Imbroglio autour de la présidentielle en Indonésie

10 Juillet 2014



Les Indonésiens étaient appelés aux urnes hier, mercredi 9 juillet, pour élire leur nouveau président. À l’issue de cette journée, le gouverneur de Jakarta Joko Widodo revendique la victoire, au même titre que son adversaire, l’ancien lieutenant-général Prabowo Subianto. Retour sur la campagne et le vote d’hier dans la troisième plus grande démocratie du monde.


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Vivant au rythme de la politique depuis le début de l’année, l’Indonésie devait hier élire son nouveau président, après avoir renouvelé son Parlement en avril. Les deux tickets en présence (président et vice-président) s’étaient auparavant affrontés au cours de cinq débats, constituant une grande première dans la jeune démocratie. 

Campagne dynamique...

À l’issue d’une campagne réussie, riche en coups bas et parfois démagogique, le bateleur de talent Prabowo Subianto est revenu de manière spectaculaire dans la course, effaçant quasiment ses plus de trente points de retard dans les sondages. Avec un parti arrivé troisième aux législatives (Gerindra), il était parvenu plus tôt à monter une grande coalition partisane regroupant plus de la moitié de la nouvelle assemblée.

En face, Jokowi, le grand favori issu du petit peuple, a semblé pour sa part à la peine, vraisemblablement mal relayé sur le terrain par une faction de son propre parti et pénalisé par une campagne inspirée mais mal organisée. Lui et son co-listier, Jusuf Kalla, ont aussi certainement pâti de ne pas être à la tête de leur parti, respectivement le PDI-P et le Golkar, contrairement à leurs adversaires.


On s’acheminait donc tout droit vers une élection très disputée, tandis que le Parti démocrate, actuellement au pouvoir, et qui avait jusque-là refusé de soutenir l’un des tickets en présence, décidait opportunément de rallier Prabowo dans la dernière ligne droite. Miné par les affaires, le parti tentait ainsi de se raccrocher au panache du candidat issu de l’aristocratie politique, quand Jokowi , sorti de nulle part, pouvait constituer un risque – ou un espoir, c’est selon  de transformation du système.

... Campagne dynastique

On a aussi vu réapparaître en première ligne l’ex-femme de Prabowo Subianto, Siti Hediati Hariyadi, assistant au premier rang aux différents débats. Mieux connue par les Indonésiens sous le surnom de « Titiek », celle-ci n’est autre que la fille de l’ancien autocrate Suharto, aux affaires pendant plus de trente ans jusqu’à ce que la rue ne le force à quitter le pouvoir en 1998. On soupçonne fortement Prabowo, alors chef de la réserve stratégique, d’avoir enlevé et torturé des étudiants participant aux manifestations qui aboutirent à la chute de son beau-père…

Mais ces bruits de l’Histoire n’ont que peu de poids face aux potins du présent ; Prabowo et Titiek se seraient remariés en secret ces derniers jours, pour former un nouveau couple présidentiel. Une Suharto revenant au palais de l’Indépendance en tant qu’ Ibu Negara (Première dame), quelle revanche sur la reformasi ! Prabowo a même proposé au cours de sa campagne d’instaurer un jour férié à la gloire de Suharto, surfant sur la nostalgie d’une époque mythifiée d’ordre et de prospérité.  
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Joko Widodo a lui eu bien du mal à se défaire des caricatures le présentant comme un chrétien d’ethnie chinoise se déguisant en musulman. Ne souhaitant pas au départ répondre à ces attaques, il a finalement passé le mois de juin a tenté de donner des gages de sa piété dans un pays qui est à 87% musulman. On l’a vu faire le tour des pesantren (écoles coraniques), tandis que son épouse apparaissait désormais voilée. La campagne s’étant officiellement terminée samedi soir, il a profité des journées de dimanche et lundi pour effectuer un très médiatisé pèlerinage express à La Mecque en Arabie saoudite. 

Mercredi, folle journée

L’élection s’est déroulée hier matin, les bureaux de vote ouvrant de 7 heures à 13 heures. Dès 11 heures les chaînes de télévision ont annoncé des résultats partiels, les « quick counts », sondages sortis des urnes. Forte de ceux-ci, vers 14 heures, la dirigeante du parti de Jokowi annonçait sa victoire sur la chaîne Metro TV, aux mains d’un membre de sa coalition. Le gouverneur de Jakarta s’empressait de « remercier les Indonésiens ainsi que toutes les personnes ayant participé à la campagne ». Pendant ce temps, sur la principale chaîne d’informations concurrente, TvOne, détenue par un soutien de Prabowo, des écrans de publicité défilaient, manière de ne pas reconnaître cette réalité-là. 

Vers 15 heures, Prabowo est à son tour apparu en direct sur TvOne, criant au scandale et annonçant à son tour que « le peuple était en train de lui donner un mandat », chiffres par provinces à l’appui. Ultime manipulation d’un homme prêt à tout pour gagner ? Ou réelle incertitude quant aux résultats ? Toujours est-il que la suite de la journée n’a été que confusion et désinformation, chaque camp mobilisant les chiffres des instituts de sondage qui lui étaient le plus favorable. Selon huit instituts de sondage, jugés fiables par la plupart des commentateurs étrangers, le gouverneur de Jakarta l’emporterait avec entre 52 et 53% des voix tandis que les quatre instituts cités par Prabowo Subianto le créditeraient d’environ 51% des suffrages. 

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Revendiquer la victoire le doigt levé

Le président sortant Susilo Bambang Yudhoyono, empêché de se représenter par la Constitution au terme de ses deux mandats, a reçu dans la soirée d’hier les deux tickets en lice, les appelant « à la retenue ». L’urgence semble en effet de temporiser alors que chaque camp craint de se faire dérober la victoire par l’autre. La fête semble donc déjà à demi-gâchée pour les partisans de Jokowi qui s’étaient empressés de descendre dans la rue à Jakarta ou de défiler à moto dans sa ville natale de Solo (Java Centre) dont il fût maire. 

Pour donner le change dans cette guerre des images, les pro-Prabowo entouraient hier leur champion, le doigt levé, évocation du chiffre un attribué au candidat pendant la campagne. La commission électorale indonésienne (KPU) aura le dernier mot, c’est elle qui annoncera le nom du vainqueur le 22 juillet prochain, ayant additionnée les résultats des plus de 500 000 bureaux de vote du pays. Le candidat malheureux pourra cependant ensuite porter le litige devant la cour constitutionnelle. On voit mal ce qui pourrait faire renoncer le très déterminé Prabowo Subianto à une telle éventualité en cas de victoire proclamée de Jokowi. Les jours à venir s’annoncent incertains dans l’Archipel.

Les marchés ont eux tranché : la roupie indonésienne est actuellement à son plus haut niveau depuis sept semaines, tandis que la bourse de Jakarta ouvrait ce matin en hausse de 2,8%. Les investisseurs craignent plus que tout de voir accéder Prabowo à la présidence, qui a pris des positions ultra-nationalistes en matière économique. Pour eux, le fils de charpentier ne peut plus perdre.

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Arnaud Richard
Je voulais être Alain Duhamel...et puis entre-temps j'ai découvert l'Asie. Les blagues de Pierre... En savoir plus sur cet auteur