Égypte : Viols en série, la face cachée de Tahrir

4 Juillet 2013



Depuis dimanche le peuple égyptien est de nouveau dans les rues pour écrire une nouvelle page de son histoire révolutionnaire. Si la vague populaire a eu raison de Mohammed Morsi, obtenant ainsi le retour de l’armée aux commandes du pays, les évènements comportent une part d’ombre souvent peu évoquée : la violence réservée aux femmes place Tahrir et dans les rues égyptiennes. Retour sur ce drame en marge des protestations.


Crédit Photo -- Hassan Ammar/AP
Crédit Photo -- Hassan Ammar/AP
Les télévisions du monde entier passent en boucle les images de liesse populaire sur la place Tahrir. Les dizaines de millions de manifestants qui s'y sont massés exultent, des feux d’artifice explosent partout dans un ballet de couleurs vives, des cœurs sont même tracés par les avions de l’armée. Les chaînes télés égyptiennes sont prises d’élans de lyrisme et parlent sans complexe d’histoire, avec un grand H. De cette foule dense ressort avant tout un enthousiasme naïf, celui d’avoir encore eu raison du pouvoir en place. Morsi est parti et le peuple est redevenu maître de son destin politique. Comme en 2011. Beaucoup parlent du début d’une nouvelle ère, même si personne ne sait réellement quelle saveur elle aura.

Des agressions sexuelles d’une violence inouïe au cœur des foules euphoriques de Tahrir

En marge de ces scènes d’enthousiasme collectif se cachent néanmoins des événements bien moins réjouissants. Derrière la grande Histoire se trament des drames individuels. Il existe bel et bien un autre Tahrir, celui des femmes. 86 agressions sexuelles ont été perpétrées à l’encontre des manifestantes présentes à Tahrir et dans les quartiers adjacents en seulement 3 jours, les 30 juin, 1er et 2 juillet 2013. De nombreuses autres n’ont pas encore été signalées, et ne le seront peut-être jamais. Human Rights Watch a déjà sonné le signal d’alarme dans un rapport sans appel, qui met en lumière la barbarie de ces actes : « (…) Les femmes ont été battues avec des chaînes métalliques, des bâtons et des chaises, et ont été attaqué avec des couteaux. Dans certains cas, l’agression a duré 45 minutes avant qu’elles ne réussissent à prendre la fuite. » On dénombre plus d’une centaine d’agressions de ce type. Une journaliste hollandaise a subi le même sort lorsqu’elle couvrait les événements la semaine dernière. Le déroulement de ces violences est toujours le même, et pourtant il ne cesse de se reproduire. Après être encerclées et poussées loin de leurs proches, les cibles sont prises à partie par des groupes d’hommes. Ils les déshabillent, les frappent et les violent. Le tout se passe en public, au cœur des mêmes foules que l’on nous montre à la télévision. Souvent en toute impunité. C’est la loi du plus fort qui règne sur la place dans ces moments-là. À quelques rares occasions, des barrières humaines sont érigées pour protéger les femmes présentes de ces déchaînements. Celles-ci sont malheureusement beaucoup trop rares pour dissuader les agresseurs de passer à l’acte.

Un mal endémique dans une Égypte qui tend encore à légitimer la violence faite aux femmes

Ce n’est pas la première fois que l’on assiste à ce type de violences, puisque le même scénario avait déjà eu lieu en 2011, lors des manifestations contre le régime de Moubarak. Quelques manifestants avaient d’ailleurs célébré le départ de leur dictateur en violant une jeune journaliste américaine - Laura Logan - présente sur place. Mais comment expliquer un tel acharnement contre celles qui partagent pour la plupart les mêmes rêves de changement que leurs homologues masculins ? Deux éléments sont à prendre en compte afin de répondre à cette question : les motifs probablement politiques de ces crimes, ainsi qu’un contexte général d’impunité et d’indifférence vis-à-vis de telles violences.

Concernant les motifs, il est probable que la plupart des agresseurs utilisent cette violence afin de bannir les femmes de la vie politique égyptienne. Nombre de révolutionnaires sont attachés à leur vision très archaïque du rôle des femmes dans la société égyptienne, et n’hésitent pas à avoir recours à la force afin de les repousser en dehors de la vie publique. Après la révolution de 2011, seulement 8 femmes siégeaient au sein du nouveau parlement, pour un total de 488 sièges parlementaires. Un maigre pourcentage pour une révolution dont le tout premier leitmotiv était pourtant tourné vers une libération massive de la société égyptienne. Ceux qui s’en prennent aux manifestantes de Tahrir entendent perpétuer cette situation en leur faisant craindre d’être au cœur du changement.

Le second élément à prendre en compte est un contexte d’impunité généralisée. En Égypte rares sont les violeurs qui se trouvent inquiétés pour leurs crimes, et peu sont les victimes qui osent les dénoncer. Nombre de figures politiques de premier plan en viennent même à accuser les femmes d’être responsables de leur propre agression. Adel Afifi, membre du conseil de la Choura, organe législatif de premier plan en Égypte, a d’ailleurs déclaré que : « Les femmes contribuent à 100 pour cent à leurs viols parce qu'elles se placent dans de telles circonstances. » Le problème dépasse donc la simple question politique. Il ne s’agit plus seulement d’actes individuels visant à empêcher la femme égyptienne d’avoir son mot à dire au cœur de la révolution. Il est avant tout celui d’une société tout entière qui ne parvient pas à pénaliser la barbarie lorsqu’elle s’adresse aux femmes. Le manque répété d’intérêt de la part de l’État a d’ailleurs légitimé durablement ces actes. Or, comme tout changement sociétal, celui-ci prendra du temps à s’installer dans les esprits. Le fait que des victimes puissent être traitées aussi violemment en public ces derniers jours, montre bien que de nombreux Égyptiens ne sont toujours pas choqués ou révoltés par ce qu’il se passe autour d’eux. Le changement n’est encore pas forcément amorcé. Cela va dans le sens des chiffres extrêmement inquiétants mis en évidence par l’UNICEF en 2012 qui estimaient que 99,3% des Égyptiennes avaient déjà été en proie à des violences sexuelles. Rien ne changera à Tahrir tant que l’État égyptien ne s’inquiètera pas plus de ces statistiques consternantes.

En attendant, si l’Égypte montre une ferveur de plus en plus grande à devenir maître de son destin politique, c’est toujours sans grand intérêt pour sa population féminine. En 2013 les Égyptiennes demeurent encore une fois le triste martyr des luttes populaires pour le changement. Espérons que le prochain régime saura s’attaquer au problème. Rien n’est moins sûr.

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Laura Wojcik
Étudiante à Sciences Po Paris, rédactrice au Journal International, ex-Redac en chef @TheSundial,... En savoir plus sur cet auteur