Kosovo : la violence s’invite aux élections locales

Jean-Samuel Lécrivain, membre de UN'ESSEC
21 Novembre 2013



Très attendues par Belgrade et Pristina et hautement surveillées par la communauté internationale, les élections du 3 novembre dernier au Kosovo ont été le théâtre d’épisodes de violence. Présentées comme une étape importante dans la normalisation des relations entre la Serbie et son ancienne province, ces élections sont-elles synonymes d’un échec international ?


Crédits photo -- Getty Images
Crédits photo -- Getty Images
Ces élections étaient les premières organisées depuis l’indépendance du Kosovo en 2008. Les bureaux de votes saccagés par des hommes cagoulés dans la région de Mitrovica nous rappelle que 5 ans plus tard les tensions sont encore extrêmement fortes. 

L’élection de tous les enjeux

Les Serbes, qui représentent moins de 10 % de la population, sont majoritaires dans le nord de ce pays. Les 90 % restant sont des Albanais. Depuis le départ des forces serbes en 1999, à la suite de l’intervention de l’OTAN, l’organisation Human Right Watch estime que plus de 200 000 d’entre eux ont été contraints de quitter la région du fait de violences et de persécutions. Ironie tragique de l’histoire alors qu’à l’issue de la Première Guerre mondiale, le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes s’était lancé dans une intense « désalbanisation » de la région.

L’enjeu de ces élections municipales était multiple et déterminant pour l’avenir de la région. En effet, le Kosovo, tout comme la Serbie, cherche à se rapprocher de l’Union européenne. C’est dans ce contexte que le processus électoral du 3 novembre apparaissait comme un test grandeur nature de l’accord de normalisation des relations signées par Belgrade et Pristina à Bruxelles. Une des conditions essentielles à l’amélioration de la situation et au bon déroulement du processus électoral était la participation de la minorité serbe kosovare aux élections, en particulier dans le nord du pays.

Cette participation des Serbes était censée permettre l’élection de représentants locaux à même de négocier avec Pristina. L’accord de Bruxelles prévoyait ainsi la création d’une Associations des Municipalités serbes, à laquelle le pouvoir central conférerait un certain degré d’autonomie dans le cadre de l’État kosovar. Cette association devait mettre un terme aux structures administratives parallèles financées par Belgrade et considérées comme illégales par la communauté internationale.


Le vote comme renoncement ?

Cette participation a tout de même été fortement remise en question au sein de la communauté serbe kosovare. Pour nombre d’entre eux, voter revenait à reconnaître de facto l’existence et la légitimité du Kosovo. Ainsi la simple présence de symboles de l’État kosovar dans les bureaux de vote avait suscité de vives réactions chez certains Serbes comme Krstimir Pantić, candidat aux élections municipales de la liste Initiative citoyenne serbe à Mitrovica. Quelques jours avant les élections, Krstimir Pantic s’insurgeait sur le plateau de la chaîne belgradoise TVPink de la présence de la mention « République du Kosovo » dans les bureaux de vote alors que l’accord signé par Pristina, Belgrade et l’UE prévoyait que seul le logo de la Commission Centrale Électorale du Kosovo soit présent. Rappelons qu’officiellement la Serbie considère toujours le Kosovo comme une de ses provinces, et qu’administrativement Pristina n’a quasiment aucune autorité sur les régions du nord. 

L’appel aux urnes de personnalités serbes comme le Premier ministre Ivica Dacic n’a vraisemblablement pas dissipé les craintes des Serbes kosovars, comme en témoigne le taux de participation de 13 % dans les régions à majorité serbe. Ce dernier avait ainsi déclaré à l’agence de presse Tanjug : « Leur destin doit être dans leurs propres mains, et non dans les mains d’extrémistes de droite qui poussent les Serbes vers une catastrophe ». Les auteurs des violences dans les bureaux de vote de Mitrovica Nord font partie de ces extrémistes, résolus à faire échouer toute tentative de conciliation.

Alors que la France se félicite du bon déroulement général des élections marquant une étape importante vers l’établissement d’un État de droit, le porte parole du gouvernement serbe, Milivoje Mihajlovic, affirme que les évènements du 3 novembre représentent « la faillite de la démocratie ».

Le faible taux de participation et les épisodes de violence auront pour principales conséquences, et peut-être pour but, de questionner la légitimité des futurs élus. Sans reconnaissance suffisante de la part des Serbes, toute tentative de négociations entre ses représentants et le gouvernement kosovar est vouée à l’échec, gelant toute intégration administrative - aussi ténue soit-elle - du nord de la région au Kosovo.

Aide ou ingérence : une souveraineté en trompe-l’oeil ?

Ces violences soulignent donc l’échec des forces de police du Kosovo soutenues par la mission de l'Union européenne au Kosovo (EULEX) et ses unités spéciales, ainsi que par les forces de l'OTAN déployées dans le cadre de la Kosovo Force (KFOR), qui n’ont pu garantir le bon déroulement des élections. Ni le Kosovo, ni ses « superviseurs » internationaux n’ont ainsi pu permettre aux Serbes kosovars de prendre pleinement part aux élections.

En effet, si les violences se sont globalement limitées à trois bureaux de vote, ce sont tous les bureaux du nord de la région qui ont été fermés plusieurs heures avant la fin officielle des élections. Toute la journée, devant ces bureaux, des partisans du boycott avaient monté la garde afin de dissuader d’éventuels électeurs d’aller voter. En ce sens, la nature démocratique du processus électoral paraît très fortement compromise dans les régions du nord, sans compter le vote par correspondance dont le contrôle parait douteux. C’est dans ce contexte que la décision prise à Bruxelles par Catherine Ashton et Hashim Thaçi d’annuler le scrutin uniquement dans trois des bureaux de votes de Mitrovica fait débat.

Derrière cette décision, c’est la supervision même du Kosovo par les instances supranationales qu’il faut envisager. Ainsi, la mission d’encadrement et de surveillance des élections n’a pas été confiée au Comité électoral du Kosovo mais à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Dès lors, les décisions prises par Bruxelles apparaissent comme fortement politiques. Même si l’on peut louer leur motivations, à savoir accélérer le règlement et la normalisation de la situation, ces dernières peuvent sembler contre-productives. Ce n’est pas sans rappeler lorsqu’en 2010 l’UE avait fermé les yeux sur un certain nombre d’irrégularités dans le déroulement des élections du gouvernement kosovar.

Crédits photo -- Reuters
Crédits photo -- Reuters
De telles interventions minent la légitimité du gouvernement.Car si dans l’absolu ces élections permettent à Bruxelles de disposer d’interlocuteurs sur le terrain, leur manque de légitimité, réel ou supposé, représente un frein à toute amélioration. Certains Serbes s’en prennent ainsi au soi-disant parti pris européen, alors que de nombreux Kosovars rejettent « l’ingérence internationale » avec parmi eux les membres de Vetëvendosja (Autodétermination), qui réclament le rattachement de la province sécessionniste à l’Albanie voisine.

La tutelle internationale sur le jeune État kosovar, bien que théorique depuis le 10 septembre 2012 (date à laquelle le pays s’est vu officiellement reconnaître la « pleine souveraineté sur son territoire » reste de facto très présente. Dimanche dernier, la tenue de nouvelles élections dans de bonnes conditions, dans les 4 districts touchés par les violences le 4 novembre dernier, est néanmoins à mettre au crédit de l’OTAN et de l’Union européenne. Le déploiement de moyens exceptionnels dans la région de Mitrovica a en effet permis le déroulement du scrutin dans le calme, avec une participation en hausse par rapport au 3 novembre, atteignant plus de 20 %.

Une telle hausse demeure difficile à interpréter. Est-elle le fruit des appels renouvelés de Belgrade désireuse d'accélérer la réception de sa candidature à l’UE ou le résultat de la crainte de voir des Albanais être élus dans ces régions majoritairement serbe ? Une chose est sûre : avec un tel taux de participation, l’intégration politique des enclaves serbes à l’État kosovar et le règlement de la situation demeurent encore lointains.


Site officiel de UN'ESSEC

Notez