Empire britannique des Indes : une partition institutionnalisée?

Traduit par Perrine Berthier
5 Septembre 2013



66 ans après que l’Inde et le Pakistan aient déclaré leur indépendance face aux Britanniques, respectivement les 14 et 15 aout 1947, la partition de l’ancien Empire britannique des Indes semble être institutionnalisée. Qu'en est-il vraiment ? Décryptage.


Independence Day in Pakistan | Crédits -- imitaz333/Flickr
Independence Day in Pakistan | Crédits -- imitaz333/Flickr
En 1947, l’acte de proclamation de l’indépendance de l’Inde établissait les conditions finales de la partition de l’Empire britannique des Indes. Le 15 août 1947, il prévoyait l’établissement de deux Etats séparés: l’Inde et le Pakistan. Le nom Pakistan est l'acronyme de « provinces à majorité musulmane de l’Empire britannique des Indes – le Punjab, les états frontaliers Afghans (ndlt, Afghanistan), le Cachemire, le Sind et le Baluchistan. Pourtant, le Pakistan n’a jamais bien respecté ce nom car la frontière établie par l’acte divisait le Punjab ainsi que le Bengale. De plus, le Pakistan ne contrôle pas la totalité du Cachemire : selon la clause 2.4, les états princiers ont eu accès à quelque domination voulue. Le maharaja Hindu du Jammu ainsi que le Cachemire ont donc décidé de fusionner avec l’Inde.

Le Cachemire, site d’un conflit toujours en cours

Le Pakistan contrôle aujourd’hui un tiers du Cachemire – une plus petite région semi-autonome appelée Azad (en français : libre) Jammu et le Cachemire des Pakistanais (les Indiens le nommant « Cachemire occupé par les Pakistanais ») - et une plus grande région, directement administrée, qui inclue les anciens royaumes de Hunza et Nagar. Cependant, l’Inde, qui contrôle les deux autres tiers, et la République Populaire de Chine réclament toutes deux Aksai Chin (阿克赛钦) dans l’ouest du Cachemire. Pendant que la Chine soutient qu’Aksai Chin fait partie de la province du Xinjiang, l’Inde, quant à elle, affirme qu’elle fait partie du Jammu et du Cachemire. Ce sont donc pour ces raisons que jusqu’en 2010, le Cachemire était reconnu comme « territoire contesté » par les Nations Unies. Encore le Cachemire a-t-il été retiré de cette liste grâce à une intervention indienne réussie ; l’Inde a en effet atteint une privatisation du conflit en cours.

Les Britanniques ont dressé les frontières de l’Inde et du Pakistan. La raison ? Le processus de décolonisation se base principalement sur l’adhésion religieuse en tant que critère de division. Pourtant, au lieu de délaisser les terres pour un accord de paix postcolonial, la partition a été source de grief et de conflits. L’Inde et le Pakistan doivent encore en venir aux termes avec les législations de la partition puisqu’ils continuent de se battre au sujet des frontières du territoire – notamment le Cachemire. A ce jour, le statut du Cachemire reste contesté. Le 6 août dernier, l’armée indienne a tenu le Pakistan pour responsable de l’embuscade dont ont été victimes cinq soldats indiens, dans la région Pooch du Jammu. Selon le Hindoustan Times, cet incident va jeter une ombre sur la nouvelle position concernant les échanges pacifiques entre l’Inde et le Pakistan qui devraient commencer dans le mois à venir.

Cependant, selon la BBC, le gouvernement indien a réaffirmé son engagement pour ces échanges, comme Salman Khurshid, ministre indien des Affaires Etrangères, l’a déclaré lors d’une conférence de presse. Il ne souhaiterait pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». C’est déjà la deuxième fois qu’il y a des accrochages aux frontières entre l’Inde et le Pakistan. En janvier dernier, deux Pakistanais et deux soldats indiens ont trouvé la mort lors de violents affrontements inter-frontaliers. Le combat en cours est particulièrement inquiétant étant donné que le Pakistan et l’Inde sont des puissances nucléaires et qu’ils sont tous deux parmi les 5 pays ne participant pas au Traité de 1970 sur la Non-prolifération des Armes Nucléaires (les autres pays étant le Soudan du Sud, Israël et la Corée du Nord.

Un vieux conflit

L’Inde justifia la prise de pouvoir de Jammu et du Cachemire en citant la clause 2.4 de la déclaration d’indépendance de l’Inde et la décision du maharaja Hindu d’adhérer à l’Inde. Cependant, la clause 2.4 a causé bien des controverses, étant donné que 77 % de la population est musulmane. Pourtant, le Cachemire était bien plus proche, économiquement parlant, d’être intégrée au Pakistan. C’est contre ce passé conflictuel : deux mois de guerre d'indépendance ont éclaté au Cachemire en raison des mouvement d'immigration de masse, accompagnés d’un mouvement d’indépendance qui a vu mourir entre 500 000 et 1 million de personnes.

A l’issue de la guerre, les Nations Unies sont intervenues – la « résolution 47» du Conseil de sécurité a formé les bases de futures revendications du Cachemire par le Pakistan. Comme le recommande le gouvernement indien, il faudrait tenir un plébiscite au sujet de cette adhésion sous la supervision d'un Secrétaire général de l’ONU – nommé Administrateur plébiscite. Cela n’a pas été fait jusqu’à ce jour. Habituellement, l’Inde rétorque à la critique que le Pakistan n’a pas non plus accompli sa part de la résolution – le retrait total de ses troupes sur le territoire occupé. L’accord de paix n’a malheureusement pas été si efficace étant donné que deux guerres supplémentaires ont éclaté en 1965 et 1999. Une toute autre question se pose alors : et si les habitants du Cachemire ne voulaient en fait n’en adhérer à aucun Etat, étant donné que le mouvement pour l’indépendance du Cachemire a gagné en popularité ces dernières années.

La construction historique d’un Etat

Le Cachemire repose au centre d’une lutte pour la construction historique de l’Inde et du Pakistan actuels. Suivant la logique du bien-fondé du régime pakistanais, selon laquelle le Pakistan était un « état musulman », le Cachemire devrait avoir appartenu au Pakistan. Le fait est qu’il soit, à la place, tombé entre les mains de l’Inde puis qu’il ait dû gérer un coup dur face au régime idéologique du Pakistan. Il ne pouvait donc pas clamer être représentant des intérêts de toutes les provinces à majorité musulmanes de l’ancien Empire britannique des Indes. Le Pakistan a donc hérité d’un régime légitime imparfait, lequel, en combinaison avec l’héritage de la plupart de structures de l’armée coloniale, a établi les bases des fréquents coups d’états et de l’instabilité politique des années suivantes.

En revanche, l’Inde a été fondée en tant qu’Etat “séculier” bannissant dans sa constitution la discrimination basée sur les castes –pourtant, les aspects sociaux et religieux restent importants et peuvent parfois agir de façon divisionnaire sur la société Indienne. L’Inde continue de se débarrasser des contradictions entre modernité et tradition. Ces contradictions étaient déjà présentes pendant la deuxième Conférence de la Table Ronde (ndlt, 1931), donnée afin d’ébaucher une nouvelle constitution pour une Inde autonome sous présidence britannique. Gandhi, qui représentait le CNI (ndlt : le Congrès National Indien, terme français mis pour INC : Indian National Congress), préconisait une Inde polythéiste unifiée, dans laquelle différentes religions étaient connectées à travers « l’amour et la tolérance ». Cependant, sa vision de l'Inde était basée sur des concepts traditionnels tels que les castes.

A l’inverse, les leaders dalits comme Ambedkar ont promu l’abolition des castes craignant que si le CNI se mettait à gouverner l’Inde, il n’y avait aucune garantie que la discrimination au niveau des castes ou de la religion ne continue pas. Ambedkar proposait d’établir des électorats séparés pour les Dalits et les précautions spéciales pour les musulmans. A cela, Gandhi répondait que continuer une grève de la faim à l’infini, comme il croyait, mènerait à la désintégration de la « société indienne ». Au final, les deux parties ont trouvé un compromis lors du Pacte de Poona.


Aujourd’hui, ce que Gandhi craignait semble devenir une réalité : comme le montrent la montée du communautarisme ces dernières années, accompagnée de la naissance de mouvements indépendantistes, non seulement au Cachemire, mais aussi au Tamil Nadu et au Punjab. La partition de l’Empire britannique des Indes en 1947, avec ses frontières contestées et ses tentatives de justification selon la religion de la majorité, établirait-elle toutefois la clé de voûte des tensions actuelles dans cette région ?

 

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