Destination Iran : de Téhéran à Persépolis

Olga Benne
2 Mai 2015



Partie pour un grand voyage entre Paris et Bombay, j’ai découvert l’Iran au mois de novembre dernier. Ce pays complexe et en pleine mutation attire, fascine, intrigue et parfois même, fait peur. Retour sur mes impressions.


Mosquée du chah Isfahan - crédit Regimantas Dannys
Mosquée du chah Isfahan - crédit Regimantas Dannys
Décidés à employer notre moyen de déplacement favori, l’auto-stop, c’est à bord d’un camion que nous quittons Goris, en Arménie. Distraits par la beauté de la route, nous remarquons à peine que nous ne dépassons guère les 40 km/h. Ajoutez à cela les pauses pour boire un chai toutes les 45 minutes, et la nuit tombe bien avant que nous commencions à approcher la frontière.

Une arrivée rocambolesque

Avant d'entrer en Iran pour la première fois, j’ai l’estomac qui se serre. Malgré toutes mes lectures sur ce pays qui m’intéresse depuis longtemps, et pourtant bien prévenue de la légendaire hospitalité du peuple iranien, j'ai peur des contrôles policiers et ai du mal à me faire à l’idée de devoir couvrir mon corps et mes cheveux. En effet, la loi islamique oblige les femmes à porter des vêtements amples, ainsi qu’un hijab, voile couvrant la tête et le cou. De plus, nous arrivons beaucoup plus tard que prévu et ne pourrons pas rejoindre Tabriz, la ville où nous espérions pouvoir passer la nuit. Après avoir fourni nos empreintes digitales, et répondu à un grand nombre de questions étranges, nous voilà débarqués sur le territoire iranien, fatigués et sans trop savoir où aller.
Route entre l'Arménie et l'Iran - crédit Regimantas Dannys
Route entre l'Arménie et l'Iran - crédit Regimantas Dannys

C’est alors que nous rencontrons Mehmet et sa famille, qui nous sauvent de la horde de taxis qui s’est jetée sur nous. Ces derniers ne semblent pas avoir beaucoup de touristes à se mettre sous la dent dans cette région du monde. Mehmet nous propose de nous déposer dans la ville la plus proche, Marand, où nous pourrons probablement trouver un hôtel où dormir. Il ne semble pas beaucoup se soucier que nous soyons sept dans la voiture, en plus de nos gros sacs. Il ne parle pas très bien anglais. Originaire d'Azerbaïdjan oriental, région du nord-ouest iranien, Mehmet parle azéri, une langue appartenant au groupe des langues turques, et farsi, la langue officielle de l’Iran. Mais autant dire que ce n’est pas avec les trois mots que nous avons appris en turc et en persan que nous arrivons à communiquer correctement ! Cela dit, il semble joyeux d’être tombé sur nous. Sa femme nous lance de nombreux sourires depuis son siège à l’avant, et rigole de l’air surpris et un peu perdu qui doit se lire aisément sur nos visages.

Finalement, sans même nous demander notre avis, la famille nous emmène dans sa maison pour y passer la nuit. Cela semble être un geste tout à fait naturel pour Mehmet. Il ne veut même pas entendre le mot « mersi », c’est la moindre des choses selon lui. Sur la route, il prend parfois des détours inattendus. Nous comprendrons plus tard qu’il évite les check-points. La police n’apprécie pas vraiment que les locaux prennent des touristes dans leur véhicule, et encore moins qu’ils les invitent dans leur maison. En bref, elle tente d’empêcher au maximum la communication entre Iraniens et voyageurs étrangers.

Malgré l’heure tardive, nous sommes accueillis comme des rois autour d’un vrai festin. Nous sommes enchantés par les délices des mets iraniens – différents pains, riz, poulet, dattes, chutneys et toutes sortes d’épices aussi délicates les unes que les autres. L’intérieur de la maison est complètement dénué de meubles - nous mangeons, buvons le thé, discutons et nous couchons sur le sol, recouvert de tapis. Cette première nuit en Iran est un parfait avant-goût de ce qui nous attend pour le mois à venir. Je comprends d’ores et déjà que si l’on parvient à éviter les ennuis avec la police, de merveilleuses rencontres et aventures nous attendent.
Téhéran de nuit - Crédit Regimantas Dannys
Téhéran de nuit - Crédit Regimantas Dannys

A la découverte des histoires, des cultures et du savoir-vivre iraniens

Comme Mehmet, les Iraniens sont toujours ravis de tomber sur les quelques touristes venus visiter leur pays. Ils n’ont eu de cesse, tout au long de notre séjour, de nous proposer de l’aide, de vouloir discuter avec nous, ou de nous inviter chez eux. A deux reprises, alors que nous marchions dans la rue, un marchand de fruits nous a littéralement couru après pour nous offrir un sac d’oranges, puis des grenades, tout en nous souhaitant « welcome to Iran my friend ! ».

Dans les rues de Téhéran - Crédit Regimantas Dannys
Dans les rues de Téhéran - Crédit Regimantas Dannys
Après un rapide passage par Tabriz et son fameux grand bazar, nous nous sommes rendus par train de nuit à Téhéran. Malgré l'immensité de la ville, les innombrables chantiers et autoroutes, les embouteillages et la pollution, j’ai adoré Téhéran. C’est une ville d’Histoire, comme en témoignent les nombreux palais que l’on peut y visiter, reflétant les différentes époques et régimes. Les jours de beau temps, que ce soit des rues agitées du sud, ou des parcs plus calmes du nord, il est possible d’apercevoir les majestueuses montagnes qui entourent la mégalopole. On ne peut que tomber sous le charme des plaisirs quotidiens qu’elle peut offrir – tels que de délicieux stands de nourritures de rue qui proposent toutes sortes de kebabs, soupes ou falafels à un prix dérisoire. Téhéran est aussi une ville jeune et moderne, où l’on peut dénicher de nombreux cafés et galeries d’arts. Certes, ces dernières sont contrôlées, mais nous avons pu y voir des œuvres audacieuses que je n’aurais jamais imaginé pouvoir être exposées dans une république islamique autoritaire.

Notre escapade le long de la mer Caspienne nous a ensuite montré un aspect inattendu de l’Iran. Alors que je m’attendais à des paysages désertiques, nous nous sommes retrouvés à observer des monts enneigés et à déambuler dans des paysages verts près du littoral. La charmante ville de Kermanshah nous a donné un aperçu de la culture kurde et de ses traditions. Enfin, les villes du sud, Kashan, Isfahan, Yazd, et Shiraz, sont toutes aussi belles les unes que les autres et font chacune preuve de leur propre caractère. Il est agréable de se promener dans leurs ruelles et de flâner dans les cours intérieures pour profiter de l’ombre en buvant un thé ou en fumant une shisha. La mosquée du Chah et ses milliers de mosaïques , sur le square Naghsh-e Jahan à Isfahan, est tout simplement une merveille architecturale. La ville de Shiraz est quant à elle connue pour son ambiance bohème, ses poètes et ses vignobles. Dans la même région, il est possible de visiter la majestueuse Persépolis.

Enfin, à Yazd, nous avons découvert le zoroastrisme, considéré comme la religion d’essence monothéiste la plus ancienne, majoritaire en Iran avant son déclin lors des conquêtes musulmanes de la Perse au septième siècle après J.C. Si aujourd’hui la plupart des zoroastriens vivent en Inde, les principaux lieux de culte de cette religion se trouvent toujours sur le territoire iranien. Le feu étant respecté en tant qu’incarnation divine, les temples zoroastriens lui sont dédiés. Dans le grand temple de feu de Yazd (âteshkadeh), on peut lire que la flamme sacrée brûle sans interruption depuis l’année 470. Mais nous sommes loin d’avoir tout vu… Soyez-en sûrs, voyager en Iran réserve jour après jour de nouvelles surprises !
Dans les rues de Yazd - crédit Regimantas Dannys
Dans les rues de Yazd - crédit Regimantas Dannys

La République islamique

Bien sûr, il serait malhonnête de parler de l’Iran et de ses merveilles sans par ailleurs décrier les actions de son gouvernement. Depuis la révolution de 1979, les leaders religieux, appelés Ayatollahs, Rouhollah Khomeini puis Ali Khamenei, ont tenu le pays d’une main de fer. On sent inévitablement cette présence quand on est en Iran. Cette ambiance oppressante a été d’autant plus forte que nous sommes arrivés pendant l’Ashura, un festival religieux en l’honneur du martyre Imam Hussein, petit-fils du prophète Muhammad et le troisième des douze imams du chiisme. Pendant dix jours, la population de Téhéran était vêtue de noir et la police était encore plus stricte qu’à son habitude. Les affiches de propagandes nous ont semblé hallucinantes. L’une d’entre elle montrait Barack Obama serrant la main du calife Yazid, responsable de la mort d’Hussein en l’an 680 ! C’est dire si le gouvernement va loin dans la paranoïa, la démagogie et la simplification du conflit qui l’oppose aux pays occidentaux.
Au festival de l'Ashura - crédit Regimantas Dannys
Au festival de l'Ashura - crédit Regimantas Dannys

Avoir à porter le voile en permanence malgré la chaleur n’a également pas cessé de nous rappeler qu'il ne s'agit pas d'un pays libre. Et si beaucoup d’Iraniennes le portent nonchalamment, laissant dépasser leurs cheveux sous un tissu coloré, un événement en plein milieu de notre séjour nous a rappelé froidement qu’il valait mieux ne pas trop nous laisser aller : de mystérieuses attaques à l’acide ont été commises contre des femmes « mal voilées » a Isfahan.
Vue sur Isfahan - crédit Regimantas Dannys
Vue sur Isfahan - crédit Regimantas Dannys

Beaucoup d’encre a coulé suite à l’élection du nouveau président Hassan Rohani en 2013, annonçant un potentiel « adoucissement » du régime. Et il est vrai que le pays s’ouvre progressivement à l’international. Cependant, certains Iraniens avec qui j’ai pu discuter m’ont avoué ne pas être convaincus. Quoi qu’il arrive, lorsqu’il se rend dans les bureaux de votes, le peuple ne peut choisir que des candidats proposés par l’Ayatollah. Sa meilleure option est donc de voter pour le « moins pire », et espérer que les élections ne seront pas truquées. Une fois élu, le président reste toujours sous le contrôle du maître suprême et quelle que soit sa volonté, n’a que très peu de marge de manœuvre. Plusieurs personnes ont même avancé une thèse selon laquelle Rohani aurait été choisi du fait qu’il apparaissait comme plus modéré et que les leaders espéraient calmer les tensions grandissantes suite aux deux mandats consécutifs de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Un moyen de contenter les foules pour quelques temps.

Pourtant, depuis presque deux ans, rien ne semble avoir changé sur le plan intérieur et les libertés des iraniens sont toujours bafouées. L’affaire « Happy Téhéran » en témoigne : les six jeunes ayant publié cette vidéo sur internet ont écopé en septembre dernier de six mois de prison (un an pour le réalisateur) et de 91 coups de fouets chacun. Alors quoi, on n’a pas le droit d’être heureux en Iran ?
Image de propagande - crédit Regimantas Dannys
Image de propagande - crédit Regimantas Dannys

Bienvenue au pays de la débrouille

Grande habituée des conversations idéologiques agitées lors des repas de famille et intéressée par les débats et la politique, j’ai souvent été surprise en voyageant de ne pas rencontrer une si grande motivation pour ces sujets ailleurs que dans les milieux élitistes des capitales. De nombreuses fois, j’ai été confrontée à bien pire : lors d’un passage en Russie, puis à plusieurs reprises en Inde, j’ai pu observer que dans certains contextes les habitants refusaient totalement cette discussion. Ceux qui l’ont fait se sont adressés à moi en baissant le ton, quasiment en murmurant. Au cours de mes voyages, j’ai donc vite compris qu’il n’était pas partout aussi évident qu'en France d’émettre ouvertement des « coups de gueule » contre son gouvernement, voire de discuter politique tout simplement. 
Graffiti dans la capitale - crédit Regimantas Dannys
Graffiti dans la capitale - crédit Regimantas Dannys

Sur ce point cependant, l’Iran ne m’a pas déçue : au contraire, elle m’a donné beaucoup d’espoir. La grande majorité des Iraniens ne sont en effet pas dupes de la propagande opérée par leur gouvernement. Certes, il est inimaginable de crier son opposition en public, mais dès qu’ils se sentent en sécurité, la politique devient leur sujet de conversation préféré. Toutes les personnes avec qui j’ai pu discuter plus de cinq minutes en Iran ont été intéressées par mes opinions politiques et ont souhaité partager les leurs. Tous ont voulu me parler de leur gouvernement et de ses actions – souvent pour les critiquer - mais aussi de politique internationale. D’une manière générale, j’ai trouvé les Iraniens extrêmement cultivés et très bien renseignés. Je les admire pour cela.

Si l’école publique fournit (intentionnellement ?) des cours d’anglais souvent calamiteux, beaucoup maîtrisent cette langue qu’ils ont apprise par eux-mêmes grâce à leurs lectures personnelles, aux informations étrangères qu’ils suivent régulièrement, ou à leurs efforts pour discuter au maximum avec les touristes. A Téhéran, une ancienne tendance francophile m’a même permis d’avoir des conversations dans ma langue maternelle avec beaucoup de personnes rencontrées dans la rue.

Comme la télévision ne montre que des films ou émissions réglementaires ainsi que des discours diffusés en boucle des Mollahs et de l’Ayatollah, nous n’avons quasiment jamais regardé les chaînes officielles dans les maisons où nous avons été accueillis. Nous regardions à la place des chaînes étrangères piratées ou des programmes iraniens produits à Dubaï pour contourner les interdictions. Enfin, les grands sites de communication comme Facebook, interdits en Iran, sont accessibles grâce à des proxys, dont la plupart des Iraniens sont dotés. Ainsi, bien que les informations ne leurs soient pas livrées dans le journal du matin, qu’à cela ne tienne, les Iraniens ont leurs propres réseaux souterrains pour aller les chercher eux-mêmes.
Dans un restaurant - crédit Regimantas Dannys
Dans un restaurant - crédit Regimantas Dannys

Tout marche comme ça en Iran : face au nombre fou d’interdictions, tout est rendu disponible par diverses magouilles. Les choses qui nous paraissent être les plus simples dans notre vie quotidienne en France doivent faire l’objet de stratégies pour être rendues possibles là-bas. Un exemple plutôt marquant est l’un des moyens employés par les jeunes Iraniens pour pouvoir flirter. Alors que garçons et filles sont la plupart du temps séparés à l’école, et qu’il serait mal vu pour une femme de se montrer en public avec un homme ne faisant pas partie de sa famille, il est difficile de faire des rencontres. On estime aujourd’hui que 55 % de la population iranienne a moins de 30 ans, et parmi ces jeunes, beaucoup sont détachés de l’image traditionnelle selon laquelle un homme et une femme ne doivent connaître que leur futur conjoint au cours de leur vie.

J’ai donc découvert que dans toutes les grandes villes d’Iran, une rue est dédiée à la pratique du « Dur Dur ». De nombreux jeunes gens s’y rendent tous les soirs et peuvent passer des heures à y faire des tours en voiture. Voitures de garçons et voitures de filles séparées. Se parlant d’une fenêtre à l’autre, ils font connaissance et échangent leurs numéros pour se donner rendez-vous dans des endroits où ils pourront se rencontrer sans avoir de problèmes avec la police. Ces quelques minutes pendant lesquelles les Iraniens peuvent faire des rencontres en dehors de chez-eux et donc de leur cadre familial, sont très précieuses. Les rues étant surveillées par la police, cet échange a lieu d’une voiture a l’autre afin d’être plus discret et de pouvoir se disperser rapidement en cas de suspicions. Malgré tous ces efforts, les rendez-vous « Dur Dur » changent souvent d’adresse, car une fois la police au courant, aucun cadeau n'est fait. 
Un soir à Téhéran - crédit Regimantas Dannys
Un soir à Téhéran - crédit Regimantas Dannys

Sur les onze maisons à l’intérieur desquelles j’ai eu l’occasion de séjourner, seules deux femmes ont gardé leur voile en la présence de leurs invités masculins. Partout ailleurs, à peine la porte refermée, les jeunes filles retiraient leur voile et manteau, laissant apparaître leurs cheveux, épaules, et parfois jambes découvertes par leurs jupes. Pendant ce temps, les garçons allaient nous chercher un verre d’alcool fait maison (l’alcool étant strictement interdit) pour nous souhaiter la bienvenue. La musique « non conforme » à l’islam est également prohibée, et les femmes ne sont pas autorisées à chanter seules en public. Pourtant, la musique est une part essentielle de la culture iranienne. C’est ainsi que nous avons passé des moments inoubliables à écouter et à se joindre à nos amis qui aiment jouer et chanter. A l’intérieur des maisons ou à la campagne, des fêtes bien plus folles que nos soirées étudiantes en Europe sont régulièrement organisées. Finalement, franchir constamment cette frontière entre l’espace privé et public en Iran donne parfois l’impression d’être schizophrène, car il semble que ces deux mondes n'aient strictement rien en commun.
 
Et le rapport à l’islam dans tout ça ? Si j’ai rencontré beaucoup d’athées convaincus, l’Iran reste un pays empreint de la culture et de la religion musulmane. Notre passage par la ville de pèlerinage pour les chiites, Mashhad, nous l’a confirmé. Mais tous ceux avec qui j’ai pu discuter se revendiquant musulmans et respectant les principes de l’Islam, m’ont déclaré être en profond désaccord avec le régime qui est strict, intolérant et pour certains, pervers. J’aurais aimé avoir l’occasion d’échanger avec un citoyen iranien – non policier – soutenant le gouvernement, afin de mieux comprendre. Mais, malgré mes efforts, je n’en ai pas rencontré !

Il faut changer l’image de l’Iran

A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de discuter des sanctions économiques internationales avec mes amis, qui vivent ces dernières comme une véritable punition envers le peuple iranien. Cela a été un des aspects les plus surprenants durant mon séjour en Iran : je n’avais jamais été avant cela dans un pays complètement fermé à la mondialisation et aux échanges. A Téhéran par exemple, j’ai été surprise de ne voir que deux ou trois modèles de voitures différents parmi les millions de véhicules. Et bien sûr, pas la peine d’imaginer pouvoir retirer de l’argent dans un distributeur en Iran, il faut venir avec du liquide. Ces sanctions ont un effet désastreux sur le quotidien de la population : le coût de la vie augmente de jour en jour (le taux d’inflation s’élevait à 16,2 % en février 2015, contre 0,27 % en France !), et l’économie est dans une impasse. Les Iraniens font également face à une pénurie de médicaments, notamment pour les maladies les plus graves comme le cancer. On assiste par ailleurs à un regain de violence due à la misère.

Si elles visent à montrer le désaccord des pays de l’ouest avec le régime iranien, ces sanctions ont amené les citoyens à être très préoccupés par leur subsistance et leurs besoins basiques. Or, il est bien connu qu’un peuple peut difficilement revendiquer ses droits lorsque sa priorité est de manger. Au final, ces sanctions ont été un véritable cadeau fait à l’Ayatollah. En bloquant les échanges avec l’Iran, nous avons abondé dans son sens : empêcher le peuple de communiquer avec l’extérieur et donc pouvoir lui présenter une version déformée des faits. Il semble aujourd’hui que les deux côtés aient fait un premier pas pour s’ouvrir l’un à l’autre et le 2 avril dernier, des milliers de jeunes sont sortis dans les rues iraniennes pour montrer leur soulagement après la signature de l’accord-cadre sur le projet nucléaire. Cet accord, espérons-le, améliorera vraiment leur quotidien.
Crédit Regimantas Dannys
Crédit Regimantas Dannys

Des progrès ont donc été faits ces dernières années, et l’Iran n’est plus vu comme faisant partie de « l’axe du mal », tel que l’avait désigné le président des États-Unis George W. Bush en 2002. Pourtant, ce pays souffre encore d’une terrible image dans les mentalités et les médias à l’étranger. Je l’ai moi-même constaté lorsque j’ai décidé d'y partir, et que de nombreuses personnes m’ont demandé d’un air apeuré : « c’est pas trop dangereux ? ». J’en suis parfois arrivée à me demander si les auteurs de ces remarques ne confondaient tout simplement pas l’Iran avec ses voisins l’Irak ou l’Afghanistan, qui peuvent lui envier sa stabilité. S’il m’est arrivé de me sentir oppressée par des lois qui entrent en désaccord avec mes valeurs, pas une seule fois je ne me suis sentie en danger pendant mon voyage. Et la plupart du temps, j’étais trop bien entourée pour avoir peur de quoi que ce soit.
 
Les Iraniens l’ont bien compris, changer l’Iran d’aujourd’hui nécessitera un énorme travail de communication, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il faudra d’abord montrer que le peuple iranien n’est pas ce que son régime voudrait qu’il soit et qu’il est prêt au changement. Il faut en finir avec les discours négatifs qui nient la réalité d’un peuple dans l’attente et qui ne contribuent qu’à perpétuer son injuste enfermement. Il faut montrer à tous que le peuple iranien est jeune, ouvert, et ne mérite pas d’être laissé de côté. Ce message fait progressivement son chemin comme en témoigne l’augmentation très récente du tourisme en Iran. Cependant, les voyageurs y sont encore peu nombreux. 

Les initiatives prises sur internet pour témoigner d’un Iran en pleine mutation ne se comptent plus. La célèbre page « My stealthy freedom » sur facebook permet aux femmes iraniennes d’envoyer des photos d’elles la tête nue dans leur intimité et parfois même dans des espaces publics, pour montrer leur désaccord avec le port du voile obligatoire. Dans d’autres pays également surgissent de nouvelles idées pour parler de l’Iran autrement : le collectif américain The Cut a récemment publié sur Youtube une vidéo mettant en scène les changements politiques et sociaux en Iran au cours du siècle dernier en montrant comment l’apparence de la femme (Sabrina Sarajy, mannequin irano-américaine) a changé à chaque décennie. On peut y voir notamment l’évolution vers un voile de moins en moins strict depuis les années 1990 et 2000, et une lueur d’espoir vers la totale libération de la femme à la fin de la vidéo.
Image de My stealthy freedom - crédit DR
Image de My stealthy freedom - crédit DR

Si l’Iran était en 2012 le septième pays à participer le plus massivement à la loterie pour obtenir une green card pour les Etats-Unis, j’ai pu remarquer lors de mon voyage à quel point les Iraniens sont attachés à leur pays et à leur culture et ne sont pas prêts à l’abandonner aux mains du régime. Malheureusement, il est difficile de faire entendre sa voix. Un de mes amis me demandait un jour a très juste titre : « tu irais toi, manifester dans la rue, si tu étais sûre de te faire tirer dessus ? » C’est bien ce qu’il s’est passé lors de la réélection controversée de Mahmoud Ahmadinejad en 2009. Les Iraniens ont dû apprendre à vivre en se cachant et en simulant.

Il m'est toujours difficile de comprendre comment un tel système peut tenir debout, alors que durant tout le temps que j’ai passé en Iran, j’ai eu la très nette sensation qu’une énorme majorité de la population n’approuvait pas les actes commis par le gouvernement. Même au sein de l’administration et de la police, on trouve des gens qui ne croient pas aux lois qu’ils font appliquer eux-mêmes ! C’est d’ailleurs ce qui explique que tant de personnes les enfreignent : tout le monde a beau savoir ce qu’il se passe entre les murs des maisons, tant que cela ne fait pas trop de bruit, on n’en parle pas, on ne punit pas. Jusqu’à ce que l’élite très haut placée décide de faire peur en punissant un groupe de personnes très sévèrement en guise d’exemple.
Persépolis - crédit Regimantas Dannys
Persépolis - crédit Regimantas Dannys

Vu la tournure qu’a pris la révolution verte de 2010, ou encore l’exemple des révolutions arabes qui, suite à un élan d’espoir, ont mené de nombreux pays à des situations dramatiques, les Iraniens semblent hésiter et s’inquiéter. Si une tranche de la population manifeste un réel "ras-le-bol" et est prête à se rendre dans la rue dès les premiers signes de révolte collective, une partie plus majoritaire s’est tout simplement accoutumée à vivre sa vie tranquillement en parallèle de ce régime et ne souhaite pas prendre le risque de sombrer dans le chaos.

Enfin, une dernière part de la population, de plus en plus importante, semble souhaiter faire bouger les choses progressivement. Depuis quelques mois, on assiste en effet à des "petites" victoires de plus en plus nombreuses. Les efforts de communication semblent payer. Par exemple, l’interdiction pour les femmes d’assister à des matchs sportifs dans les stades devrait bientôt être levée. Mais cela reste anecdotique, et il est certain que la présence de l’Ayatollah est un véritable obstacle à l’accomplissement des progrès essentiels et nécessaires au développement du pays. La question des limites de ce changement progressif se pose inévitablement. Est-il possible de renverser un régime autoritaire "en douceur" ? Une chose est sûre, si les Iraniens y parviennent, ce sera une première historique.


Photos prises par Regimantas Dannys
Paysage iranien - crédit Regimantas Dannys
Paysage iranien - crédit Regimantas Dannys

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