Le Mexique, terre de merveilles

11 Août 2015



Cela s’appelle communément un « coup de tête ». C’est lors d’une froide soirée de décembre, autour d’une bière à la qualité passable dans un bar canadien que cela s’est décidé : «Ça vous dirait de faire un road trip pendant un mois ? ». Entre deux regards incrédules et une poignée de main ahurie, deux amies et moi avons décidé de partir au Mexique.


Le grand départ

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Une grande excitation et une préparation à tâtons succèdent à l’appréhension. On nous demandait de faire attention à la violence et au trafic de drogue, et nous quittions Toronto anxieuses. C’est cramponné à nos passeports et cartes de crédit que nous arrivons à la gare routière de Mexico City pour nous rendre au nord à Guanajuato, le dos tendu, les épaules raides. A l’abord de la porte d’embarquement, un portique de sécurité nous attendait, arboré d’un panneau d’affichage « SE BUSCA », le « WANTED » mexicain, où s’alignaient les visages de dizaines de criminels aux regards noirs et aux traits durs. De quoi être rassurées.

Guanajuato, festival des sens

Après sept heures de bus, nous arrivons de nuit à Guanajuato, sans savoir à quoi nous attendre. Le lendemain, les premières lueurs du jour nous gratifiaient d’une vue à couper le souffle sur les sublimes couleurs des maisons.
Guanajuato mettait déjà la barre très haute pour la première étape d’un long périple. Ville natale de Diego Rivera, autrefois le bastion des colons espagnols venus exploiter les mines d’argent, Guanajuato était une des régions les plus riches de la Nouvelle Espagne au 18e siècle. Elle est réputée pour ses rues paisibles aux couleurs exceptionnelles, pour sa culture et son université, mais surtout pour le musée des momies, contenant les macchabées les mieux conservés au monde - dont on peut encore distinguer les poils sur les jambes et le visage.

Ces trois jours à Guanajuato ont été une escapade hors du temps. Comme une envie de tout lâcher. C’est également là que nous avons compris que le Mexique était sans doute un des pays où les idées préconçues salissent le plus une réalité bien plus lumineuse. Le Mexique est accueillant, chaleureux, plein de musique, de couleur et de vie, qu'une grande criminalité vient ternir. Un phénomène dont les traits sont accentués par les médias étrangers, pourtant éloigné de beaucoup de ses habitants.

Puebla, la cité aux cent églises

Le cœur lourd, nous partons de notre somptueux cocon et nous dirigeons vers Puebla, au sud de Mexico City. Sur la route, la misère ne semble pas moins pénible au soleil. Le réseau routier mexicain est en pleine expansion et sur des dizaines de kilomètres nous voyions ses ouvriers se tuer à la tâche. Ces pauvres bougres, le visage noir couvert d’asphalte sous un soleil à en faire fondre la pierre.

La mondialement célèbre fête du « Cinco de Mayo » trouve son origine à Puebla. Lors d’une bataille contre les troupes de Napoléon III qui voulaient prendre le contrôle de la ville, l’armée mexicaine bouta le corps expéditionnaire français le 5 mai 1862, ajoutant une pierre à l’édifice de la fierté de l’indépendance du Mexique. Nous arrivons pendant la semaine de célébration, faisant du Zocálo, la place principale au centre de la ville, le lieu de rendez-vous des familles et des attractions foraines. Une forêt d’églises occupe la ville, autrefois centre religieux et stratégique pour la conquête et l’évangélisation des autochtones par les espagnols. Le charme de Puebla réside dans ses bâtisses aux façades de faïence et de mosaïques, malheureusement souillées par une sévère pollution de l’air.

Non loin de là se trouve Cholula, une petite ville connue pour les ruines d’un temple mésoaméricain construit au pied d’une colline, détruit par le temps et surplombé de l’église Nuestra Señora de los Remedios qui ne pourrait incarner une plus évidente domination des Européens sur les civilisations originelles. Malgré la vue splendide qu’offre l’église sur Cholula et sa vallée, notre béatitude n’eut d’égale que notre désolation lorsque nous peinons à respirer correctement et que nous ne pouvons voir le volcan Popocatépetl au loin, noyé par les particules fines d’une pollution épaisse.

Ce jour là, c’était la fête des mères, autrement dit, la fête de la Vierge Marie au Mexique. Processions et feux d’artifices se sont enchaînés toute la journée, faisant honneur à la réputation de bons vivants des Mexicains. Nos oreilles ont du mal à supporter le bruit omniprésent, et nous partons nous réfugier dans la galerie souterraine du temple, aux couloirs exigus et aux secrets mystiques qui ont sans doute encore beaucoup à dévoiler.

Oaxaca, terre de merveilles

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Nous quittons Puebla et le trajet en bus vers Oaxaca city s'est révélé unique. Malgré les ronflements imperturbables du voisin de devant, le spectacle qui s’offrait à nous n’appelait qu’à la contemplation. Des champs de cactus à perte de vue, des déserts, puis des montagnes, des terres d’ocres, puis arides, puis tropicales. C’est ce qui fait la richesse de la région d’Oaxaca : on s’assoupit deux minutes, et quand on rouvre ses yeux, c’est comme un autre pays que l’on semble découvrir.

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Nous quittons la belle ville d’Oaxaca, ses arbres tropicaux, ses rues paisibles et colorées et ses jardins exceptionnels pour une petite escapade a Hierve el Agua, site naturel bien connu des touristes où des milliers d’années de jaillissement de l’eau d’une montagne ont formé une piscine en terrasse sur son flanc. Entre deux bus de visiteurs admirant le paysage à travers l’écran de leur appareil photo, nous avons réussi à nous retrouver seules face à une vallée de merveilles.

Nous dormons chez l’habitant dans la petite ville de Mitla réputée pour les ruines d’un temple zapotèque magiquement bien conservé. Un havre de paix où il fait bon vivre et où le spectacle de milliers d’années d’histoire ne semble plus déranger personne et fait partie du quotidien. L’ancien temple offre à voir des détails exceptionnels de l’architecture zapotèque, et l’on peut encore distinguer les fresques de ce qui était autrefois des habitations.

L’herbe est-elle plus verte sur la côte pacifique ?

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Prochaine étape, Mazunte, un petit village en bord de mer sur l’océan pacifique. Nous décidons de ne plus prendre le bus mais une camionnette, moins chère, et peut être plus rapide. Après neuf heures de supplice dans la jungle mexicaine sur les routes aux virages à angles droits bordés de vide, le tout à 90 km/h en moyenne, nous arrivons la sueur au visage, la nausée au cœur à Puerto Escondido. Impossible de dormir. Il ne fait que 26°C, mais nous tentons de survivre aux 98% d’humidité.

Départ pour Mazunte, en espérant que l’air de la mer nous offre un peu de répit. Que nenni, c’eut été trop beau. Une cinquantaine de piqûres de moustiques par jour, des douches à répétition pour ne pas fondre et une mer déchaînée par une tempête récente. Le village est connu pour être un repère de hippies sur le tard vous gratifiant d’un «namasté » les mains jointes. C’est moins la reconversion de Mazunte - autrefois village de pêcheurs et site naturel de reproduction des tortues de mer, en capitale mexicaine du yoga que la mygale trouvée dans nos affaires qui a fait déborder le vase déjà plein et qui nous a fait mettre les voiles.

La magie de Mexico City

Le cœur léger, nous filions vers la capitale. Après quelques minutes à déambuler pour trouver l’auberge, nous prenons la mesure de l’endroit ou nous nous trouvions : comment allions nous survivre ? Des milliers de personnes, partout, sans arrêt, les klaxons, le bruit, la pollution, la fumée des grillades de rues... Pas de doutes, nous étions bien dans la douzième plus grande ville du monde. Après une première nuit dans une auberge à la propreté douteuse et aux cafards à la santé de fer, nous explorons les ruelles de la ville.

Les frontières de la ville semblent sans fin alors que nous marchons sans cesse. Nous visitons la Plaza Mayor, le cœur de la ville, où peut-être 40 000 personnes s’y agglutinent déjà à dix heures du matin. Mais la fatigue nous a pourtant permis d’avoir un maigre aperçu de la splendeur de la culture mexicaine. La capitale à elle seule compte des dizaines de fresques de Diego Rivera, la splendide galerie de l’Université de Mexico, les ruines du Templo Mayor encerclé des restes de ses destructeurs espagnols, la maison de Frida Kalho, des centaines d’églises qui semblent s’être embourbées dans le sol autrefois marécageux lorsque les conquistadores vinrent fonder Mexico City.

Pourtant la capitale du Distrito Federal n’est pas seulement un musée à ciel ouvert. C’est une ville branchée, jeune, avec ses coffee-shops et ses bars hipsters ; elle n’échappe pas aux phénomènes de gentrification et d’uniformisation culturelle et contraste sévèrement avec certaines régions très rurales, et souvent très pauvres. Mexico City est extrêmement riche dans certains de ses quartiers, avec des demeures somptueuses dont le prix s’élèvent parfois à plusieurs millions de dollars. Carlos, homme d’affaire mexicain et patron de la compagnie Telmex, était d’ailleurs l’homme le plus riche du monde en 2013.

Le quartier de La Roma était certainement le plus agréable : un petit havre de paix à éloigner d’une vie polluée et à cent à l’heure, qui abrite des cafés branchés où des mexicains et expatriés brunchent les dimanches midi, à l’ombre d’arbres centenaires.
C’est parfois difficile de respirer à Mexico, nous haletons après avoir gravi quelques marches d’un escalier, en manque d’air pur. Mais les matins y sont frais et nous prenons nos petits déjeuners comme ceux qui partent travailler : dans la rue où s’alignent de petits vendeurs de jus frais – moins frais qu'à d'autres étapes du voyage, et surtout bien plus chers...

Un matin, petite escapade sur le site de Teotihuacan, l’un des temples mésoaméricains les plus importants où vivaient autrefois plus de 50 000 personnes. Une prouesse architecturale et humaine qui témoigne d’une culture millénaire et fondatrice déjà trop en avance sur son temps.

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Vingt-cinq jours. Presque un mois s’est écoulé, en un éclair. Une chevauchée onirique au cœur des temples Mayas, des troupes d’Hidalgo, des champs de cactus, des avocats tendres et des mangues à la chair de velours. Des rencontres, des goûts, des couleurs, des odeurs, des images, le Mexique est un royaume de richesses, une terre aux trésors où même toute une vie ne suffirait pas pour en découvrir les secrets les plus enfouis. Enfourchez vos sacs à dos et ouvrez vos mirettes, une terre de merveilles s’offre à vous.

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Mathilde Grenod
Master's student in New Media and Digital Culture at the University of Amsterdam. Spending my free... En savoir plus sur cet auteur