Les chiffonniers de Phnom Penh

Chronique d'un tour du monde

2 Juillet 2013



Le soleil brille sur Phnom Penh, faisant étinceler les dorures du Palais royal. Une mélodie s'échappe de la résidence du roi, où quelques jeunes enfants jouent des percussions. Dès les premières heures du jour, la chaleur qui règne dans les rues de la capitale cambodgienne pousse à ouvrir les fenêtres. Ce matin sur le parking où nous bivouaquons, ce sont des bruits de froissement métallique qui attirent mon attention.


Mes voisins au bivouac - Crédit Photo Audrey Sérandour
Mes voisins au bivouac - Crédit Photo Audrey Sérandour

Une vie de famille dans les rues

Depuis quelques jours, une famille khmer a élu domicile à l'ombre de notre véhicule, où elle profite d'un peu de fraîcheur. Adultes et enfants se sont installés sur quelques nattes, posées à même le sol. Des carrioles, quelques morceaux de tissus et ustensiles, ainsi que des bouteilles d'eau constituent leurs seuls effets personnels. Loin du faste du Palais royal, et pourtant à quelques mètres de ces pavillons dorés, la famille de chiffonniers vit dans un état d'extrême pauvreté. Ce contraste illustre le paradoxe du Cambodge, « pays du sourire » et de la douceur, mais également royaume ayant subi traumatismes et violence. Héritiers d'une histoire illustre et tragique, les Cambodgiens ont une capacité d'adaptation et de résilience qui étonne. Lorsque l'on prononce son nom, le Cambodge évoque en nous les images des majestueux temples d'Angkor ou du fleuve Mékong. Et pourtant, au quotidien la réalité des rues est aussi celle de familles qui vivent dans la misère.

Pendant la journée, autour de notre bivouac, toute la famille se réfugie à l'abri du soleil. Une jeune mère asperge son bébé pour prévenir la déshydratation. Certains se reposent avant la nuit de travail qui les attend, d'autres s'occupent des enfants. Chacun vaque à ses occupations. De notre côté, nous partons découvrir les rues de la ville, lorsque j'aperçois plusieurs femmes rassemblées autour d'une jeune fille. À l'aide d'un bouchon de bouteille de soda, elles lui dessinent des scarifications dans le dos.
À la nuit tombée, à l'heure où restaurants et boutiques déposent leurs poubelles dans les rues, les chiffonniers s'activent. Ils s'en vont parcourir la ville à la recherche de déchets exploitables. De grands sacs accrochés à leurs carrioles et un crochet métallique à la main, ils trient et ramassent les ordures de la capitale cambodgienne.

Moines dans les rues de Phnom Penh - Crédit Photo Audrey Sérandour
Moines dans les rues de Phnom Penh - Crédit Photo Audrey Sérandour

Valorisation des déchets

Ce matin au réveil, de discrets bruits de métal que l'on froisse me poussent à regarder dehors ce qu'il se passe. Sous ma fenêtre, un homme et une femme s'affairent autour d'une carriole. Les gestes sûrs, ils trient et manipulent avec habitude des canettes de soda vides. Après la collecte de la nuit, ils préparent les déchets qui pourront être revendus. Je les observe un instant, avant de remarquer qu'ils utilisent également de l'eau et du papier toilette. Dans une bassine métallique, les chiffonniers ont en effet déposé des morceaux de papier sur lesquels ils ont ensuite versé de l'eau. Machinalement, la jeune femme prend du papier mouillé dans le récipient et l'introduit dans une canette. Puis elle secoue cette dernière pour s'assurer que la boulette de papier trempé tombe dans le fond. Enfin, elle plie la petite boîte d'aluminium et la comprime sous son pied, avant de la déposer dans la carriole.

Ce petit tour de passe-passe permet d'alourdir les canettes, qui vaudront ainsi plus cher au moment de leur revente au poids. Cette technique me rappelle une pratique similaire de cultivateurs burkinabés, qui plaçaient des pierres au fond de leurs sacs de céréales avant de les vendre. Plus tard dans la journée, un camion s'arrête auprès des chiffonniers pour leur acheter le précieux aluminium. La collecte des déchets rapporte chaque jour quelques riels aux ramasseurs informels. Pour la plupart des familles de chiffonniers, ces revenus sont cependant insuffisants et nombreux sont les enfants qui quittent l'école pour aider leurs parents à subvenir à leurs besoins.

Les petits musiciens du Palais royal - Crédit Photo Audrey Sérandour
Les petits musiciens du Palais royal - Crédit Photo Audrey Sérandour

Prise en charge des enfants de chiffonniers

Cette famille rencontrée dans le quartier du Palais royal n'est pas la seule en situation de grande précarité. Sur les décharges de Phnom Penh, plusieurs centaines de personnes, majoritairement des enfants, sont à la recherche de déchets qu'ils pourraient revendre. De jour comme de nuit, un sac sur une épaule et un crochet à la main, ils inspectent, remuent, fouillent dans les immenses amas d'ordures. Lorsqu'un camion-benne arrive pour vider son chargement, ils se précipitent pour être les premiers à grappiller les meilleurs pièces, au risque de se faire ensevelir. S'enfonçant parfois jusqu'aux genoux dans une eau insalubre, ils ouvrent l’œil pour tenter de récolter autant que possible les matériaux recyclables. Le kilo de plastique est par exemple racheté pour l'équivalent de 10 centimes d'euro par les récupérateurs industriels.

La communauté internationale n'est pas insensible au sort tragique de ces familles, et nombreuses sont les associations ou ONG qui apportent leur soutien aux Cambodgiens. C'est notamment le cas de Marie-France et Christian des Pallières, qui en découvrant ces scènes sur la décharge de Stung Meanchey en 1995 ont décidé d'apporter leur aide aux petits chiffonniers de Phnom Penh. S'ils ont simplement commencé par distribuer des repas aux enfants, ces anciens voyageurs ont ensuite choisi de s'installer dans le pays et de créer l'association « Pour un Sourire d'Enfant ». J'ai eu la chance de les rencontrer et d'échanger longuement avec eux au sein de l'établissement qu'ils ont mis en place pour accueillir les jeunes travailleurs de la décharge. Tout comme leur récit de voyage Quatre enfants et un rêve, publié en 1987, leur initiative auprès des chiffonniers est un succès. Après la distribution de repas, le couple français a mis en place une école, puis des filières professionnelles. Leur groupe scolaire est aujourd'hui l'un des plus grands du pays, et la maison de Marie-France et Christian est entourée d'une trentaine de bâtiments dans lesquels vivent et étudient plus de 4000 enfants et 1500 jeunes. Bien que la situation économique du pays s'améliore, le Cambodge est encore largement dépendant de cette assistance internationale.


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Audrey Sérandour
Étudiante en science politique à Lyon 2, ancienne rédactrice en chef de la gazette étudiante... En savoir plus sur cet auteur