Ethiopie : un, deux, trois cafés !

Maria-Gerth Niculescu, correspondante à Gondar, Ethiopie
13 Décembre 2014



On le connaît tous, la plupart d’entre nous y sommes accros : le café, qu’il nous provienne de la machine Nespresso dernière génération ou de l’automate installé il y a dix ans entre deux salles de réunion, est bel et bien une institution. En Ethiopie, d’où le café se veut originaire, on va plus loin. Il s’agit d’une tradition ancrée, d’une composante essentielle de la culture, à laquelle, ici aussi, règne une dépendance certaine.


Crédit DR
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Selon la légende, le café aurait été découvert par un berger d’Abyssinie qui aurait observé ses chèvres se nourrir de caféiers et être prises, peu après, d’un grand élan d’énergie. Les caféiers étant très répandus en Ethiopie, le berger décida de faire part de sa découverte auprès du roi, qui fit du café un emblème national. 

Une cérémonie particulière

Jusqu’à aujourd’hui, le café reste une composante significative de vie en Ethiopie. La tradition veut que le café (buna) soit préparé trois fois par jour au dessus d’un tapis de brins d’herbes fraîchement cueillis : le matin, en tant que « café petit-déjeuner » (buna cos), à l’heure du déjeuner et enfin le soir. La chaleur est produite non pas électriquement, mais grâce à un feu de charbon qui doit être maintenu en permanence. Les graines de café, qui sont en réalité beige clair, sont d’abord grillées sur une plaque en métal ronde, pendant que l’eau est mise à chauffer dans un petit chaudron traditionnel appelé jembena. Une fois que les graines de café sont bien brunes, il faut en faire de la poudre manuellement, en les écrasant grâce à un outil en bois, et ensuite les ajouter dans le jembena. 

Et, bien sûr, il ne faut pas oublier le pop-corn, systématiquement servi dans une corbeille lors de la cérémonie, ainsi que l’encens qui confère au tout une odeur très agréable. Mais attention à ne pas se croire au cinéma, car même les simples visiteurs ont un rôle de participation. Ils doivent activement inspirer l’encens et l’odeur des graines sur le feu ; sans oublier de sociabiliser, bien sûr. En effet, la cérémonie du café est un moment convivial, car elle prend beaucoup de temps. C’est le moment de se retrouver en famille ou entre amis pour booster son moral et son physique. Le café éthiopien, bien que son goût ne soit pas fort, réveille bien et est connu pour faire parler beaucoup. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les prêtres ne consomment pas de café.

Une fois le café prêt, ce n’est plus le moment de s’éterniser. Chacun boit jusqu’à trois cafés par cérémonie, et chaque tasse est bue immédiatement d’un coup sec ; attention à la langue donc, mais cela ne semble pas poser problème pour la plupart des Ethiopiens.

La pause-café en Ethiopie n’a pas le même côté rapide et “pause clope” qu’elle peut avoir en Occident. Pas question donc d’être pressé ou, et cela va souvent de pair, stressé. Le rapport au temps est très différent ici, et il est normal de prendre son temps pour tout. 

« Si je n’ai pas de café, je ne vis pas ! »

Un phénomène culturel reflète souvent la société dans laquelle il est observé, et la cérémonie du café n’y fait pas exception. En effet, elle montre bien la dépendance de la société éthiopienne à la femme « fait-tout ». Chaque étape du café tel qu’il est préparé ici, de l’achat des graines à la préparation du feu de charbon, est sous l’entière responsabilité de la femme. Mais pas question pour les hommes de passer une journée sans café. 

Comme le dit si bien un chef de famille à Gondar, au nord du pays : « Si je n’ai pas de café, je ne vis pas ! » Même la galanterie est inversée, car c’est l’homme qui doit être servi avant tout le monde. Toutefois, si le café contribue à l’unique et fascinante culture éthiopienne, son ancrage dans la tradition rend difficile d’en faire l’objet d’une critique du rôle de femme dans la société éthiopienne. 

Entre tradition et développement

Inévitablement, la cérémonie du café est également devenue une attraction touristique, notamment pendant les dix dernières années au cours desquelles le nombre de touristes a triplé. Un atout économique, donc, confirmé par des chiffres d’exportation du café qui ne cessent d’augmenter. Avec un des taux de croissance les plus élevés au monde, l’Ethiopie pourrait bien en surprendre plus d’un dans une dizaine d’années. 

Le prix que la culture et les traditions locales vont devoir payer reste à déterminer. Ce qui est sûr, c’est que l’image quelque peu antidatée du pays en famine ne persistera pas bien longtemps. 

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