L'Ukraine coincée hors de l'Union

Yuri Martynenko, correspondant à Kiev, Ukraine
7 Juin 2013



Profondément enracinée dans la vie quotidienne depuis des décennies, la corruption est devenue un obstacle majeur à l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne. De nombreuses révélations ont éclaté au grand jour, mais la lutte contre ce fléau est loin d'être terminée.


Les nombreux projets de coopération entre Ukraine et UE ne mènent pourtant pas à l'intégration de l'ex-République soviétique.
Les nombreux projets de coopération entre Ukraine et UE ne mènent pourtant pas à l'intégration de l'ex-République soviétique.
Comme beaucoup d’autres grandes villes, Kiev - capitale de l’Ukraine - a ses symboles, lesquels ont fait sa réputation et sa singularité. Depuis des siècles, les marronniers ont marqué le visage de cette ville : les arbres qu’on retrouve partout dans le centre-ville abritant les flâneurs des rues principales sont entrés dans le folklore local et symbolisent la capitale. En mai 2013, le scandale des « faux marronniers » a fait les gros titres de la presse ukrainienne.

En octobre dernier, les autorités municipales ont mis la main à la pâte pour planter 289 marronniers à fleurs rouges « Briotii » qui devaient remplacer des arbres d’une autre sorte, moins résistants aux insectes et au climat. La mairie s’est montrée généreuse : 4 millions de hryvnias (l’équivalent de 400 000 euros) du budget municipal ont été assignés à la décoration de la rue principale Khreshyatyk avec ces arbres venus d’Italie. Au printemps, les habitants de Kiev ont eu la surprise de découvrir que les marronniers avaient été remplacés par une autre sorte d’arbre : au lieu des Aesculus carnea Hayne, une espèce coûteuse de très bonne qualité, ce sont des arbres à fleurs blanches plus qu’ordinaires qui ont envahi la ville. Aujourd’hui l’affaire est entre les mains du parquet. Une seule question : comment la ville a-t-elle pu surpayer les fournisseurs pour un montant considérable et comment s’est-elle enrichie grâce à cette affaire lucrative ? Le chef de l’administration de la ville de Kiev, Oleksandr Popov s’est contenté de démettre le responsable de la plantation de ses charges. Pour l’instant, aucun licenciement, aucune arrestation, et aucune trace de l’argent volé.

Si cela ne choque pas la plupart des habitants, c’est parce que ce cas n’est pas isolé en Ukraine. Héritage de l’époque soviétique, le manque de transparence concernant les dépenses publiques continue à favoriser la corruption à laquelle la société s’est accommodée.

Malgré leur vigilance et les nombreuses investigations, les médias ne changent pas la donne. Que l’on révèle un achat de framboise pour les besoins du gouvernement à dix fois son prix réel sur le marché, ou bien une autoroute toujours pas construite alors que le budget public alloué a déjà été dépensé, le résultat reste le même.

Champion de la corruption

Ce n’est donc pas une surprise que, face au mécontentement quasi inexistant de la population, l’Ukraine reste en queue de peloton dans le classement des États les plus corrompus. D’après l’ICP, l’indice de perception de la corruption, publié chaque année par l’ONG Transparency International, en 2012, l’Ukraine était classé au 144ème rang mondial. L'année précédente, le résultat était plus inquiétant : 152ème.

En outre, le Groupe d’États contre la Corruption (GRECO) a récemment constaté que l’année dernière, l`Ukraine n’était pas parvenue à adopter des vraies réformes pour renforcer sa politique anticorruptionnelle. L’enjeu est pourtant crucial à l’avancement du processus de libéralisation du régime de visas entre Kiev et l’Union européenne.

Si pour Thorbjørn Jagland, le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, la corruption est « la plus grande menace qui pèse sur la démocratie en Europe ». Dans le cas de l’Ukraine, la corruption menace la démocratie mais pas seulement. La lutte contre la corruption est également essentielle à la survie de l'économie du pays. Un système économique opaque et corrompu fait fuir les investisseurs internationaux et mène à une monopolisation d'industries entières par des oligarchies. Les groupes financiers, tels que Commerzbank, SEB Group et Swedbank, ont déjà quitté le marché ukrainien ou réduit leurs opérations au maximum. En même temps, les marques internationales reconnues dans le monde et familières des Européens depuis des décennies comme Starbucks ou IKEA, n’ont jamais réussi à entrer sur le marché ukrainien sous-développé, où le travail transparent n’est pas garanti.

L’Ukraine, où les entrepreneurs se plaignent régulièrement des actions répressives de la part des organismes fiscaux, reste peu attractive au niveau international. Avec des reformes inutiles et une habitude à fermer les yeux sur les enquêtes menées par les journalistes sur les dérives corruptionnelles, les négociations sur l’avenir de l’Ukraine à Bruxelles s’avèrent très compliquées pour les autorités. Et alors que l'intégration à l’UE reste à l'ordre du jour, l’éradication de la corruption est un enjeu principal.

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