Le cricket, une alternative pour une paix indo-pakistanaise ?

1 Mars 2014



En France, nous avons le foot. En Nouvelle Zélande, ils ont le rugby. En Irlande, le foot gaélique. L’Inde et le Pakistan eux ont le cricket, transportant des millions de supporters chaque année dans les stades. Lumière sur ce sport méconnu chez nous avec deux passionnés.


DR
DR
Sport méconnu en France avec seulement quelques milliers de licenciés, le cricket est pourtant le sport le plus pratiqué au monde avec près d'1,5 milliards d'adeptes. Le Bangladesh, le Sri Lanka, la Nouvelle Zélande, l’Australie, l’Afrique du Sud et bien sûr l’Inde et le Pakistan sont des pays où le cricket tient une place majeure.

Des relations conflictuelles et de fortes divergences politiques depuis la création du Pakistan en 1947, sont le quotidien des relations entre ces deux pays. Pourtant, une lueur de paix apparaît régulièrement lors des matchs de cricket. Le Journal International a rencontré Haseeb Khalid et Anshuman Chutani, deux expatriés joueurs du Rhône Cricket Club.

Le Journal International : Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste le cricket ?

Anshuman Chutani : Le cricket est un jeu introduit par les Britanniques dans leurs colonies pendant la période de la colonisation. Dans ce jeu, chaque équipe dispose de 11 joueurs : un batteur, et les autres placés autour du terrain ovale. Le batteur frappe la balle avec la batte. Celui qui est positionné à l'autre extrémité de la pelouse doit alors courir à travers le terrain et une fois qu'ils échangent les positions, les batteurs peuvent effectuer des tours de terrain jusqu'à ce qu'un joueur de champ renvoie la balle aux guichets.

Si la balle est hors de la limite de terrain sans toucher le sol, cela fait six points. En revanche, si elle touche le sol et va à l'extérieur, cela fait quatre points. Il y a beaucoup de façon dont un batteur peut être « sorti ». Les manches se terminent si 10 batteurs sont sortis ou lorsque le nombre décidé de points est atteint (1 point = 6 tours). L'équipe qui fait le plus grand nombre de tour de pistes gagne la partie.

JI : Le cricket est-il un sport professionnel ?

Haseeb Khalid :
Oui le cricket est bien professionnel, les joueurs sont payés.

AC : Il y a une grande structure et une hiérarchie du cricket en Inde (et tous les autres grands pays de cricket). Il y a des ligues au niveau du district, de l’Etat, et au niveau national. Jouer pour l'équipe nationale est le rêve ultime. La BCCI (Board of Cricket Control of India) est l'autorité de gestion de cricket en Inde, même si elle n'est pas affiliée avec le gouvernement national.

JI: Avez-vous un ordre d’idée de combien sont payés les joueurs ?

HK 
: Tout dépend des pays et le niveau des joueurs. Par exemple, les joueurs indiens gagnent entre 100 000 et 200 000 $, ajouter à cela entre 3 à 5000 dollars par match. Les joueurs anglais, australiens gagnent presque même chose.  Les joueurs pakistanais gagnent 50 à 60 % de moins et les joueurs bangladeshi gagnent 80 à 90 % de moins que les Indiens. Mais le capitaine indien (Dhoni) gagne 30 millions de dollard (90% grâce à des pubs).
MS Dhoni | Crédits photo -- Reuters
MS Dhoni | Crédits photo -- Reuters

JI : Quelle est la dimension de ce sport dans votre pays ?

HK : Le cricket est le sport le plus apprécié au Pakistan. Les fans sont nombreux surtout pour les matchs contre l’Inde, les rues sont vides les jours des matchs très importants.

AC : En Inde, le cricket est le sport le plus populaire. Il agit également comme un grand rassembleur à travers tout le pays, qui est composé de personnes de religions, milieux, langues, différentes.

JI : L’Inde et le Pakistan sont deux pays rivaux. Pourtant, il y règne toujours une paix relative, à tel point que certains parlent d’une « paix du cricket ». Pourquoi ?

HK
: Le cricket a joué un rôle très important dans la paix entre les deux pays. Les joueurs pakistanais sont amis avec les joueurs indiens. Ils parlent tous la même langue, c’est donc plus facile pour communiquer.

AC : L’Inde et le Pakistan ne sont pas en guerre en ce moment, mais il y a des conflits politiques qui existent. La « paix relative » dont vous parlez dans le cricket n'est pas unique à ce sport. Dans les moments où l'atmosphère entre les deux pays a été pacifique, il y a eu la paix dans d'autres domaines, comme les arts, la musique... Je pense que la société est assez mature pour comprendre que quand la situation est calme entre les deux pays (même avec des différences politiques en cours), le sport et la politique sont séparés. L'histoire entre ces deux pays rend la rivalité sur le terrain de cricket encore plus intéressante.

Par le passé, les équipes de cricket des deux pays sont allées voir les matchs les uns des autres ce qui augmente l'interaction entre les foules des deux pays. Mais l'organisation de ces visites devient difficile quand il y a des tensions dans la région.

JI : Selon vous, pourquoi le cricket ? Pourquoi est-ce ce sport qui a pris cette dimension et pas un autre ?

HK
: Les colons britanniques ont introduit le cricket en Inde au 19e siècle où l'armée a aidé à le populariser. Avant et après la partition, le cricket fut un élément important dans l'opposition entre musulmans et hindous, véritable arme de guerre qui servit plus d'une fois à régler des comptes sur les terrains de jeu. Le hockey reste le sport national dans les deux pays, mais le cricket reste la passion numéro un pour les deux peuples.

AC: Pour être honnête, c'est une question difficile pour moi. Même si le sport national de l'Inde est le hockey et il y a beaucoup d'autres sports traditionnels, il est difficile de dire pourquoi ce jeu est devenu beaucoup plus populaire que d'autres. Je suppose que la réponse est similaire à la raison pour laquelle le football est devenu si populaire en Europe et en Amérique du Sud.

JI : La population est-elle vraiment transcendée par le cricket ? Quel est votre ressenti sur la dimension qu’il a pris dans votre pays d’origine ?

HK : 
Une majorité des Pakistanais et Indiens veulent la paix entre les deux nations. Le match Pakistan - Inde est le match le plus important pour les deux rivaux. Pour les citoyens des deux pays, les joueurs n’ont pas le droit de perdre contre l’équipe adverse. Où qu'ils soient dans le monde, les Pakistanais et les Indiens arrêtent tout pour regarder ce match et n’hésitent pas à chambrer les perdants.

AC : En étant moi-même un passionné de cricket, je suis heureux que le cricket soit si populaire, mais j’aimerais aussi que d'autres sports attirent plus d'attention.

HK : J’ai grandi avec le cricket, on commence à jouer tout petit. Au Pakistan, 95% des jeunes regardent et jouent au cricket. Ce sport fait partie de notre vie.
Sudhir Chaudhary, l'un des plus célèbres supporters indiens | Crédits Photo -- Jean-Charles Bares
Sudhir Chaudhary, l'un des plus célèbres supporters indiens | Crédits Photo -- Jean-Charles Bares

JI : Comment se passent les matchs dans les tribunes ?

HK :
Les supporters se comportent bien dans les stades, ils dansent et chantent. Jamais étendu parler des problèmes dans les stades de cricket.

AC : Oui, beaucoup de gens se rassemblent pour les matchs de cricket. L'ambiance dans les tribunes est très enthousiaste, mais pacifique. 

JI : Et autour du stade ? Est-ce pacifique entre les différents supporters, ou y a-t-il régulièrement des débordements ?

HK
: Les supporters se taquinent entre eux mais la plupart du temps, il n'y a pas de débordements, tout reste bon enfant.


JI : Pensez-vous que cette mobilisation se limite à une ferveur sportive, ou relève t-elle de quelque chose de plus profond, plus politique ?

AC 
: Je ne peux pas commenter l’effet du cricket sur d'autres pays, mais en Inde, on peut dire que la hausse de la ferveur pour le cricket coïncide avec la croissance économique globale depuis les années 1990 et la montée dans le paysage international. En ce sens, la ferveur peut peut-être dans une certaine mesure refléter les aspirations économiques du pays.

JI : Selon vous, quels effets a le cricket sur la population ? Est-ce une sorte de baume psychologique, un exutoire ?

HK
: Au Pakistan et en Inde, le cricket est seul moyen pour réunir les différentes cultures, religions, langues. C’est le sujet de toutes les discussions.

AC : Je ne pense pas que ce soit un exutoire, et je ne pense pas que ce soit un baume psychologique non plus. C'est l'un des deux passe-temps favoris des Indiens, qui sont le cricket et le cinéma. Les Indiens sont passionnés de cricket, surtout lorsque l'équipe nationale joue contre un autre pays. C'est aussi un moyen d'unir un pays qui a différentes langues, coutumes, traditions et religions. En fait, je dirai que c'est tout sauf un exutoire. Beaucoup de différences que les Indiens ont entre eux semblent s'évanouir sur un terrain de cricket en particulier lorsque l'Inde joue contre une autre nation.

JI : Une économie se développe-t-elle autour du cricket, comme des produits dérivés (maillots, casquettes …) ?

HK : Oui, mais ce sont plus les battes et les balles qui se vendent bien : les petit magasins des quartiers vendent des balles, parce qu’elles se perdent facilement.

AC: Il y a un business autour du cricket, comme c'est le cas avec n'importe quel autre sport populaire. Les dirigeants du cricket gagnent le plus d'argent avec la vente de billets et avec les droits de télévision. Les revenus générés par des produits tels que des chemises, casquettes … sont relativement faibles.

Notez


Nathan Lautier
Ex-rédacteur en chef du Journal International. Etudiant en science politique à l'université Lyon 2,... En savoir plus sur cet auteur