États-Unis : les « Revenge Porn » dans le viseur des sénateurs

14 Octobre 2013



Plusieurs États américains légifèrent pour empêcher la mise en ligne des photos intimes après une rupture, encouragée par des applications comme Snapchat. C’est une pratique de plus en plus courante du fait de la démocratisation de la photo sur mobile et réseaux sociaux… Mais aussi de l’éternelle amertume propre à une rupture.


Crédits Photo -- Getty Images
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Les « Revenge Porn », soit les publications des photographies et vidéos intimes du couple après une rupture, sont dans la ligne de mire de plusieurs sénateurs américains.
Le gouverneur californien, Jerry Brown, signait la semaine dernière un projet de loi qui condamne les individus ayant mis en ligne des sextapes ou sexpics de leur « ex », dans lesquelles les personnes concernées sont parfaitement identifiables. Les contrevenants risquent jusqu’à 6 mois de prison et 1000 dollars d’amende. C’est le deuxième État à prendre cette décision après le New Jersey.

« Trop de gens ont vu leur vie bouleversée à cause de l’action d’une personne en qui ils avaient confiance » analyse Anthony Canella, sénateur républicain à l’origine du projet californien. Et si la Floride, évoquant le premier amendement, a rejeté un projet de loi similaire cette année, le sénateur new-yorkais Phil Boyle veut mettre en place ces condamnations dans son État. « Les images publiées sur les sites de « Revenge Porn » sont souvent accompagnées de renseignements personnels comme des adresses ou des liens vers les profils Facebook » note ce dernier, ajoutant que les contenus mis en ligne ont pour but de provoquer « la détresse émotionnelle des victimes » et peuvent avoir de graves conséquences sur leur vie quotidienne.

Le sénateur cite l’exemple d’une femme qui, un an après une rupture difficile, a retrouvé des photos explicites sur le net. Diffusés sur plus de 200 sites de « Revenge Porn », les clichés, accompagnés de son nom et de son e-mail professionnel, ont obligé la victime à démissionner, puis changer de nom pour mettre un terme au harcèlement.

L’impact des applications de partage et des réseaux sociaux

La loi new-yorkaise serait la plus aboutie sur le sujet, en corrigeant notamment l’une des failles béantes de son homologue de la côte Ouest. Cette dernière ne couvre pas les photos ou vidéos réalisées par les victimes elle-mêmes. Or, un grand nombre des contenus publiés sur les sites de « Revenge Porn » appartiennent à cette catégorie. Une situation renforcée autant par la facilité d’accès des outils d’enregistrement et de partage que par le peu de précaution affichée par les internautes vis-à-vis de leurs données personnelles.

Si Facebook est régulièrement montré du doigt, c’est un autre service, né à l’université de Stanford en Californie, qui fait ressurgir cette problématique. Snapchat est une application qui permet à ses utilisateurs d’échanger sur mobile des vidéos ou photos en indiquant une limite de temps pour les visualiser. Une fois cette limite dépassée, impossible d’afficher à nouveau le contenu, lequel est tout simplement supprimé. Un moyen, a priori sécurisé d’échanger photos insolites, dossiers compromettants mais aussi photos intimes, qui a séduit près de 5 millions d’utilisateurs quotidiens. Selon les derniers chiffres publiés fin juin, 200 millions de contenus sont ainsi échangés chaque jour, soit dix fois plus qu’en octobre 2012.


Mieux que les bons vieux sextos, Snapchat est ainsi devenu la référence des relations à distance et du flirt d’adolescent. Seul problème, l’application laisse la possibilité aux destinataires assez rapides et qui font preuve de dextérité de prendre une capture d’écran, en informant néanmoins l’envoyeur. Pire, des logiciels comme Snapsave permettent maintenant d’enregistrer tous les contenus reçus à l’insu du correspondant, tandis que des tutoriaux fleurissent sur le net et expliquent comment récupérer les fichiers cachés dans votre smartphone.

Des sites recensent les clichés ainsi récupérés. Snapchat Leaks, lancé au printemps, avait défrayé la chronique en enregistrant plus de 500 000 visiteurs uniques quotidiens seulement quelques jours après son lancement.

Le « Revenge Porn » érigé en modèle économique

Un énième outil à la disposition des adeptes du « Revenge Porn », qui s’était notamment développé à partir du site IsAnyoneUp.com. Lancé en 2010 par l’américain Hunter Moore, le site jette les bases du porno revanchard. Si ce dernier a été désactivé en 2012, il a vite été remplacé par des équivalents plus sophistiqués, à l’image de PinkMeth. En plus d’afficher des photos intimes volées, ce site agrège les informations disponibles en ligne sur les personnes concernées.

Attaqué l’an passé par les Anonymous, qui avaient publié ses données personnelles, Hunter Moore s’était alors défendu en affirmant que près de la moitié des contenus publiés sur son site étaient des autoportraits, envoyés par des modèles en quête d’attention et de notoriété. Ces allégations mettent en lumière une autre problématique liée au « Revenge Porn » : la récupération de cette tendance par l’industrie du X et la mise en place d’un véritable business model.

Exgrilfriendporn.net, realexgirlfriend.com, myex.com ou encore gfrevenge.com… Ces sites, qui mêlent vraies photos et mises en scène et qui font payer l’accès aux contenus, explosent. Le « Revenge Porn » est même en passe de devenir un genre à part entière du cinéma pour adultes, avec des productions tournant essentiellement autour de cette thématique.

Mais la riposte s’organise. Malgré d’évidents vides juridiques, de plus en plus de sites sont fermés et leurs propriétaires condamnés suite à des actions collectives. Le site Bullyville.com, qui milite contre les tentatives d’intimidation, rachète les noms de domaines des sites de « Revenge Porn » pour les fermer, tandis que les victimes de ce phénomène peuvent trouver des soutiens et conseils sur des sites tels que endrevengeporn.com et womanagainstrevengeporn.com.

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Clément FAGES
Étudiant en journalisme économique au magistère JCO (Aix-Marseille Université), je suis aussi passé... En savoir plus sur cet auteur