Le beau et le sain à l’épreuve du crime

Anaïs Schaaf
22 Juin 2014



Le blanc semble être la couleur du crime. Au départ, on l’envisageait à « l’arme blanche », ensuite débarquèrent nos criminels « en col blanc ». L’on parle de « blanchiment » d’argent. Pour autant, l’imagination des délinquants s’avère sans limites et, à l’heure actuelle, nous assistons au développement d’une criminalité en blouse blanche. Nous devrions peut-être même parler de « blouses blanches » au pluriel, car ce sont plusieurs types de professions qui sont concernés par cette nouvelle forme de délinquance.


Crédit Frisco et Jean-Claude Bartoll
Crédit Frisco et Jean-Claude Bartoll
Il ne sera pas ici question des infractions « classiques ». Point de meurtres, de tortures. Nous allons parler de criminalité sans sang, ou en tout cas, sans sang apparent. Les amateurs de films d’horreur peuvent immédiatement arrêter leur lecture. A en croire les études récentes en matière de criminalité organisée, deux secteurs tirent leur épingle du jeu et brassent des profits conséquents : le trafic de médicaments contrefaits, mais aussi, l’art comme moyen de dissimuler des processus de blanchiment d’argent.

Prendre un médicament, aller au musée sont des actes anodins pour tout un chacun. Et si finalement, nos armoires à pharmacie et nos lieux de culture étaient les nouveaux lieux « à la mode » pour les criminels ?

Des tableaux pour les escrocs ?

Depuis la nuit des temps, la création fait partie du quotidien des êtres humains. La grotte de Lascaux peut en témoigner : l’Homme a toujours cherché à créer, avec plus ou moins de succès. Lorsque ce dernier est au rendez-vous, la fortune suit immédiatement, pour peu que l’artiste soit encore vivant à ce moment-là. Pour autant, et il est regrettable de le souligner, ce sont souvent davantage des intermédiaires qui profitent de cet argent que les créateurs eux-mêmes. Ces intermédiaires, hélas, ne sont malheureusement pas toujours les plus honnêtes et ne se limitent pas à la seule valeur artistique d’une œuvre d’art.

Comme nous l’avons précisé, le marché de l’art est un marché juteux qui ne semble pas connaître la crise. En novembre dernier, le quotidien « USA Today » s’est d’ailleurs posé la question de savoir si l’art n’était pas devenu une entreprise criminelle tant les ventes d’automne sur le marché de l’art new-yorkais se révélaient fructueuses. S’il est vrai que les individus fortunés ont toujours revendiqué un goût certain pour les œuvres d’art, là n’est sans doute pas la seule explication. Le marché de l’art est couvert d’un voile opaque qui profite amplement à des activités nettement moins louables : le blanchiment d’argent ou encore la fraude fiscale.

Il est en effet assez aisé de réinvestir le produit du crime dans des œuvres d’art : ces dernières représentent des « valeurs refuges », mais surtout, les prix peuvent augmenter ou diminuer de plusieurs millions en un instant et leur valeur est subjective. Il est donc assez aisé de manipuler les prix et de dissimuler des fonds illicites. Ainsi pouvons-nous lire les déclarations d’un marchand d’art disant à sa riche cliente que si les autorités fiscales l’interrogent sur le versement élevé d’argent qu’elle lui consent, elle doit répondre avoir investi dans un Picasso. Le beau, devenu cher, devient aussitôt criminel. En outre, les noms des acquéreurs et des vendeurs restent secrets, ce qui permet de construire un marché obscur efficace en cas de fraude fiscale. Afin d’endiguer ce phénomène, la Commission européenne a imposé aux galeries d’art de signaler tout acquéreur d’une œuvre de plus de 7500 euros. Cette mesure, bien que louable, n’est cependant pas suffisante face à un marché de l’art mondial et mondialisé. Les riches acquéreurs n’hésitent pas à traverser les océans pour dépenser leur argent, et c’est finalement le marché légal de l’art qui pâtit de cette mesure puisque la confidentialité est essentielle pour ces derniers.

Utiliser des chefs d’œuvre pour cacher des profits illicites et transférer des biens à travers le monde est une entreprise absolument abjecte, mais les « crimes artistiques » ne se limitent pas à cette dernière. Les faussaires de toute espèce n’hésitent pas à se répandre, dupant les particuliers, et même les experts les plus avisés. A titre d’illustration, nous pouvons parler de l’« affaire Beltracchi ». Cet artiste allemand a reconnu avoir réalisé un nombre important de toiles falsifiées. Reproduire une toile chez soi n’est pas un crime en tant que tel, mais cet homme a réussi à tromper les meilleurs experts et à voir ses toiles exposées dans les musées les plus prestigieux. Shaun Greenhalgh, un artiste anglais a recouru au même stratagème, produisant plus de cent-vingt toiles falsifiées. Si ce dernier a été confondu, c’est simplement parce que les galeries d’art intermédiaires étaient localisées dans des endroits peu connus pour leur commerce artistique, mais davantage pour leur potentiel en matière de blanchiment : Malte, les Îles Vierges Britanniques par exemple.

Les méthodes de ces deux hommes étaient sensiblement identiques : produire des œuvres dont les historiens d’art soupçonnaient l’existence sans réussir à les localiser. Quand le frisson du savoir, de la connaissance, de la découverte est terni par l’appât du gain. Même si ces reproductions sont de qualité, quel blasphème face au génie des créateurs originels. Finalement, les œuvres que nous voyons dans nos musées sont-elles authentiques ? Telle est la question qui demeure. Les faussaires ayant été reconnus coupables prétendent que d’autres œuvres signées de leurs mains demeurent dans les temples mondiaux de la culture. Mais il est regrettable de constater que ce que l’être humain produit de plus beau puisse être sacrifié sur l’autel de l’argent facile.

Si cette activité se veut fort blâmable, elle n’en demeure pas moins non néfaste pour notre santé. Ce qui n’est pas le cas du second type que nous allons envisager : le trafic de médicaments contrefaits.

Du poison dans nos maisons ?

Depuis quelques décennies, la médecine s’est désacralisée, s’installant progressivement dans nos vies et nos habitudes. Prendre un médicament sans prescription préalable est un acte anodin. Avec l’apparition d’Internet, les médecins ont perdu de leur aura et il n’est pas rare de les voir être contredits par leurs patients. Les plus téméraires d’entre eux vont même jusqu’à acheter leurs produits sur Internet. Il convient immédiatement de nuancer mon propos : les acheteurs de médicaments en ligne ne sont pas uniquement des apprentis sorciers. Crise économique aidant, les tarifs proposés sont souvent plus attrayants que dans les pharmacies de quartier, et certaines personnes n’osent pas forcément acheter le médicament convoité en présentiel.

Si l’on se protège des virus sur Internet, on n’en fait pas autant s’agissant des remèdes et les ventes en ligne explosent, principalement s’agissant du Viagra, de Cialis (qui soigne les troubles de l’érection) ou de l’aspirine. Lorsque l’on considère que 62% des comprimés achetés sur Internet sont des contrefaçons, mieux vaut y réfléchir à deux fois avant de prendre sa petite pilule bleue. Que la santé était un marché, nous le savions déjà : les laboratoires pharmaceutiques sont attirés par le profit et pas uniquement par la volonté de soigner. Pour autant, ces derniers sont encadrés par des règles de production très strictes et sont astreints à des contrôles réguliers, sans compter les autorisations nécessaires à une mise en vente. En tant que « marché », il était évident que ce secteur allait attirer des « commerçants » nettement moins altruistes.

Une saisie exceptionnelle de médicaments contrefaits au Havre en avril 2014 a mis en lumière le phénomène. Pour autant, il n’est pas nouveau et sa croissance est exponentielle : on observe une hausse de 90% du trafic depuis 2005. Les motivations sont essentiellement économiques et ce commerce rapporte vingt fois plus que le trafic de drogue. Il suppose également beaucoup moins de personnes impliquées : il est possible de le mettre en place à partir de toutes petites équipes. A titre d’illustration, un couple a été confondu pour avoir ouvert une boutique illégale, vendant des produits contrefaits. Ce trafic a donc tout pour plaire : juteux, peu risqué et à partager avec peu de complices. En 2013, ce secteur a représenté la première source de contrefaçon puisque les médicaments représentaient 18% des articles saisis par les douanes. A titre de comparaison, les vêtements correspondaient à 14% de ces saisies.

Les médicaments contrefaits représentent un médicament sur trois dans les pays africains et un sur cinq dans les anciennes républiques socialistes. La France pourrait se croire épargnée grâce à son système de santé efficace, mais elle n’y échappe pas davantage que ses partenaires occidentaux, ceci, comme nous l’avons déjà précisé, en raison d’Internet. Il convient donc de se montrer le plus vigilant possible avant d’acheter un quelconque produit en ligne, quel qu’il soit : médicament, mais aussi produits médicaux (seringues, pansements, etc.), compléments alimentaires, et la liste est encore longue.

Que risque notre organisme ? Enormément. Echappant à tout contrôle, ces médicaments contrefaits peuvent contenir des substances nocives, interdites, dangereuses, être surdosés, sous-dosés ou n’être que de simples placebos. Certains exemples sont éloquents : au Nigéria, un sirop contre la toux à base d’antigel a fait 84 morts en 2009, tandis que les traitements contre le paludisme à base de rien font 700 000 morts par an. Aucune pathologie n’échappe au phénomène : cancer, SIDA, etc.

La détresse morale et/ou financière des individus malades est donc lâchement exploitée par des individus qui s’enrichissent allègrement. Rappelons que ce commerce rapporte vingt fois plus que le trafic de drogue. Pour autant, les réactions tardent à se faire sentir face à ce phénomène dangereux pointé du doigt tant par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) que par le Conseil de l’Europe. Ce dernier a d’ailleurs créé la Convention MEDICRIME qui vise à lutter contre la falsification de produits médicaux et à sanctionner plus lourdement les acteurs de ce trafic. Ouverte à la signature depuis octobre 2011, elle n’est malheureusement pas encore en vigueur, deux ratifications manquant pour ce faire. Précisons que si la France l’a signée dès le départ, nous sommes toujours en attente de sa ratification. Le Conseil de l’Europe organise d’ailleurs une conférence régionale à Skopje (en ex-République yougoslave de Macédoine) en vue de présenter cette convention comme un outil clé dans la lutte contre le crime organisé.

La criminalité « en blouse blanche »

L’artiste et les professionnels de la santé ont ce point commun de travailler en blouse blanche. Tandis que le premier soigne les maux de l’âme en proposant de l’évasion, les seconds s’attachent davantage à notre santé physique.

L’art et l’art médical, si précieux pour l’être humain devraient rester entre les mains des spécialistes. N’importe qui ne maîtrise pas la chimie des couleurs ou des molécules. Ces domaines sont bien trop précieux et bien trop utiles à l’Homme. Le Beau et le Sain ne devraient pas générer de l’argent sale.

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