Les Tchèques en conflit sur l'interprétation de l'Histoire

Jakub Kajtman, correspondant à Prague
16 Avril 2013



Une querelle délicate et exacerbée secoue actuellement la République Tchèque suite à la révocation du directeur de l'Institut pour l'étude des régimes totalitaires (IERT) à Prague. Selon le Conseil de contrôle de l'IERT, le directeur n'a pas satisfait ses obligations. Mais le Premier ministre conteste la décision et dénonce une manœuvre politicienne.


Petr Nečas, Premier ministre tchèque
Petr Nečas, Premier ministre tchèque
Cela fait quelques mois déjà que le Sénat tchèque a élu des nouveaux membres du Conseil de contrôle de l'Institut pour l'étude des régimes totalitaires. Une nomination confidentielle, passée sous silence par les médias. Mais la semaine dernière, la nouvelle composition du Conseil a ravivé les tensions au sujet de l'interprétation de l'Histoire, longue querelle exacerbée par le contrôle du Sénat par l'opposition de gauche.

Les réactions ont été explosives à la sortie de la réunion du Conseil qui a révoqué le directeur de l'IERT, Daniel Herman. La présidente du Conseil, Petruska Sustrova, a expliqué que le fonctionnement de l'Institut n'était pas optimal et que le projet de numérisation des archives s´est prolongé de manière inacceptable. « Les lacunes sont de nature systémique et il y en a déjà trop, » a-t-elle ajouté.
Daniel Herman a immédiatement dénoncé cette résolution. Selon lui, les nouveaux membres du Conseil nommés par les Sénateurs de gauche n'ont eu à coeur que d'écarter le directeur de l'IERT et changer les structures pour que les socialistes reçoivent l'accès au fonctionnement de l'Institut. « La vraie raison de mon évincement, je la vois sur le plan politique. Je pense que la manoeuvre a été orchestrée par des individus en liens étroits avec les socialistes et les communistes ».

IERT - l´Institut contre les crimes communistes et nazis

Déjà, dès sa fondation en 2007, l'Institut a suscité polémiques et critiques. Le gouvernement conservateur voulait créer une organisation qui conserverait des archives des époques totalitaires (1939-1945 et 1948-1989, particulièrement celles de la police secrète) et qui ferait des recherches dans le domaine. Mais la gauche ne supportait pas cette idée et les représentants communistes et socialistes ont essayé d'arrêter la création de l'Institut.

Cela nous ramène aux évènements de ces derniers jours. Seulement quelques heures après la révocation du directeur Herman, les conservateurs ont dénoncé une manoeuvre de la gauche qui essaie de gagner de l'influence au sein de l'Institut, voulant du même coup posséder les clés de l'Histoire nationale. Ce qui devrait, selon les conservateurs, permettre aux socialistes et aux communistes de posséder les moyens pour "changer" l'interprétation des crimes totalitaires.

Jusqu'à présent, le conflit se cantonnait à la sphère politique. Mais, lundi 15 avril, les historiens ont eux aussi fait part de leur indignation. La fronde a également gagné le Conseil scientifique de l'Institut, dont la grande majorité des membres a démissionné en signe de protestation.

Le prix pour une participation au prochain gouvernement ?

Les politiciens de gauche rejettent les accusations en bloc. Selon eux, le Sénat n´a pas nommé les nouveaux conseillers par un jeu politique mais bien pour leurs compétences et l'expérience des candidats. Les socialistes affirment également qu'ils veulent dépolitiser le bureau. Ils accusent la droite de contrôler les recherches de l'Institut depuis 2007.

Mais les conservateurs et l'ancien directeur Herman ont un point de vue différent. Ils pensent que l'effort socialiste de contrôler l'IERT est lié aux élections législatives de 2014. La gauche est donnée favorite, mais les socialistes seuls n'auront pas la majorité. Une alliance avec les communistes est fortement envisagée, bien qu'un certain nombre de socialistes ne souhaite pas cette alliance de circonstances.

Autre possibilité, un gouvernement minoritaire avec un soutien muet des communistes. D'après les conservateurs, c'est la configuration vers laquelle on se dirige. Le Premier ministre conservateur, Petr Nečas, estime que les socialistes veulent s'assurer que l'IERT ne critiquera plus la période de la dictature communiste (1948-1989) et ainsi s'octroyer leur soutien au Parlement.
L'atmosphère est délétère. Les questions non-résolues de l'époque de la dictature communiste divisent encore la société tchèque. L'interprétation de l'Histoire est donc un aspect extrêmement sensible. Les gens savent que l'indépendance des instituts et organisations comme l'IERT est essentielle pour le développement de la démocratie tchèque. Mais le Conseil refuse toutes les objections et insiste sur le fait que le changement de directeur de l'Institut mènera aux meilleurs résultats et à une plus grande qualité du recherche.

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