Inde : la victoire de la torture ?

Florence Carrot et Ted Samuel, correspondants à Madurai
18 Avril 2013



Le Centre de réhabilitation des victimes de la torture est un lieu difficile : coupures de courants jusqu’à 16h par jour, saleté, chambres minuscules à partager... Malgré tout, la fermeture de cette bouée de sauvetage crée l'indignation. Les correspondants du Journal international en Inde racontent.


La porte d'entrée du Centre de réhabilitation des victimes de la torture en Inde, quelques jours avant sa fermeture / © Florence Carrot
La porte d'entrée du Centre de réhabilitation des victimes de la torture en Inde, quelques jours avant sa fermeture / © Florence Carrot
En Inde, le Centre de réhabilitation des victimes de torture (RCTV) est le refuge de victimes de viols, de violences domestiques et autres atrocités commises par la police. Un refuge essentiel pour faire renaître un équilibre chez ces personnes. La semaine dernière, le Comité exécutif de People’s Watch a pris la difficile décision de fermer le RCTV - fortement encouragé par le gouvernement indien. Le Centre qui a aidé tant de personnes sera totalement évacué à la fin du mois d'avril.

La nouvelle a sidéré toute l’équipe de l’organisation. Certes, l’électricité se fait rare et le confort est globalement bas. Bien entendu, salles de bain à l’indienne avec eau glacée à se passer sur le corps avec un seau pour se laver, pas de chasse d’eau, et moustiques jour et nuit, sont des éléments qui rebutent rapidement. Pourtant avec le recul, le centre peut être perçu comme une vraie bénédiction. C’est l’expérience des droits de l’Homme dans son application première.Les équipements et les services fournis par le RCTV ont eu un réel impact sur la vie de ceux qui y ont logé.

Balammal s’est confiée au Journal international. Première femme à avoir révélé publiquement les abus dont elle avait été victime, elle a trouvé refuge dans l’enceinte du RCTV, craignant les conséquences de son témoignage. Son histoire est semblable à celle d’une douzaine de femmes dans son village, violées par plusieurs officiers de police des Forces Spéciales du Tamil Nadu et du Karnataka. Kumar a également livré un épisode des plus intimes de sa jeune vie. Kidnappé à 9 ans par des criminels qui tentaient d’empêcher ses parents de révéler les détails d’un meurtre, il a trouvé une place au RCTV avec ses parents après leur avoir été rendu. People’s Watch a aidé le jeune garçon à se scolariser et ses parents à retrouver un emploi. Aruna, quant à elle, ne demandait qu’à s’allonger tranquillement, durant son instance de divorce d’avec son mari abusif, violent et dont elle avait peur. Le RCTV lui a permis de retrouver un peu de paix. Ce sont ces histoires de vies en détresse réhabilitées qui rôdent en ce lieu.

Récits murmurés avec les larmes aux yeux, histoires réelles de tortures inimaginables qui existent pourtant. Le RCTV est un véritable espace de secours. Certaines de ces histoires n’ont pas connu de fins heureuses, mais le RCTV leur aura permis de revoir la lumière dans le gouffre de leurs vies brisées. C'est toute la légitimité du RCTV, une institution mais aussi le lieu de l’incarnation des droits de l’Homme dans le sud du Tamil Nadu. Le RCTV a fait ses preuves comme étant bien plus qu’un simple bâtiment. C’est avant tout une bouée de sauvetage, un soutien, une famille pour ces individus isolés.

Une difficile fermeture

Mais l'organisation People’s Watch doit fermer le centre d’ici fin avril. « Le désespoir est un sentiment effroyable. Je vais essayer d’être le plus optimiste possible durant cette sombre période. J’espère de tout mon cœur que ce fléau injuste empoisonnant People’s Watch se terminera et qu’alors le RCTV réouvrira… », confie l’une des employées. Sa collègue renchérit : « Je veux pas que tout ça s’arrête ! Je ne veux pas que ce lieu qui m’a accueilli ferme, je vais vivre au bureau désormais, imaginez un peu, je vais passer ma vie dans mon espace de travail avec mon enfant que j’ai déjà du mal à nourrir correctement car nous ne touchons plus nos salaires depuis 6 mois…6 mois ! ».

Au milieu des cartons et des camions de déménagement, un sourire difficile se forme sur les lèvres de l’équipe de People’s Watch. Si l'espoir semble loin, certains affirment qu'avec tout l’optimisme dont les Indiens sont capables cette institution réouvrira, que le soutien ne peut pas s’envoler comme ça, que la morale et la dimension humaine l’emporteront sur les cruautés et les ambitions matérielles. « J’ai l’espoir que ce centre continuera d’être un refuge pour tous et que de nombreuses autres personnes puissent y résider car c’est une chance et des liens à vie qui se tissent », affirme un employé. Selon certains, cette fermeture fermerait en fait la bouche aux défenseurs des droits de l’Homme.

Combattre au nom des plus vulnérables demande parfois de se mesurer aux plus puissants. C’est la leçon de vie que nombre d’employés et de volontaires ont appris là-bas. Se faisant, les organisations, communautés, individus qui s’y confrontent, risquent de sévères répercussions. Parler de l'événement pourrait même interdire l'accès au pays. Défendre les droits de l’Homme peut en effet être une tâche intimidante.

Les noms des résidents du RCTV ont été modifiés et quelques détails mineurs de leurs récits ont été omis afin de protéger leur identité.

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