Elections à Taïwan : un « happy » candidat comme maire de Taipei ?

Emilie Duhamel, correspondante à Taïwan
27 Novembre 2014



Ce samedi, les citoyens taïwanais vont se rendre aux urnes pour désigner leurs élus locaux. A Kaohsiung, la popularité de la candidate du Parti Démocrate Progressiste, Chen Chu, confirmerait le poids du parti d'opposition dans le sud tandis qu'à Taipei, le Kuomintang se verrait détrôné par un candidat sans étiquette, Ko Wen-jo. Double regard sur une jeune démocratie où le KMT, parti historique est mis à mal par une concurrence sans cesse plus légitime.


Crédit Daniel M. Shih
Crédit Daniel M. Shih
Bientôt le 29 novembre, Jour-J des élections municipales à Taïwan. La lutte entre les deux favoris à l’élection pour le maire Taipei, Sean Lien (KMT) et Ko Wen-Je (Sans étiquette) pourrait laisser ce dernier gagnant grâce à une campagne menée sur le ton de la bonne humeur et de la critique du parti Kuomintang au pouvoir

A Taiwan (ROC), le paysage politique oppose deux forces politiques majeures : le Kuomintang (KMT), le plus ancien parti du pays, actuellement au pouvoir, se positionne en faveur du renforcement des relations diplomatiques et économiques avec la République Populaire de Chine  (RPC) de Xi Jinping. A l’inverse, le Parti Démocrate Progressiste (DPP), premier parti d’opposition fondé en 1986, s’oppose à tout compromis dans les relations inter-détroit et plaide pour un état taïwanais indépendant. Chacun rassemble autour de lui plusieurs partis satellites, créant une coalition pan-bleu autour du KMT, et une coalition pan-verte autour du DPP.
 

Au niveau local, d’autant plus dans la capitale, le clivage politique reste le même. Même si ce sont sept candidats qui concourent officiellement pour l’élection du maire de Taipei, l’attention se concentre sur deux compétiteurs, potentiels vainqueurs de la campagne. Mais, les prochaines élections qui se déroule ce samedi 29 novembre promette de rester singulière, notamment puisqu’un des deux compétiteurs majeurs de la campagne ne représente aucun parti politique.

Une élection singulière

Ko Wen-Je (柯文哲) est à 55 ans, est le candidat favori dans cette élection. Il est dans le « civil » docteur spécialisé en traumatologie et en transplantation d’organes. Il exerce à l’hôpital universitaire national de Taiwan et enseigne au « National Taiwan University College of Medicine », d’où lui vient son surnom Ko-P (comme Professeur Ko). Sans aucune expérience sur la scène politique, Ko est souvent critiqué pour son amateurisme et son manque d’engagement idéologique. Candidat sans étiquette, ne représentant aucun parti, son label anti-partisan est surement son plus grand avantage dans la compétition. Supporté par le DPP dans cette élection, Ko Wen-Je mène la part belle au KMT en se glissant à la tête des sondages depuis plusieurs semaines, rompant la traditionnelle acquisition de la capitale à la coalition pan-bleue.

Face à lui, « l’enfant de la balle » Sean Lien (連勝文), candidat KMT de 44 ans, est le fils de Lien Chan, ancien vice-président de Taïwan et ancien Secrétaire général du Kuomintang. Puissante et riche, la famille Lien détiendrait un patrimoine estimé à une valeur de 10 millions de dollars taïwanais, et entretiennent de très bonnes relations avec les membres du Parti communiste de la RPC. Essayant de se détacher de ce lourd contexte familial, Lien se présente comme le candidat d’une nouvelle génération au sein du parti. Stratégie efficace, puisqu’il fut désigné comme candidat par 67% des membres du KMT à la primaire du parti le 19 avril dernier.

Ko mène une campagne centré sur le mécontentement du KMT, rassemblant tous les déçus de la politique du parti nationaliste, notamment celle de l’actuel Président du pays, Ma Ying-Jeou (馬英九) du parti Kuomintang. Directement menacé, Lien joue la carte de l’identité nationale et essaie de ramener le débat sur le clivage traditionnel pro-indépendance contre pro-unification. Un débat que Ko tente d’éviter à tout prix n’ayant fait aucune déclaration sur sa position concernant les relations inter-détroit.

Le statut économique de Taïwan, un enjeu pour Lien

Durant la campagne électorale, le candidat KMT Lien a fait de son cursus professionnel dans le management financier un argument de taille. Son expérience lui servirait d’atout pour aider à améliorer les finances de la ville et promouvoir son développement économique dans l’espoir de restaurer le statut de Taïwan au rang d’économie de premier plan.

En effet, le déclin de Taïwan comme puissance économique de premier plan fait partie des inquiétudes. Afin d’y remédier, la politique actuelle du Kuomintang est basé sur le renforcement des liens économiques avec la puissante Chine voisine, aujourd’hui son premier partenaire, afin de favoriser le développement économique du pays. C’est en tout cas ce qu’avait promis Ma Ying-Jeou (KMT), Président de la R.O.C. depuis sa première élection en 2008.  Hors beaucoup d’électeurs montrent leur mécontent : malgré un nombre important d’accords signés entre Beijing et Taipei, les résultats sont décevants et il semblerait qu’encore une fois, « les riches deviennent plus riches, et les pauvres encore plus pauvres ».

De plus, l’accord de libre-échange conclu il y a peu entre la République populaire de Chine et la Corée du Sud met en péril cette stratégie. Le propre accord de libre-échange entre la Chine et Taïwan étant mis en suspens depuis le mouvement de protestation étudiant SunFlower. Lien reprend tout même cette ligne conductrice, en défendant son habileté à représenter son pays sur la scène internationale, face à un candidat mal préparé et jugé quelque peu « amateur ».

La campagne « joyeuse » de Ko-P hors du clivage politique classique

Des danseurs de sambas, des supporters déguisés  en personnage de dessins animés, des énormes ballons en formes de dragons et des chars décorés, voilà ce qu’on pouvait observer dans les rues de Taipei dimanche dernier. Dans le dernier sprint de l’élection, une semaine avant le jour J , cette grande parade sur le thème du carnaval fut organisé par les supporters de Ko Wen-Je, le candidat indépendant. Avec pour slogan « A Hug for Taipei », Ko tente de contraster avec la campagne offensive de Lien en favorisant la gaieté et la créativité pour redonner de l’espoir aux électeurs.

Sa ligne conductrice de campagne se base sur une vive critique du KMT comme parti au pouvoir ne tenant pas ses promesses. Et encore une fois, les enjeux nationaux et locaux se croisent dans l’élection pour le maire de la capitale : Les retombées économiques promises par le Président Ma Ying-Jeou grâce au renforcement des échanges économiques avec la Chine continentale se font attendre. Les déçus de sa politique et du Kuomintang se tourne alors vers Ko, représentant du changement.

Plus que sa « joie de vivre », c’est bien son label non-partisan qui va jouer en la faveur de Ko Wen-Je ce 29 Novembre. Sa stratégie anti-KMT, sans être trop marqué pro-unification ou pro-indépendance lui permet de rassembler des électeurs parfois même historiquement acquis à la coalition pan-bleu. Si Ko Wen-Je arrive à rallier ne serait que 10% des électeurs « bleus », il se pourrait que Sean Lien voit son parti bouté hors de la capitale taïwanaise.


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