Espagne : portrait d'une jeunesse délaissée

Mathilde L’Hôte, correspondante en Espagne
10 Novembre 2014



Six ans après la crise de 2008, les chiffres de l’économie espagnole remontent, avec un taux de croissance de 0,6 % du PIB au deuxième trimestre 2014 et une baisse du taux de chômage. Toutefois, la société a profondément été bouleversée. Paroles d’une jeunesse désabusée.


Crédit Reuters
Crédit Reuters
"L’Espagne va mieux", c’est du moins ce qu'il semble, au vu de l’amélioration de la situation économique, avec une croissance positive depuis trois trimestres et une diminution des chiffres du chômage. Toutefois, avec un taux de chômage de 23,67% entre juillet et septembre 2014, l’Espagne demeure le deuxième pays de l’Union européenne le plus touché après la Grèce et loin derrière la moyenne de la zone Euro avec un taux à 11,7% en avril 2014. 

Plus préoccupant, le chômage des moins de 25 ans demeure exceptionnellement élevé (52,38%), malgré une baisse depuis début 2014. Ce chiffre renforce un sentiment d’imposture partagé par une grande partie de cette jeunesse qui tente de concevoir un nouveau futur. 

Universités : un choix économiquement élitiste ?

Dès l’année 2013, les conditions d’obtention et d’attribution des bourses de l’enseignement supérieur ont été durcies. Le critère d’éligibilité passant de 5,5/10 de moyenne au baccalauréat à 6,5/10, de nombreux étudiants se trouvent dans l’incapacité de financer leurs études. « Cette nouvelle loi apparaît comme un paradoxe », souligne Alex, étudiant en licence d’anglais à l’université de Valence. En effet, depuis avril 2012, un décret du gouvernement espagnol autorise les régions autonomes à augmenter les frais de scolarité des universités de 50%, élevant ainsi les frais annuels à 1 500€ en moyenne. De plus, il est de plus en plus difficile pour les jeunes de compter sur le soutien familial puisque de nombreux parents doivent d’abord tenter de résoudre leurs propres difficultés financières. 

Au premier abord, les prêts bancaires étudiants apparaissent être la dernière possibilité de financement. Là encore, de nombreux changements ont été adoptés depuis la crise. C'en est fini des prêts étudiants à taux zéro, qui s’alignent désormais sur les mêmes taux que les prêts immobiliers, selon les banques. Carles, étudiant en journalisme à l’Université Jaume I de Castellon, s’interroge : « Avec quel argent pourrais-je le rembourser ? ». En effet, avec un taux de chômage dramatiquement élevé pour les jeunes, les perspectives d’emploi sont très limitées et la plupart du temps les revenus proposés sont nettement inférieurs aux qualifications exigées. 

« No nos vamos, nos echan »

Face à ces nombreuses difficultés, de nombreux jeunes ont décidé de quitter l’Espagne pour aller tenter leur chance dans des pays où la situation économique paraît plus clémente. « No nos vamos, nos echan » (« Nous ne partons pas, ils nous mettent dehors »), est une initiative populaire qui dénonce la situation d’exil forcée de la jeunesse espagnole précaire. Même s’il est difficile d’évaluer le nombre exact de jeunes émigrés économiques, l’association qui se développe aux quatre coins du globe dénonce que « toute une génération doit à présent choisir entre chômage, précarité et exil ». Maria, étudiante de 24 ans originaire de Salamanca, est partie travailler un an en Irlande après sa licence : « Il n’y a aucune opportunité professionnelle ici, on doit se battre pour chercher d’autres ouvertures ailleurs. » Toutefois, ceux qui partent en Europe trouvent rarement du travail en accord avec leurs compétences. Cela reste un moyen pour mettre de l’argent de côté avec l’espoir, pour beaucoup, de pouvoir revenir en Espagne un jour.

Il y a aussi ceux qui restent. « Que se vayan ellos » (qu’ils partent, eux) est le message qu’ils adressent aux politiques, jugés fossoyeurs du système économique et social espagnol. Face à cette situation oppressante, le mot « révolution » apparaît dans de nombreux discours. Et même si, comme le souligne Carles, ils l’espèrent « démocratique et pacifique », on perçoit une urgence de plus en plus difficile à contenir.  

En effet, quelle que soit la situation individuelle de chacun, la jeunesse espagnole est unanime : les politiques nationaux et européens sont coupables. Avant la crise, « l’argent a été dépensé aux mauvais endroits », lance Alex, en référence, entre autres, aux banques et dividendes des actionnaires. Aujourd’hui, avec les coupes budgétaires dans les services publics et en particuliers dans l’éducation, les étudiants ont le sentiment de payer les erreurs qu’ils n’ont pas causées. Jeudi 23 octobre, des milliers d’étudiants, de professeurs et de parents d’élèves ont à nouveau défilé dans les rues de Madrid et de six autres villes espagnoles pour dénoncer les réformes du système éducatif. 

Une génération « perdue » ?

Malgré les mobilisations qui continuent, la résignation se lit de plus en plus sur de nombreux visages. Le temps passe mais la situation reste la même. Quand ils s’adressent aux politiques, les étudiants ont le sentiment de parler dans le vide, « un mur obnubilé par l’argent et le pouvoir » illustre Carles. Cette caractéristique, ils l’attribuent aussi bien à la droite qu’à la gauche, soulignant un désamour total pour la politique traditionnelle.

Toutefois, s’ils ont perdu foi en leurs dirigeants actuels, ils croient en l’avenir de leur pays et surtout au potentiel de leur génération. Depuis janvier 2014, on a d’ailleurs pu assister à la montée en puissance d’un nouveau parti de gauche, Podemos, dirigé par Pablo Iglesias Turrión. Ce jeune professeur de 36 ans s’est basé sur la contestation du fameux mouvement des Indignés et d’une équipe de campagne dont la moyenne d’âge est inférieure à 30 ans, pour développer son parti, qui défend des idéaux comme la démocratie participative ou encore la lutte contre la corruption. Lors des dernières élections européennes, ce jeune parti a obtenu cinq sièges et fait désormais partie des forces politiques majeures du pays. 

En parlant de cette nouvelle alternative politique, les visages s’éclairent. « Eux, ils sont comme nous ! » s’exclame Maria, en référence aux membres et dirigeants du parti. En plus d’apporter une nouveauté idéologique, Podemos offre la possibilité d’en finir avec le bipartisme qui domine la politique espagnole depuis des années. Pour beaucoup de jeunes, il s’agit d’un espoir incontestable à l’horizon d’une année 2015 riche en rendez-vous politiques, avec les élections régionales, municipales et législatives. 

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