Des réserves indiennes canadiennes en proie à de nombreuses dissensions

21 Septembre 2014



Depuis le XIXème siècle, les Amérindiens d’Amérique du Nord furent obligés de vivre au sein de réserves, abandonnant derrière eux leurs gibiers et leurs terres, appartenant désormais aux gouvernements canadien ou américain. Entre tutelle et autonomie vis-à-vis du gouvernement canadien, les réserves indiennes québécoises tentent de se tailler une part au sein de la société québécoise. Enquête à Kahnawake, réserve indienne proche de Montréal.


Crédit DR
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En Amérique du Nord, les années 1830 ont été marquées par la politique de déplacement des populations amérindiennes vers l’Ouest, appelée l’Indian Removal Act. Dans le cadre de cette déportation, entre 4 000 et 8 000 Cherokee ont trouvé la mort lors de leur déplacement forcé à l’ouest du Mississippi, de 1838 à 1839, déportation qui fut ensuite nommée la Piste des Larmes. Par la suite, les Indiens ont du se cantonner au sein de réserves, installées hors des terres cultivables et rentables. Aujourd’hui, les autochtones sont des communautés minoritaires, composées de onze peuples au Québec, dont la population s’élevait à 98 731 en 2012. Ces différentes nations sont politiquement représentées par une même organisation, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et de la Société Makivik de Kativik qui intervient directement avec les gouvernements québécois et canadien.

L’histoire des Premières Nations n’est malheureusement pas connue de tous. Un des plus gros défis que rencontrent les réserves indiennes vis-à-vis des autres communautés, notamment européenne, est la méconnaissance. Les touristes qui visitent les territoires indiens s’attendent à voir « des tipis, des danseurs, des plumes et des loups comme animal de compagnie. Ils sont surpris de voir que nous avons internet, que nous vivons dans des maisons comme tout le monde » rigole Awiranòron Martin Loft, employé du Centre culturel de Kahnawake.

Les quelques films et séries où figurent des Natives sont assez lointains et caricaturaux : Le Docteur Quinn, Un Indien dans la ville, etc. Cette vision folklorique des Indiens et de leur culture est diffusée aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord. Pour Martin Loft, il est important d’éduquer les touristes qui viennent visiter les réserves, mais aussi les citoyens du monde entier. D’ailleurs, au Québec, depuis quelques années, les universités francophones et anglophones offrent des cours sur les aborigènes par des Indiens, donnant ainsi une perspective Native de la culture indienne.

Des relations avec le gouvernement qui cachent de nombreuses dissensions

Le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord du Canada vise à développer des relations et des partenariats entre les Premières Nations et le gouvernement canadien. Ainsi, ses prérogatives vont des négociations d’accords de revendication territoriale et d’autonomie gouvernementale à la prestation de services sociaux, d’aide financière, et de services d’éducation. En ce qui concerne le statut des Indiens, celui-ci est en partie régi par l’arrêt Harry Daniels, prononcé par la Cour d’appel fédérale du Canada. Le paragraphe 18-2 de cet arrêt concerne le droit des terres, ce qui en fait un article porteur de toutes les dissensions entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral.

« Le ministre peut autoriser l’utilisation des terres dans une réserve aux fins des écoles indiennes, de l’administration d’affaires indiennes, de cimetières indiens, de projets relatifs à la santé des Indiens, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour tout autre objet concernant le bien-être général de la bande, et il peut prendre toutes terres dans une réserve, nécessaires à ces fins, mais lorsque, immédiatement avant cette prise, un Indien particulier avait droit de possession de ces terres, il doit être réservé à cet Indien, pour un semblable usage, une indemnité d’un montant dont peuvent convenir l’Indien et le ministre, ou à défaut d’accord, qui peut être fixé de la manière que détermine ce dernier. » Arrêt Harry Daniels, 1875

Or, dans les faits, l’expropriation des terres Natives ne concerne pas nécessairement le bien-être des Indiens. Prenons par exemple le cas de la réserve indienne Kahnawake. Située à trente minutes de Montréal, la réserve mohawk est traversée par des autoroutes provinciales, des chemins de fer, des lignes HydroQuébec, etc. Au cours des soixante dernières années, de nombreuses communautés autochtones se sont érigées contre la création de la voie maritime du fleuve Saint Laurent. Cette voie maritime permet aux navires provenant de l’océan Atlantique d’atteindre les Grands Lacs américains. Pour mener à bien ce projet, l’Administration de la Voie Maritime a exproprié une partie des terres de la réserve Kahnawake. Outre la perte des terres, cela a entraîné la démolition de logements et la perte d’accessibilité à la rivière. Pour Martin Loft, la voie maritime du Saint-Laurent est l’exemple parfait d’une expropriation qui ne répond pas au bien des Indiens, mais « aux biens du gouvernement, de l’économie et donc du plus grand nombre. C’est l’expropriation des richesses aborigènes ». L’employé du Centre culturel Kahnawake craint que les gouvernements fédéral et provincial ait comme objectif de transformer tous les Indiens en citoyens canadiens et d’éliminer, à long terme, les réserves.

Selon Joe Delaronde, attaché politique au sein du Conseil mohawk de Kahnawake, l’environnement est une autre préoccupation importante pour les Natives, ainsi que la juridiction - les Indiens souhaitent conserver leurs propres prérogatives, choisir ainsi leurs lois, leurs coutumes, leur mode de vie, etc. Mais le principal problème est que le conseil des chefs est souvent dénoncé par les membres de sa propre communauté comme étant la marionnette des autorités gouvernementales.

Retour sur les scandales de cet été…

Dans le cadre des ententes de financement entre le gouvernement canadien et les communautés Natives, les Premières Nations ont l’obligation de présenter leurs états financiers. Toutefois, la nouvelle loi canadienne leur demande pour la première fois de produire leurs budgets en ligne, de sorte que l’information soit disponible et accessible à tous. Cette loi, qui date de cet été, fait suite au scandale à l’égard des rémunérations élevées du chef de la Première Nation Kwikwetiem, Ron Giesbrecht. En effet, le chef de la Première Nation de Colombie-Britannique avait touché plus d’un million de dollars en 2013 - à son salaire de 84 500 $ par an, il recevait une prime de 800 000 $, suite à une entente territoriale avec le gouvernement canadien. Si Ron Giesbrecht est aujourd’hui toujours à la tête du conseil de Kwikwetiem, son salaire a été revu à la baisse.

La réserve Kahnawake est régie par une loi de résidence qui interdit l’installation de non-Indiens au sein du territoire mohawk. Auparavant, lorsqu’une Indienne se mariait à un non Native, elle perdait ses droits et son statut d’Indien, ce qui n’était pas le cas pour les hommes. En 1981, cette loi a été modifiée demandant dorénavant le départ des Indiens en couple mixte des terres mohawk. Et depuis août dernier, deux cent non Natives et Natives en couple mixte ont reçu une lettre leur demandant de quitter au plus vite les terres de la réserve. Si les Indiens concernés peuvent toujours intervenir dans les affaires de la communauté, notamment en votant, amendant ou abrogeant des lois, il leur est toujours interdit de vivre sur la terre de leurs ancêtres.

Enfin, début septembre, le Conseil mohawk de Kahnawake a reçu une lettre notifiant les employés qu’un membre de la communauté avait demandé recours à la Cour fédérale afin d’annuler une loi kahnawake qui le déplaît. Au Conseil, la nouvelle est dure à avaler car non seulement il est permis à tous les membres de la communauté mohawk de participer au système législatif, mais plus encore il s’agit là d’une « remise en cause de l’autonomie de la réserve. Ici, la personne a choisi de faire intervenir une autorité extérieure, de remettre en cause la légitimité du Conseil face au gouvernement canadien », s’insurge Joe Delaronde.

A noter que l’office Kahnawake du ministère canadien des Affaires autochtones a été approché par Le Journal international, mais n’a pas souhaité fournir de commentaires.

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Laurine Benjebria
Ancienne correspondante au Québec puis rédactrice en chef du Journal international. Curieuse,... En savoir plus sur cet auteur