Joe Kennedy III : sur les traces de ses aînés ?

23 Décembre 2013



Joseph « Joe » Patrick Kennedy III, 33 ans, a enfin concrétisé le rêve de son célèbre clan : reconquérir le Congrès américain. Élu représentant du Massachusetts fin 2012, il semble suivre pas à pas les traces de ses brillants prédécesseurs. Mais jusqu’où peut-il aller ? Portrait.


Crédits photo -- Courtney Sacco Photography
Crédits photo -- Courtney Sacco Photography
Diplômé en management de Stanford et en droit de Harvard, Joe Kennedy III entre officieusement en politique en 2006 pour coprésider la campagne de réélection de son grand-oncle, Ted. Puis officiellement en février 2012, lorsqu’il se présente pour siéger à la Chambre des représentants. Il remporte les élections générales à 61 % en tant que représentant du 4e district du Massachusetts, le 6 novembre 2012 – suite à un charcutage électoral controversé après le recensement de 2010 en vue du 113e Congrès. Aussi semble-t-il naturellement vouloir suivre les brillantes carrières de ses aînés. D’abord celle de Ted et John, ses grands-oncles, respectivement sénateur du Massachusetts de 1962 à 2009 et 35e président des États-Unis (ainsi qu’ancien sénateur du 11e district du Massachusetts). Puis celle de son père, Joseph P. Kennedy II, qui a été représentant du 8e district du même État. Et pourquoi pas celle de son grand-père, Bobby, ancien procureur général. La devise des Kennedy : régner (toujours) sur le Massachusetts.

Néanmoins, la figure de Joe Kennedy III donnerait à penser qu’il n’est qu’un pastiche de ses illustres ancêtres, sans réelle personnalité politique. Il pourrait tout simplement être un Kennedy parmi les siens, qui utilise son patronyme pour se former. Le poids de la tradition sans doute. Joe Kennedy III tient son nom de son père et du père de JFK. Une manière de marquer le coup, d’assurer un avenir. Mais aussi une porte ouverte à de perpétuelles comparaisons. Il est abstème, paraît introverti et juvénile, mais affirme toutefois -timidement- ses convictions politiques ainsi que ses valeurs à la manière d’un John accédant à la Maison-Blanche à 43 ans. Ou d’un Ted devenant sénateur à 30 ans. Comme tout Kennedy, il est démocrate et catholique. Un démocrate-libéral en faveur du contrôle des armes. Un démocrate-libéral que l’on a aperçu le 8 juin dernier à la Gay Pride de Boston, aux côtés de son ami le basketteur Jason Collins. Un démocrate-libéral pro-choix, qui défend le droit à l’avortement. Un démocrate-libéral qui soutient les différentes réglementations sur l’écologie et le développement durable.

Un Kennedy sans expérience ?

Lors de la Convention démocrate de septembre 2012, il porte aux nues le travail d’ « Uncle Teddy », continuant sa timide ascension sur la scène politique sans toutefois se montrer. La même année, une campagne l’oppose au républicain Sean Bielat. Gene Lavanchy, présentateur de Fox 25 WFXT, n’a de cesse d’insister sur son manque de réelle expérience ainsi que sur son patronyme : « Y a-t-il une autre raison pour laquelle vous êtes favori, autre que celle de votre nom ? » Sean Bielat renchérit, discutant les quelques 4 millions de dollars du jeune candidat: « Il espère que son nom suffira, que son argent suffira […] Je pense que l’expérience compte et qu’il n’en a pas ». Seulement, de l’expérience, Joe Kennedy en a. Il s’engage en 2004 pour deux ans dans les Corps de la Paix (créés cependant par JFK) en République Dominicaine, devient consultant pour le président du Timor Oriental et chargé d’études pour le Programme des Nations Unies pour le développement. Enfin, en septembre 2011, il est nommé procureur de district dans l’État du Massachusetts. Reste à savoir en quoi la conjoncture peut être favorable au jeune représentant.

Le biais médiatique de la Fox n’empêche pas JPK III de se défendre. Son nom et ses ressources financières ne doivent plus entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de servir sa circonscription et son pays. Il a des valeurs et des idées. « À chaque fois [Sean Bielat] revient sur ma famille et mon expérience. Je pense que c’est juste une distraction qu’il utilise pour fuir les questions politiques ». Ainsi, quand on considère les objectifs de JPK III, on remarque que ce dernier est très au fait des problèmes politiques, économiques et sociétaux auxquels font face les États-Unis, à savoir l’emploi, le budget, la sécurité intérieure et l’immigration. Sur son site Internet, kennedy.house.gov, on peut évaluer ses positions sur ces questions principales.

Un discours démocrate gagnant ?

Crédits -- Melyna Lemonaris/Le Journal International
Crédits -- Melyna Lemonaris/Le Journal International
Lorsqu’il s’agit d’économie, « promouvoir la croissance et le plein emploi dans le 4ème district du Massachusetts est [sa] principale priorité au Congrès ». Nommé président du conseil consultatif sur les STEM (Sciences de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques) par le gouverneur Deval Patrick, il met l’accent sur l’entreprenariat dans les secteurs de la biotechnologie et des énergies renouvelables. Il produit ainsi près de 40 % du PIB du Massachusetts. Lors d’une visite le 15 juillet à l’agence d’emploi de Taunton, Kennedy a déploré le manque de compétence et le taux de chômage (7,5 %), notamment dans les secteurs de l’industrie. En août dernier, il a d’ailleurs introduit un projet de loi, le Revitalize American Manufacturing and Innovation Act of 2013, visant à développer la recherche via un réseau d’instituts régionaux. Il a aussi déclaré appuyer une possible réforme du code fiscal américain, une priorité du 113e congrès qui se fait toujours plus compliquée.

Concernant le budget justement, Kennedy soutient la « Buffett Rule », cette proposition de Barack Obama et de Warren Buffett qui affirme qu’« aucun foyer gagnant plus d’un million de dollars par an ne devrait payer moins d’impôt qu’une famille de classe moyenne ». Introduite en 2011, la « Buffett Rule » n’était pas un projet de loi pour l’exercice fiscal de 2013, mais plutôt une directive à suivre. En termes de santé, Kennedy défend naturellement l’Obamacare de 2010, bête noire des républicains. Il s’est opposé lors de sa campagne au Path to Prosperity du représentant Paul Ryan, qui entendait le supprimer pour l’année fiscale 2012.

Enfin, concernant les questions de société, le site On the Issues fournit davantage d’informations. Kennedy soutient, conformément aux directives de son parti, la loi bipartisane sur l’immigration, décriée par le président de la Chambre John Boehner, visant à naturaliser 11 millions de sans-papiers. Il se porte contre le Defense of Marriage Act qui définit le mariage entre un homme et une femme, mais dont la section 3 a été abrogée le 26 juin dernier par la Cour Suprême. Il souhaite garantir l’égalité des salaires hommes-femmes et a voté en faveur d’une loi entendant assurer la sécurité des femmes victimes de violences conjugales ou extérieures le 22 janvier dernier.

Des projets parfois déséquilibrés

Kennedy siège au comité sur les affaires étrangères (sous-comités sur le terrorisme, la non-prolifération et le commerce + Moyen-Orient et Afrique du Nord) et au comité sur la science, l’espace et la technologie (sous-comités sur l’énergie et l’espace). Jusque-là, il n’a introduit que deux projets devant la Chambre. La proposition H.R.915, introduite le 28 février 2013, demande ainsi la création d’un « mémorial pour célébrer l’instauration des Corps de la Paix ainsi que les idéaux d’une paix et d’une amitié entre les pays sur lesquels ils sont fondés. » Là encore, Kennedy semble vouloir à tout prix glorifier son héritage familial. De plus, le projet paraît particulièrement hors de propos face aux réels problèmes du pays. L’autre, la proposition H.R.293 introduite le 8 août 2013, demande l’attribution de la médaille d’or du Congrès à Shimon Peres.

Néanmoins, si un représentant peut être l’instigateur d’un projet de loi, il peut aussi en coprésenter ; il accepte alors de travailler avec d’autres représentants s’il estime le projet viable. Joe Kennedy a, à ce jour, coprésenté 97 projets de loi et résolutions. Elles concernent les discriminations faites aux sikhs américains, l’introduction d’un amendement sur l’égalité hommes-femmes, le renforcement de la sécurité dans les ambassades et consulats américains, un partenariat stratégique avec Israël ou encore les prêts étudiants.

S’il s’est créé jusque-là un réel bagage politique au sein de la Chambre, les tendances actuelles, accompagnées de surcroît des besoins de l’État et du peuple américain ne permettraient pas à Kennedy d’évoluer politiquement dans l’immédiat.

De représentant à sénateur ?

En novembre 2014 auront lieu les élections de mi-mandat visant à renouveler le Sénat, la Chambre des représentants et les gouverneurs de quelques États. Concernant l’accession au Sénat dans l’État du Massachusetts, seul Ed Markey s’est déclaré du côté démocrate. Il est l’actuel sénateur remplaçant John Kerry après avoir remporté les élections partielles de juin 2013 à 54 %. La sénatrice démocrate Elizabeth Warren, élue en 2012, terminera son mandat en 2018. Ainsi, Joe Kennedy ne pourrait se présenter qu’à la succession de John Kerry (ou Ed Markey), élu en 2008. Cependant, il semblerait illusoire pour JPK III d’espérer affronter Ed Markey lors des primaires de septembre 2014. Si « Uncle Teddy » a été élu sénateur à 30 ans en 1962, les circonstances ne sont pas les mêmes aujourd‘hui. Outre-Atlantique, on ne se prive pas de rappeler que Kennedy est un « freshman », un novice. D’après une enquête réalisée par MassInc Polling Group, Ed Markey est donné vainqueur à 45 % contre Scott Brown (38 %). Joe Kennedy III ne peut donc aspirer à un siège au Sénat avant 2018 voire 2020.

S’il est inconcevable pour le jeune représentant de briguer un mandat de sénateur pour 2014, il l’est encore plus d’espérer obtenir la présidence en 2016. Il devrait alors s’opposer à de potentiels candidats comme Joe Biden ou Hilary Clinton dont le comité d’action politique The Ready for Hillary a obtenu près d’1,25 million de dollars en juin dernier. Ses opposants du côté républicain, Rand Paul, Jeff Bush et Chris Christie, seraient eux aussi difficiles à battre. Il serait enfin inopportun pour Kennedy d’être choisi comme colistier par un quelconque candidat démocrate, en raison de son manque d’expérience certes, mais surtout parce que le Massachusetts est historiquement démocrate. L’association serait donc vaine, à l’inverse de celle Johnson-Kennedy en 1960.

Pour l’heure, le capital sympathie dont jouit Kennedy lui permettra très sûrement d’être réélu à la Chambre des représentants, d’autant plus que les démocrates espèrent vivement la regagner. Il est possible qu’il change de comité au regard de ses nombreuses expériences acquises depuis le début de son mandat. Et même si absolument rien ne permet de le prévoir, peut-être deviendra-t-il un jour Mister President.

Notez


William Mouelle Makolle
Etudes anglophones. Passionné par l'histoire et la politique américaine. Admirateur de la... En savoir plus sur cet auteur