conceptions divergentes du rôle et des prérogatives de l'État, les incompréhensions réciproques peuvent s'avérer nombreuses et fréquentes. À ce titre, l'ambassadeur intervient en première ligne pour expliquer le fonctionnement du système américain à la communauté française amenée à interagir avec les institutions des États-Unis. Avec quelques 300 000 compatriotes répartis dans les 50 États américains parmi lesquels les 600 membres des dix consulats généraux, l'ambassadeur est ainsi un informateur privilégié pour la communauté française vivant sur le sol américain.

Interlocuteur de premier plan avec les instances américaines, l'ambassadeur joue également un véritable rôle d'interface entre les administrations françaises et les différents acteurs qui animent la communauté politique et économique aux États-Unis. Ainsi, dans le cadre de la préparation à la COP21 en décembre 2015, l'ambassadeur a pu recueillir progressivement le plein soutien de l'administration Obama, du Congrès et même du secteur privé américain, tout ça en « battant les estrades ». Par ce travail de communication et de prospection, des institutions publiques aux acteurs du privé, en passant par les ONG et communautés scientifiques, le rôle de l'ambassadeur a relevé de l'ordre de la transcription en langage américain des enjeux de cet énième sommet sur l'environnement pour éviter toute confusion avec l'idée d'un simple Kyoto II.

Crédit SimonP
Crédit SimonP
Dans la droite ligne du tournant de la politique de « diplomatie économique » fixée par le ministère des Affaires étrangères, l'ambassadeur joue également le rôle de vecteur d'implantation des entreprises et industries françaises qui veulent jouer leur carte dans l'eldorado américain. « L'avantage d'être ambassadeur c'est d'avoir accès à tout le monde ». Du PDG au directeur de fonds d'investissement, celui-ci dispose des meilleurs réseaux pour soutenir les projets des entrepreneurs français auprès des acteurs économiques américains.

À cela s'ajoute à nouveau le rôle d'informateur sur l'économie française et européenne allant du fonctionnement de la Commission européenne à celui de la loi française sur les 35 heures pour ces acteurs formatés par leur propre modèle. L'ambassadeur tient donc souvent le rôle du « VRP de l'économie française ». Il est régulièrement sollicité pour favoriser l'implantation d'enseignes françaises dans des secteurs allant du tourisme de croisière aux pneumatiques Michelin en passant par la reconversion du plutonium militaire en MOX avec Areva et son site de Savana River implanté en Caroline du Sud.

« Visage de la France », l'ambassadeur est également en charge de l'ensemble de ses relations publiques aux États-Unis. Cette facette peut prendre sur le terrain des « aspects mondains du travail » en partageant, par exemple, une coupe de champagne avec des mannequins au cours d'une soirée de book party sur les relations franco-américaines dans le domaine de la mode. La fonction d'ambassadeur n'en demeure pas moins vectrice de liens dans une société fortement marquée par le « I love France ». Ainsi, si cette sociabilité pourrait sembler désuète pour des jeunes qui se projettent dans une carrière diplomatique, elle reste cependant indispensable dans des réseaux francophiles où les événements successifs, du gala des lycées français aux soirées de fundraising des sociétés de bienfaisance, sont tout autant porteurs du rayonnement de la France à l'étranger.

Gérard Araud - Crédit Seldoon
Gérard Araud - Crédit Seldoon
Quel rôle alors pour la diplomatie dite politique dans tout ça ? Pour la diplomatie telle que l'on se la représente d'ordinaire comme celle des sphères onusiennes qui sauvent le monde au quotidien en passant de la négociation à la résolution des crises. Sur ce point, l'ambassadeur Gérard Araud souligne les évolutions de son rôle vers une diplomatie plus économique que politique. Dans le cadre de telles fonctions auprès de la première puissance mondiale, de l'hegemon longtemps garant de la stabilité économique que sont les États-Unis, l'ambassadeur n'est pas un intermédiaire systématique entre les différents acteurs. Cela s'explique par les moyens de communication modernes du XXIème siècle qui permettent aux instances françaises et américaines d'échanger et de réagir rapidement. Ainsi, dans le cadre de la négociation sur le nucléaire iranien, l'ambassadeur ne prend pas systématiquement « sa canne et son chapeau » pour aller rencontrer les élus du Congrès ou les membres de l'administration fédérale.

Dans ce contexte, si l'ambassadeur reste le représentant direct de la République française aux États-Unis, celui-ci flotte, le plus souvent, au-dessus des enjeux géopolitiques qui sont gérés par l'équipe de diplomates de la Chancellerie politique. « Cerner les priorités, orienter les équipes, donner une cohérence à la pensée » tel est, selon Gérard Araud, le rôle de l'ambassadeur dans la représentation diplomatique de la France. À ce titre, le ministre conseiller, qui a fonction de numéro deux au sein de l'ambassade, anime et encadre l'équipe de ces diplomates alors que l'ambassadeur ne tient qu'un rôle de manager en gardant uniquement un œil sur l'orientation des grands axes pour mieux distinguer « l'accessoire de l'essentiel ». Pourtant, dans le cadre du traitement des grands dossiers qui font l'actualité internationale, l'ambassadeur reprend ponctuellement la casquette du diplomate politique.

Par exemple, dans le cadre de la crise ukrainienne, l'ambassadeur de France aux États-Unis a été sollicité à de nombreuses reprises aux côtés de ses homologues lituanien, britannique et allemand pour défendre la position de la France auprès du Congrès sur la question de la livraison des armes à l'Ukraine. Ainsi, si le traitement de la question ukrainienne s'effectue en général en circuit fermé entre les capitales, l'ambassadeur peut reprendre la main pour porter le bon message dans la mesure où il dispose de ses propres réseaux et affinités sur le terrain. De la même façon, pour le « sujet radioactif » que constitue le nucléaire iranien marqué par le profond désaccord entre le Congrès et l'administration fédérale, l'ambassadeur joue un rôle de premier plan en portant la position de la France. Exercice de haute voltige qui consiste, selon S.E. Gérard Araud, à « rester accroché aux branches alors que les deux crocodiles sont en train de s'affronter dans le même marigot ». Le rôle de l'ambassadeur est parfois proche de celui du médiateur pour tenter d'accorder les positions souvent divergentes des deux institutions politiques américaines.

NB : Cet article a été rédigé à partir de l'interview de S.E Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis, réalisée à l'ambassade de France à Washington D.C. le 25 mars 2015 par Claude-Henry Dinand et Jad Zahab.

Notez