Les lauréats du Prix 2015 de Reporters sans frontières

18 Novembre 2015



Depuis 1992, le prix pour la liberté de la presse organisé par Reporters sans frontières, en partenariat avec TV5 Monde, soutient les net-citoyens et journalistes qui luttent pour la défense des libertés dans le monde. Pour la troisième année consécutive, l’événement s’est déroulé à Strasbourg, ce mardi 17 novembre, au patrimonial cinéma l’Odyssée. La cérémonie, animée par Bernard de la Villardière, a décerné trois prix : le prix du journaliste-citoyen, le prix du journaliste et le prix du média.


Discours de Mohamed Famhi, journaliste canadien – Crédit Jean-Baptiste Roncari
Discours de Mohamed Famhi, journaliste canadien – Crédit Jean-Baptiste Roncari
Les attentats de vendredi ont bien entendu conféré une « valeur particulière » à l’événement, selon les mots du présentateur de M6. Et si les discours des invités firent écho, pour la plupart, à l’offensive terroriste de Paris, ils n’ont pas manqué pour autant de revenir sur les autres barrières qui se dressent partout dans le monde à l’encontre des libertés individuelles. 

À ce titre, le journaliste d’Al-Jazeera Mohamed Fahmy était présent et a raconté avec émotion son parcours : de son emprisonnement en juin 2014 en Égypte aux côtés de terroristes qui se réjouissaient de l’attentat contre Charlie Hebdo, jusqu’à sa libération en septembre 2015. Il a notamment insisté sur l’inquiétante radicalisation des plus jeunes dans les univers carcéraux et l’importance de générer des fonds pour pouvoir faire libérer les journalistes emprisonnés.

Tout au long de la soirée, Christophe Deloire, directeur de publication de RSF, a épaulé Bernard de la Villardière. Il a tenu à rendre hommage en introduction à deux collaboratrices de RSF, « tuées lors des événements de vendredi soir » : Anna Pétard-Lieffrig, abattue avec sa sœur au restaurant Le Petit Cambodge, et Aurélie de Peretti, morte sous les balles au Bataclan. Les applaudissements de la salle ont rendu hommage à ces victimes. 

Les blogueurs de zone 9 : prix du journaliste-citoyen

À la suite de cet émouvant préambule, le jury a dévoilé les noms des personnes récompensées. Il a ainsi décerné le prix du journaliste-citoyen 2015 à un collectif de 9 blogueurs éthiopiens : « Les blogueurs de zone 9   ». Le prix du journaliste-citoyen récompense des personnes dont la profession n’est pas nécessairement le journalisme, mais qui luttent malgré tout pour la liberté d’expression et le droit à l’information face à des gouvernements bien souvent hostiles à de telles initiatives. 

L’Éthiopie est placée 142ème sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse 2015. Quatre des blogueurs du collectif récompensé ont été délivrés il y a à peine un mois : Befekadu Hailu, Atnaf Berane, Abel Wabella et Natnail Feleke. Ils étaient détenus depuis plus d’un an et demi pour « incitation à la violence terroriste » a rappelé Pierre Benoit, directeur adjoint de TV5 Monde. Le blog critique avec virulence le gouvernement corrompu de l’Éthiopie. Malheureusement, aucun d’entre eux n’a pu faire le déplacement jusqu’à Strasbourg pour récupérer le prix. 

Zeina Erhaim : figure de proue du journalisme syrien

Déjà récompensée par le prix Peter Mackler 2015 pour son courage et son éthique journalistique, la Syrienne Zaina Erhaim s’est aussi vue lauréate du prix RSF du journaliste ce mardi 17 novembre. Cette jeune trentenaire, qui lutte en Syrie depuis Alep, est une figure de proue du journalisme syrien. Alors que son pays arrive à la 177ème place dans le classement mondial de la liberté de la presse, la jeune femme a formé près de 100 journalistes-citoyens, dont un tiers sont des femmes, et contribué à l’émergence de nombreux journaux et magazines indépendants. Zaina Erhaim est également la directrice d’une organisation internationale, l’Institute for War and Peace Reporting, qui soutient les journalistes dans les pays instables. 

L’institut vient d’ailleurs de publier un ensemble de documentaires (voir la vidéo) faisant le portrait de quatre femmes courageuses qui vivent et travaillent dans des zones syriennes tenues par les rebelles. Ces territoires sont directement menacés par les frappes du gouvernement et par les groupuscules extrémistes de la région. Zaina Erhaim est à l’origine de ce projet. La première projection s’est déroulée à New-York le même jour que la cérémonie RSF. 

Prix du média : Cumhuriyet, quotidien turc ayant diffusé Charlie Hebdo

La cérémonie s’est conclue avec la remise du prix du média 2015. Le jury a récompensé le quotidien turc Cumhuriyet, qui « paie le prix de son journalisme indépendant et courageux » dans un pays où « une répression toujours croissante s’abat sur les voix critiques» Le journal est réputé en Turquie mais subit de lourdes sanctions en raison de sa ligne éditoriale très critique vis-à-vis du gouvernement de Tayyip Erdogan. Dans un pays qui arrive 149ème au classement de la liberté de la presse, il s’agit également du seul quotidien du monde musulman à avoir reproduit deux versions réduites du numéro publié par Charlie Hebdo après les attentats de janvier. La reprise des caricatures du prophète Mahomet lui a valu des poursuites judiciaires. 

Exposition place Kleber à Strasbourg d’affiches RSF - Crédit Jean-Baptiste Roncari
Exposition place Kleber à Strasbourg d’affiches RSF - Crédit Jean-Baptiste Roncari
Le rédacteur en chef, Can Dündar, a fait le déplacement jusqu’à Strasbourg pour récupérer le prix. À cette occasion, il a tenu à rappeler dans un discours émouvant « qu’il n’y a pas de distinction entre Turcs et Français, entre Musulmans et Chrétiens et entre Orient et Occident. Il n’y a une distinction qu’entre partisans de la civilisation, de la justice, de l’humanité et partisans de l’esclavage et de la barbarie […]. Je crois que la barbarie ne peut être anéantie que par une solidarité internationale qui embrasse nos valeurs communes. » Le prix du média est pour lui une « expression de cette nécessaire solidarité internationale ». Le journaliste a également souligné qu’ « aujourd’hui [17 novembre 2015], [il] devai[t] comparaître devant le tribunal [et que] 18 journalistes sont passibles de 7 ans et demi de prison pour avoir publié la photo d’un procureur pris en otage dans un palais de justice. » Il fait partie de ces journalistes condamnés. Venir chercher le prix à Strasbourg était donc un symbole fort pour lui et pour les valeurs qu’il défend. 

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