Etat des lieux : la liberté de la presse dans le monde

12 Janvier 2015



L’attentat commis contre le journal satirique Charlie Hebdo a été l’occasion de réactions à travers le monde entier, ou presque. De quoi nous rappeler que la liberté de la presse n’est pas à l’abri de la menace, et ce même dans les pays occidentaux. C’est du moins ce que nous révèle l’édition 2014 du « Classement mondial de la liberté de la presse » publié par Reporters Sans Frontières.


Crédit Sabine Chabot
Crédit Sabine Chabot
Publié chaque année, ce rapport évalue la liberté de la presse dans 180 pays du monde, reflétant la marge de manœuvre dont bénéficient journalistes, médias et citoyens, ainsi que les moyens mis en œuvre par les Etats pour faire respecter ce droit. Selon un questionnaire adressé à son réseau d’organisations partenaires et de correspondants, l’ONG classe chaque pays selon une note définie sur une échelle de 0 à 100, 0 représentant le meilleur score.

A l’échelle mondiale, un recul de la liberté de la presse

Le classement des Reporters sans Frontières est réalisé à partir de plusieurs données : le nombre de journalistes, collaborateurs de presse et net-citoyens emprisonnés ou tués dans l’exercice de leur fonction, le nombre de journalistes enlevés ou en exil, le nombre d’agressions et d’interpellations, ou encore le nombre de médias censurés dans l’année. Sont aussi pris en compte des données plus difficilement quantifiables, comme le degré d’autocensure des médias ou l’ingérence du pouvoir dans les contenus éditoriaux.

Inauguré lors du Classement 2013, l’indice annuel de la liberté de la presse est un outil désormais indispensable à la réalisation de ce classement mondial. En 2014, il confirme une dégradation à l’échelle mondiale de la situation de la liberté de la presse de l’ordre de 1,8% entre 2013 et 2014. Une baisse qui peut être expliquée par une évolution quantitative des exactions, mais aussi de celles d’autres indicateurs comme le pluralisme, l’indépendance des médias face aux pouvoirs politiques, la qualité du cadre légal qui encadre les activités liées à l’information, ou encore le climat général dans lequel s’exerce le droit d’informer et d’être informé.

La guerre, principale menace du droit d’informer

De manière générale, le Classement 2014 révèle l’impact négatif des conflits armés sur la liberté de la presse : dans de tels contextes, les médias deviennent des cibles stratégiques. La Syrie (177ème du classement) incarne parfaitement ce cas de figure, et occupe aujourd’hui le rang des pays où la liberté d’information et ses acteurs sont le plus en danger, à l’image du trio infernal, Turkménistan, Corée du Nord et Erythrée, où la liberté de la presse est inexistante depuis déjà plusieurs années. Dans la même région, le Liban, l’Irak et l’Iran se placent en 106ème, 153ème et 173ème position. Dans ces trois pays, c’est la couverture du conflit syrien qui est la plus étroitement surveillée, et parfois punie par le pouvoir.

On retrouve la même dynamique sur le continent africain, où par exemple, les actions de guérillas et des groupes terroristes ne font qu’empirer les notes de la Somalie et du Nigeria (176ème et 112ème du classement). Ailleurs, comme au Honduras (129ème) ou au Guatemala (125ème), ce n’est pas la guerre mais le crime organisé qui menace la liberté de la presse, en faisant de l’autocensure une règle de survie pour les journalistes.

Sécurité nationale et information : des notions incompatibles ?

Loin de donner l’exemple, les pays qualifiés d’"Etats de droit", adoptant parfois une interprétation abusive du concept de sécurité nationale, font passer la liberté de la presse au second plan. C’est le cas par exemple aux Etats-Unis, qui ont perdu treize places pour se situer au 46ème rang du classement, et où le journalisme d’investigation est le premier à souffrir de la protection de la sécurité nationale. La traque d’Edward Snowden et la condamnation du soldat Bradley Manning (qui avait mis au jour certaines dérives graves de la guerre contre le terrorisme en Irak) étaient autant d’avertissements adressés à ceux qui souhaiteraient livrer des informations «sensibles» au public.

Au Royaume-Uni, qui a perdu trois places au classement, mais reste 33ème, six rangs au-dessus de la France, la lutte contre le terrorisme a servi de justification aux pressions sur le quotidien The Guardian. Dans d’autres pays, les journalistes sont considérés à ce titre comme des « menaces à la sécurité nationale ». C’est le cas par exemple en Turquie, 154ème au classement, notamment lorsque les journalistes s’attaquent à la question kurde.
Crédits Reporters sans Frontières
Crédits Reporters sans Frontières

Des évolutions notables

Sur le continent américain, les chutes les plus remarquables, outre celle des Etats-Unis, sont celles du Guatemala et du Paraguay, respectivement de vingt-neuf et de treize places. En Afrique, ce sont le Mali et la République Centrafricaine, avec des chutes de vingt-trois et quarante-quatre places au classement. On peut aussi citer la Zambie, dont la chute de vingt places peut être expliquée par des mesures de censure des sites d’information. Tout en bas du classement, des pays comme le Vietnam, l’Ouzbékistan et l’Arabie Saoudite stagnent, mais ne cessent d’adapter leurs méthodes de censure au monde numérique.

L’édition 2014 du « Classement mondial de la liberté de la presse » nous réserve tout de même quelques bonnes surprises. En effet, la baisse des violences, censures directes et abus de procédures au Panamá, en République Dominicaine, en Bolivie et en Equateur leur ont permis de gagner respectivement 25, 13, 16 et 25 places. Israël gagne dix-sept places en 2014, mais cela ne suffit pas à faire oublier les opérations menées en 2012 par le gouvernement israélien contre les médias palestiniens, qui lui avaient fait perdre vingt places au classement de 2013. Des évolutions donc, mais mesurées seulement sur une année.

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Marie POTHIN
Etudiante en Master de Journalisme à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon, passionnée de musique... En savoir plus sur cet auteur