Israël : l’impossible politique migratoire

17 Décembre 2013



L’État hébreu accueille à bras ouvert les juifs, qui ne viennent plus. Il tolère par nécessité les travailleurs venus d’ailleurs, qui ne repartent plus. Et il ferme ses portes aux demandeurs d’asile, présents malgré tout et sans statut. Chronique d’une impossible politique migratoire du cas par cas.


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Alors que les demandes de naturalisation israélienne chutent parmi la diaspora juive, qu’une énième tentative d’interruption des migrations Falash Mora a été annoncée, et que le mur de barbelé empêche tout nouveau clandestin d’entrer en Israël par la frontière égyptienne, l'Etat hébreu n'a toujours pas redéfini sa politique migratoire. Entre idéologie et réalisme, l'heure est au méli-mélo législatif.

Il y a ceux que l’on souhaite et ceux que l’on rejette. La politique migratoire d’Israël a toujours eu un caractère religieux. Nation de migrants par excellence, depuis 1949 Israël se définit comme terre d’accueil des juifs opprimés et appelle de ses vœux « le rassemblement des exilés » et l’Aliya, « la montée » des différentes communautés juives de la diaspora vers l’État d’Israël. À ce titre, la « loi du retour », votée le 5 juillet 1950, permet à tout juif de la diaspora de migrer et d’obtenir la nationalité israélienne par le biais des bureaux de « l’Agence Juive » présents dans de nombreux pays. Un grand problème se pose aujourd’hui aux autorités : que faire des migrants non-juifs demandant asile à Israël ?

L’Aliya a construit la nation israélienne. Juifs d’Europe, d’Amérique, puis d’Afrique du Nord ont constitué les vagues successives de migrants venus rejoindre la nouvelle nation. Aujourd’hui les arrivées massives proviennent de l’ex-URSS, Ukraine et Russie en tête, et d’Ethiopie. Encouragée, cette immigration n’en reste pas moins difficile. « Les Falashas sont encore les plus pauvres de la population israélienne », nous explique Lisa Anteby-Yemini, anthropologue au CNRS (IDEMEC - Université Aix-Marseille), étudiant les migrations africaines en Israël. « Anciens agriculteurs et artisans des Hauts Plateaux d’Éthiopie, ils peinent à se reconvertir dans l’économie israélienne » .
Partis pour vivre dans le pays de leur religion, mais aussi souvent pour fuir une situation économique difficile, les nouveaux arrivants sont aussi les plus dépourvus de la société d’accueil. Par définition, les membres de la diaspora juive viennent de cultures différentes. Les barrières de la langue, du niveau d’instruction, ou encore des particularismes religieux rendent inévitablement difficile l’intégration des nouveaux arrivants.

L’élection d’une Miss Israël « falasha », originaire d’Ethiopie en 2013 a encore suscité rejets et débats. Mais les difficultés d’intégrations qui ne sont pas propres aux juifs d’Ethiopie. Les migrants de l’Ex-URSS maîtrisent souvent mal l’hébreu et sont également discriminés. Malgré les difficultés d’intégration, les autorités appellent toujours au « retour » des Juifs. Cependant, les migrations strictement religieuses se tarissent. En témoigne la récente fermeture de l’Agence juive d’Addis-Abeba. Les foyers du judaïsme de par le monde se stabilisent. Aux Etats-Unis et en France, où vivent encore des communautés importantes, les candidats au départ se raréfient. Les Agences juives n’auront-elles bientôt plus de raison d’être ?

Les migrants invisibles

Il n’y a pourtant pas que des juifs en Israël. Depuis plusieurs dizaines d’années, par nécessité économique, Israël a toléré que d’autres populations viennent sur son sol. Elles ont été autorisées à venir en Israël à une seule condition : les migrants ne devaient être que de passage ; ne surtout pas s’installer. Israël a engagé des travailleurs temporaires. De nombreux accords ont été passés avec d’autres pays. Thaïlandais, Philippins, Bulgares, Turcs, Népalais et plus récemment Chinois peuvent désormais signer des contrats de travail pour une durée déterminée, d’une à trois années, et doivent retourner chez eux une fois le temps écoulé.

Les autorités israéliennes estiment que 180 000 de ces travailleurs résident actuellement sur le territoire. Main-d’œuvre de passage, arrivée souvent seule, effectuant les travaux dont personne ne veut, l’immigration de travail est vécue comme une nécessité, sans conséquence sur la société. Pourtant le bureau de la statistique israélienne estime que la moitié de ces travailleurs résident illégalement sur le territoire. Des couples se forment, des enfants naissent sur le sol israélien. Une fois leur contrat expiré, nombreux sont ceux qui continuent à exercer au noir. C’est typiquement le cas des Philippines travaillant comme domestiques. Elles seraient 1 000 à être restées cette année.

Mais le risque est ailleurs. Il provient de ces nouveaux migrants venus d’Afrique, ces familles entières, sans ressources, exilées, qui demandent asile en Israël, qui demandent à rester. Ce sont elles qui « menacent les fondements de la société, la sécurité et l’identité nationale », selon Benyamin Netanyahou. Non-juifs, ils viennent altérer la nature juive du pays. Pauvres, ils viennent poser à l’État d’Israël les mêmes problèmes qu’aux pays occidentaux. En 2012, l’État a voulu régler le problème par la construction d’un mur de barbelés de 5 mètres de haut à la frontière égyptienne. Que faire alors des milliers de refugiés présents dans le pays ? Vide juridique et cas par cas sont aujourd’hui la règle.

Israël, terre d’asile pour Africains en exil ?

Mur construit à la frontière égyptienne en 2012 | DR
Mur construit à la frontière égyptienne en 2012 | DR
Depuis une dizaine d’année, et surtout depuis 2005, affluent sur le territoire hébreu ces hommes et ces femmes venus d’Afrique. Ils sont actuellement 55 000 demandeurs d’asile. Erythréens fuyant la conscription militaire, Soudanais fuyant les persécutions et les guerres forment l’essentiel des refugiés, auxquels s’ajoutent essentiellement des Congolais et des Ivoiriens. Tous ces migrants ont traversé le désert du Sinaï pour atteindre la frontière israélienne. Parmi ceux qu’a rencontrés Lisa Anteby-Yemini, nombreux sont ceux qui projetaient de traverser la Méditerranée et se sont laissé convaincre par des passeurs de partir pour Israël. L’État hébreu est devenu l’itinéraire bis des migrations Est-Africaines du fait des dangers de la mer et de la fermeture des frontières européennes. Ceux qui arrivent jusqu’à la frontière sont retenus en détention au milieu du désert. Certains ont été victimes des trafics humains qui sévissent dans la région. La plupart nécessiteraient des soins médicaux et psychologiques.

Face à ce nouveau phénomène, l’État hébreu a adopté un dangereux système de titres de séjours provisoires, sans légiférer sur le statut juridique de ces nouveaux arrivants. Les autorités s’appuient sur un classement des demandeurs d’asile en terme de « risques » encourus dans leur pays d’origine. Les migrants venant de pays « à risques » ne sont pas sujets à un ordre d’expulsion immédiate. On leur délivre un titre de séjour de 3 à 6 mois renouvelable en fonction de la situation. Reste à savoir quels pays classe-t-on « à risques ». Pendant longtemps les Sud-Soudanais, originaires d’un « pays à risques » étaient tolérés en Israël. En juillet 2011, le Sud du Soudan est devenu un État. Israël l’a considéré comme un pays sûr. 1300 Sud-Soudanais ont été expulsés en juin 2012. Certains pays changent souvent de catégorie, c’est le cas du Congo ou de la Côte d’Ivoire. Si Erythréens et Soudanais tentent encore le voyage et représentent aujourd’hui 85% des demandeurs d’asile, c’est qu’ils savent qu’ils ne pourront pas être expulsés dans l’immédiat.

Assurés d’un sursis, leur situation reste précaire. S’ils possèdent un titre de séjour, en revanche ils n’ont pas droit au permis de travail. Les migrants sont tolérés sur le sol, mais aucune politique d’accueil ou d’aide sociale n’est mise en place. Officiellement, les employeurs faisant travailler des demandeurs d’asile sont dans l’illégalité. De fait, leur travail est toléré, évidemment. Les migrants travaillent dans les services, la restauration, et, même les municipalités les emploient pour le nettoyage des rues.

Migrants non-juifs, le cas de conscience d’Israël

Selon Lisa Anteby-Yemini, l’opinion publique israélienne distingue parfaitement ces trois figures de migrants : le juif, le travailleur et le demandeur d’asile. Et ces derniers cristallisent les tensions au sein de la société israélienne. Contre cette nouvelle immigration, mobilisations et actes racistes se sont multipliés ces dernières années, en particulier de la part des résidents des quartiers Sud de Tel-Aviv où se concentrent plus de la moitié des nouveaux migrants.

Régulièrement, associations de demandeurs d’asiles et ONG descendent dans la rue pour interpeller la population et les pouvoirs publics. Pour faire valoir leurs droits, ils en appellent à la Shoa, au souvenir de la nation juive, faite de migrants persécutés dans leurs pays, venus trouver refuge en Israël. Si la désignation de « réfugiés » leur est concédée dans le langage courant, et si ce discours touche la population, ONG et associations de réfugiés peinent à mobiliser les foules pour leur cause.

Les migrants réclament un accès aux soins, à de véritables permis de travail pour mettre fin à l’exploitation des travailleurs illégaux, un accès aux formations et surtout le statut de réfugié. Un statut qui leur permettrait de sortir de leur situation précaire et d’avoir des droits. Le statut de réfugié existe en Israël, mais il est quasiment impossible à obtenir. Depuis 1948, 200 personnes l’on obtenu, une seule l’année dernière.
Pour expliquer cette impasse juridique dans laquelle se trouvent 55 000 résidents d’Israël, Lisa Anteby-Yemini invoque un problème éminemment politique. Comment accorder le statut de réfugié, l’asile et la protection à des populations venues de lointains pays d’Afrique, alors qu’aucun statut n’est accordé aux populations palestiniennes ? Les autorités ne peuvent accorder à certains ce qu’elles refusent à d’autres.

Le mur, solution de tous les problèmes ?

Pour contrer l’afflux toujours plus important de demandeurs d’asile, Israël a construit un mur de barbelés tout le long de la frontière égyptienne. Les conséquences ont été immédiates. En septembre 2013, les autorités recensaient seulement 35 nouvelles entrées par la frontière contre 7 000 en septembre 2012. La construction du mur a permis de repousser la question légale des 50 000 Africains résidant sur le sol israélien, de repousser ailleurs les migrations illégales. Un mur qui en rappelle un autre. Israël est-il condamné à s’enfermer ?


Merci à Lisa Anteby-Yemini, anthropologue, chercheure au CNRS (IDEMEC – Université Aix-Marseille), d’avoir gracieusement répondu à nos questions.

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur