La grande coalition autrichienne en péril ?

Thierry Avice
8 Septembre 2014



Le 29 septembre 2013, la grande coalition ÖVP (Österreichische Volkspartei – Parti populaire autrichien) – SPÖ (Sozialdemokratische Partei Österreichs – Parti social-démocrate d’Autriche) est réélue à la tête de du gouvernement fédéral autrichien. Si cette configuration politique et idéologique peut être considérée comme un leitmotiv de la Deuxième République d’Autriche (depuis 1945, la grande coalition a ainsi dirigé dix-huit gouvernements fédéraux), la récente démission du vice-chancelier conservateur Michael Spindelegger (ÖVP) laisse aujourd’hui la coalition rouge et noire dans l’inconnu.


Crédit DR
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« Il faut savoir quitter la scène quand on ne sait pas jouer plus longtemps la comédie. » La phrase est d’Arnaud Montebourg, prononcée le 26 août 2014 lors de sa passation de pouvoir à Emmanuel Macron, nouveau ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Le même jour, à Vienne, Michael Spindelegger organise une conférence de presse pour annoncer sa démission des postes de vice-chancelier autrichien, de ministre des Finances, et de président du Parti populaire autrichien. L’ex-vice-chancelier aurait pu reprendre la citation d’Arnaud Montebourg à son compte. Si les profils idéologiques de ces deux personnalités politiques diffèrent considérablement, les circonstances de leur démission sont toutefois similaires : dans les deux cas, la démission résulte d’un désaccord vis-à-vis de la politique économique du gouvernement.


La politique fiscale autrichienne au centre du débat

Dès sa nomination à la tête du ministère des Finances en 2013, Michael Spindelegger s’affirme comme partisan d’une politique budgétaire de réduction de la dette publique. L’Allemagne d’Angela Merkel incarnerait ainsi l’exemple d’une politique financière rationnelle, tandis que l’expérience grecque prouverait que toute tentative de réforme fiscale serait vouée à l’échec. M. Spindelegger privilégie un allègement fiscal et des réformes structurelles du marché du travail, comme la flexibilisation du droit du travail, visant à améliorer la compétitivité des entreprises autrichiennes.
L’autre objectif de M. Spindelegger est donc la lutte contre la dette publique, que la coalition a promis en 2013 de ramener à 71,5% du PIB d’ici 2018. Objectif déjà mis à mal par les derniers chiffres publiés, puisque la dette publique de la République des Alpes est en augmentation.

Mais l’ÖVP n’est pas seul au gouvernement et doit composer avec le SPÖ social-démocrate, dont la réforme du système fiscal était une des principales promesses de campagne en 2013. Au programme de cette réforme soutenue par le chancelier Werner Faymann (SPÖ) : la mise en place d’un impôt sur les grandes fortunes, combattu par M. Spindelegger, qui considère cette réforme comme « une goutte d’eau dans l’océan » Die Millionärssteuer ist ein Tropfen auf den heißen Stein »).

En conflit avec le chancelier et contesté au sein de son propre parti, notamment par G. Platter, J. Pühringer et M. Wallner, gouverneurs ÖVP du Tyrol, de la Haute-Autriche et du Vorarlberg, Michael Spindelegger a donc préféré « quitter la scène » et quitter tous ses mandats politiques plutôt que d’accepter une réforme fiscale en laquelle il ne croit pas. 

Une démission, quelles conséquences ?

Le jour même de la démission de M. Spindelegger, le tabloïd Kronen Zeitung  parle d’un « choc » qui ébranle non seulement le parti populaire autrichien, mais aussi la cohérence de la grande coalition au pouvoir.
Faisant écho à une situation récemment connue par l’UMP en France, le parti conservateur ÖVP se retrouve donc le 26 août sans leader. Après de longues discussions, c’est finalement le ministre de l’Économie Reinhold Mitterlehner, 59 ans, qui remplace M. Spindelegger à la tête du parti. 

C’est ce même R. Mitterlehner qui devient également vice-chancelier et qui aura la lourde tâche de faire survivre, malgré les conflits idéologiques qui la menacent, la grande coalition. Si la profondeur des désaccords semble alarmante, le chancelier W. Faymann se montre toutefois optimiste : « La coalition tiendra jusqu’en 2018 » (« Koalition wird bis 2018 halten »), a-t-il assuré. Pour assurer la stabilité des gouvernements ultérieurs, une réforme constitutionnelle pourrait, selon Christoph Leitl, président de la Chambre de commerce fédérale, être adoptée : le vice-chancelier ne pourrait plus diriger d’autre ministère en addition de son premier mandat. 

La tradition de grande coalition menacée ?

L’effondrement de la grande coalition ÖVP-SPÖ pourrait profiter au Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ – Freiheitliche Partei Österreichs), formation d’extrême droite dirigée par le charismatique Heinz-Christian Strache. Arrivé en troisième position des élections législatives fédérales de septembre 2013 avec 20.5% des suffrages exprimés, le FPÖ bénéficie en Autriche d’une dynamique ascendante, qui doit notamment beaucoup à un électorat de plus en plus jeune, lassé par la traditionnelle coalition rouge et noire. Dans ce contexte, des élections anticipées pourraient bien profiter à un Parti de la liberté déterminé, à s’emparer des plus hautes fonctions exécutives.

L’affaiblissement de la grande coalition peut être considéré dans le cadre plus global de la mutation générale de la politique autrichienne depuis le début des années 1980. L’examen de la répartition des voix aux différentes élections législatives depuis 1945 s’avère, à cet égard, très intéressant : les voix cumulées du SPÖ et de l’ÖVP atteignaient ainsi 94.4% des suffrages exprimés en novembre 1945, contre seulement 50.81% à l’élection de septembre 2013.
Cette érosion de la grande coalition profite essentiellement, depuis 1983, à l’extrême droite, qui a progressé de plus de quinze points en vingt ans. La démission de Michael Spindelegger pourrait ainsi être considérée comme une étape de plus de la transition de la Deuxième République d’Autriche du bipartisme au multipartisme.

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