Le daina : forme courte et méconnue de la poésie lettone

3 Octobre 2014



Capitale européenne de la culture 2014, Riga a multiplié les événements et festivals promouvant la culture lettone cette année. Ce statut distinctif permet à la ville de s'exprimer au nom du folklore national, voire même, de chanter au nom du folklore national. Car les Lettons sont souvent, à juste titre, considérés comme un peuple de chanteurs. A l'image des haïkus au Japon, la Lettonie dispose ainsi de sa propre forme poétique : les dainas. Chantés lors des fêtes populaires s'ils ne sont récités, ces textes unificateurs sont primordiaux pour qui veut comprendre la construction identitaire lettone. Plus qu'un simple écrit de style, les dainas ont joué et jouent encore un rôle important dans l'histoire du pays.


Crédit DR
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Transmis oralement de génération en génération, la genèse des dainas reste indéterminée. Toutefois, les premiers dainas écrits datent du XVIème siècle et possèdent déjà leur forme définitive : la grande majorité sont des quatrains trochaïques ou dactyliques écrits en letton qui abordent des thèmes variés allant de la mythologie lettone à la vie quotidienne. La pérennité du genre à travers les âges sur le territoire letton, et ce, malgré des siècles d'occupation et d'oppression, font des dainas le vecteur de la culture lettone et l'un des jalons de la construction identitaire. 

Plus encore, peu avant l'indépendance de la Lettonie en 1991, les Lettons tirèrent profit de ces dainas comme d'une arme diplomatique dans la « Révolution chantante ». Des foules entières reprirent alors en chœur ces chants intemporels au symbole fort. Pour ces multiples raisons, la forme du daina est inscrite depuis 2001 au registre Mémoire du monde de l'Unesco. 

« Kas to teica, tas meloja, Ka saulīte nakti guļ ; Vai saulīte tur uzlēca, Kur vakaru norietēj' ? »

« Quiconque l'a dit, a menti, que le Soleil va se coucher la nuit ; le Soleil se lève-t-il, où il s'est couché hier ? »

Pourquoi un si faible rayonnement culturel ?

Pourquoi le daina est alors moins connu que le haïku au Japon ou que les autres formes littéraires en général ? La langue constitue une première piste de réflexion. En effet, seules 2,5 millions de personnes parlent le letton dans le monde (contre 127 millions de locuteurs natifs pour le Japon par exemple). En France, seul Michel Jonval, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, s'est attelé à la difficile tâche de traduire en partie ces poèmes. En partie, car il serait étonnant que le quelque million et demi de dainas existants soit un jour totalement traduits. Leur nombre est d'ailleurs si faramineux que plusieurs organismes s'occupent d'archiver ces dainas aujourd'hui encore. C'est l'écrivain et folkloriste Krišjānis Barons au XIXème siècle qui fut le premier à collectionner ces textes. Le nom est important car sa démarche catalysa la période d'éveil du sentiment identitaire et national letton. 

Une autre raison possible au faible rayonnement des dainas à l'étranger est probablement que pour les apprécier pleinement, il faut être letton. Il faut comprendre le rapport qu'entretiennent les Lettons avec la nature, avec leur histoire, avec leur identité pour se délecter de la substantifique moelle de ces quatrains. Les traductions ne rendront ainsi jamais compte des connotations précises induites par les mots et les sonorités. Mais à défaut de pouvoir apprécier le texte original, chacun peut trouver son plaisir dans la forme chantée. Alors avant de faire le grand saut en Lettonie, le mieux reste d'écouter les chansons depuis chez soi pour se faire son propre avis. Il y a toutefois un bémol : il est difficile de trouver des albums de chansons folkloriques lettones. Néanmoins, le CD de chansons sélectionnées et chantées par Vaira Vīķe-Freiberga*, l'ancienne présidente de la République lettone entre 1999 et 2007 est une valeur sûre. Publié par le Centre de gestion de la culture « Lauska », le disque présente un large éventail du répertoire musical letton. 

Le daina comme expression identitaire

La poésie lettone a donc un faible rayonnement mais sa pérennité et son histoire lui donnent tout son prestige. Là où notre poésie contemporaine délaisse l'alexandrin et les formes fixes comme le sonnet, le daina résiste encore et toujours au temps qui passe. Il n'est alors pas étonnant que ces textes écrits en letton – quoique anonymes la plupart du temps - aient constitués un véritable point de repère pour les populations dont l'identité fut opprimée. Aujourd'hui, enfin libre et indépendant, le peuple letton clame ces textes avec fierté lors des grands rassemblements. 

Le daina n'est donc pas seulement un ancien chant traditionnel. C'est aussi un outil de contestation politique important, un symbole de l'identité lettone si tangible dans l'histoire et une forme littéraire trop méconnue. Gageons que le statut de capitale européenne de la culture devrait profiter à Riga pour mettre en avant la culture du pays tout en s'européanisant. Car s'intéresser aux dainas, c'est s'intéresser à la Lettonie, à l'histoire lettone et aux composants singuliers du Salad Bowl européen. De la mythologie à la vie quotidienne, on revit l'histoire du pays à travers ces textes. Et finalement, chaque daina comporte ainsi deux histoires : celle qu'il raconte et celle qui l'entoure. 

« Sen to Rigu daudzinaja, Nu to Rigu ieraudziju, Visapkart smilšu kalni, Parti Rīga udeni.   »

« Depuis longtemps on glorifie Rīga, enfin je l'ai vue, tout autour des collines de sable, Rīga, même dans l'eau.   »

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