Liban : Voyage au coeur de ses identités multiples (2/3)

22 Octobre 2015



Difficile de résumer trois semaines au Liban en quelques lignes et en quelques photos. Trois semaines, c'est à la fois peu et beaucoup, de la même façon que l'on peut parcourir le Liban en peu de kilomètres, et à la fois traverser une multitude d'endroits divers. S'il y a un mot à retenir, mais surtout à découvrir du Liban, c'est celui de « diversité ». Un petit pays du Proche-Orient, qui cache bien involontairement ses richesses au touriste occidental.


Crédit Salomé Ietter
Crédit Salomé Ietter
Pour en revenir à une vision plus légère mais non moins vraie, le dialecte Libanais en soi est imprégné de français, mais aussi d'anglais, prouvant l'ouverture internationale de ce petit pays. Et bien que plusieurs personnes me confient que « de toute façon, si on ne parle qu'arabe, on ne fait rien », c'est également une question d'Histoire. Le Liban a gardé un système éducatif porté sur les langues, et les enfants ont d'office des cours de français et d'anglais. 

Le « Hi-Kifak-çava », une langue à part

Lors d'un week-end chez des amis libanais, j'observais leur petit garçon de 3 ans qui regardait du coin de l'oeil ses dessins animés ; l'un en anglais, l'un en français, l'autre en arabe classique. À la maison, on parlait arabe libanais, quelques mots de français, et anglais. De quoi enrichir à la fois les pratiques linguistiques, mais desquelles en découlent aussi des modes de pensée différents d'un univers unilingue et ethnocentré. Avec humour, certains libanais surnomment leur dialecte le « Hi-Kifak-çava », en référence à ce trilinguisme.

Un voyage gustatif : l'art de vivre à la libanaise

C'est aussi lors de ce week-end que j'ai pu m'initier aux plaisirs culinaires du Liban. Après une semaine dans mon auberge de jeunesse, à découvrir des petits restaurants typiques mais variés, un week-end en famille était l'occasion de s'immiscer dans la vie quotidienne. Il est également à noter que mes trois semaines au Liban tombaient pendant les trois dernières semaines du Ramadan (شهر رمصان - shahr ramadan). Une chance plus qu'un « inconvénient » au Liban, car, multiconfessionnel, le tourisme ne souffre pas trop des fermetures de commerces dont le touriste peut pâtir davantage dans des pays majoritairement musulmans durant cette période. Une chance, car c'est aussi à cette époque de l'année que l'on peut goûter à des pâtisseries réservées aux célébrations du Ramadan : autrement dit des baclawas, mais encore meilleures que d'habitude. On peut aussi participer au bonheur de l'Iftar (إفطار‎), pour lequel on doit attendre le coucher du soleil et où l'on rompt le jeûne autour d'un repas consistant, délicieux, avec des discussions animées et légères. La boisson traditionnelle de l'Iftar est faite à base de dattes, servie avec des noix de cajou et des raisins secs. Les Libanais sont des bons vivants, et la liste des spécialités à découvrir est bien trop longue pour être dressée ici. Les repas se font souvent conviviaux, et plusieurs plats à partager se succèdent sur la table. 
Crédit Salomé Ietter
Crédit Salomé Ietter

Les petits-déjeuners sont également une institution, où l'on mange du Labneh, sorte de fromage blanc, accompagné de concombre, tomate, Man'ouché. Sorte de pizza libanaise, les Man'ouché, qu'elles soient au fromage, à la viande, au Zaatar (mélange de thym et d'épices), sont un pur régal, et idéal pour un petit déjeuner sur le pouce avant d'attraper le taxi. La chicha fait partie de ces traditions de la table, et accompagne souvent le repas. Beaucoup de gens la fument dans la rue, devant les échoppes. D'autres particularités culinaires sont à noter dans d'autres endroits : Saïda, ville portuaire une heure au Sud de Beyrouth, propose un choix de poissons conséquent. Le vin fait aussi partie des fiertés du Liban, avec plusieurs vins de très bonne qualité. Une autre boisson typique est la citronnade mixée à de la menthe fraîche, un indispensable des mois d'été.
Baclawas des Frères Bohsali, Tripoli - Crédit Salomé Ietter
Baclawas des Frères Bohsali, Tripoli - Crédit Salomé Ietter

Autour de la table, on plaisante, on discute beaucoup des sujets d'actualité, et beaucoup de politique. Chacun a ses avis. D'ordre général, les personnes que j'ai pu rencontrer sont assez critiques envers le gouvernement et les partis au pouvoir, trop éloignés des considérations du peuple. La corruption est prégnante parmi les membres du gouvernement et les parlementaires. Le système confessionnel fait la part belle aux tensions entre des « clans », des familles politiques et religieuses, où tout s'entremêle, où tout devient enjeu pour le pouvoir, aux dépens de la mission principale des décideurs politiques : organiser au mieux la vie de leurs concitoyens. Peu de temps après mon départ a commencé un mouvement populaire pour dénoncer les agissements (et surtout les non-agissements) de la classe dirigeante. Dans la vie pratique, cela se remarque par des mouvements comme ceux-ci, par la question pressante de la gestion du flux de réfugiés, mais aussi par des petites choses de la vie quotidienne. 

Lors du week-end chez mon amie, j'ai pu en apprendre un peu plus sur le problème de l'électricité. Les coupures sont journalières, « institutionnalisées », et servent à économiser les ressources en énergie du pays, car ici, il y a un gros problème d'approvisionnement en électricité, si bien que chaque foyer voit son électricité coupée tous les jours à certaines heures. Dépendant des régions, ces coupures peuvent durer de 2 heures à 8 heures. La quasi-totalité des bâtiments, maisons, immeubles, sont équipés de générateurs de secours, qui prennent le relais dès que le fournisseur national coupe les vannes, et qui assurent une facture mensuelle salée. Cette gestion de l'électricité, si elle est certes dépendante de ressources matérielles, est également dépendante de considérations politiques.

Les repas de famille en France et au Liban ne sont donc pas si différents, et hormis les plats, les conversations et les blagues tournent autour des mêmes thèmes. Bien sûr, ils sont dans le contexte : on va donc se moquer de Daech, ou encore tourner en dérision les préjugés sur les musulmans dont je leur fais part, comme « Mais, comment ça se passe, entre les chiites et vous ? ».

Sans tabou ?

Malgré ces inconvénients, la plupart des Libanais semblent se désintéresser de ces imbroglios politiques et déterminés à « faire avec » les aléas de la vie quotidienne, ce qui fait d'un séjour au Liban une certaine « leçon » de philosophie de vie. Rien que quelques jours dans la capitale nous permettent de sentir cette ambiance. Beyrouth d'abord est l'antithèse de la ville ordonnée, bien rangée, bien propre. C'est un joyeux désordre, où les taxis klaxonnent à volonté et les chats se dorent sur les escaliers colorés. C'est aussi le bon-vivre. Le Liban bénéficie d'une des libertés d'expression les meilleures au Moyen-Orient, avec un nombre de journaux et d'associations défiant toute concurrence. La liberté de parler donc, de boire entre amis, devant les bars pleins à craquer rue d'Arménie, la liberté de s'habiller comme on le souhaite. Et c'est surtout la liberté d'expression qui revient sur la table. On peut parler de tout ici, du régime politique, des religions, du communautarisme qui commence à trop peser à nouveau sur le pays, du Hezbollah, de la Syrie, de tous les pays. 

Un sujet demeure cependant souvent tabou : Israël. En général, Israël sera évoquée comme cause de tous les malheurs du monde. Il faut bien sûr savoir s'en distancer, mais il est vrai que leur passé proche porte les marques importantes des guerres avec Israël. Et il est aussi vrai que le gouvernement israélien a peu fait preuve de ce qui aurait pu être une « éthique » de guerre, contrairement au Hezbollah jusqu'il n'y a pas si longtemps. Après l'implication dans la guerre civile, l'impact israélien se fait à nouveau sentir en 2006, lors d'une guerre entre le Hezbollah et Israël, courte mais dévastatrice pour le Liban. Si le récit de la guerre civile fut plutôt fluide dans les souvenirs d'une amie qui m'en témoigna, les souvenirs des bombardements israéliens sur des villages civils en 2006 lui font monter les larmes aux yeux très rapidement. Plusieurs générations de Libanais ont pu donc être marqué par cet héritage, rendant la perception d'Israël particulièrement délicate.

Vitrine-Beyrouth, entre rêves et réalités

Oublions les sujets qui fâchent. Beyrouth c'est aussi le lieu pour la fête, les soirées sur les roof tops, et le shopping. Les nouveaux souks de Beyrouth, qui n'ont de « souks » que le nom, sont ultramodernes et affichent les plus grandes marques. Le cinéma Cinécity des Souks de Beyrouth étonne par sa grandeur et sa modernité, et par sa clim un peu trop poussée en été. Le coût de la vie est élevé à Beyrouth, en faisant l'une des villes les « moins libanaises » du pays si l'on considère que les Libanais eux-mêmes ont pour beaucoup des difficultés à s'y loger. En cause, le rachat d'immenses complexes par des milliardaires du Golf investissant dans le tourisme beiruti, le tourisme bien sûr, mais aussi et encore, la gestion politique. Tout cela fait de Beyrouth une ville paradoxale, une façade devant laquelle on se sent à la fois bien et à la fois plein de questions sur l'avenir du petit pays, et surtout une façade qu'il faut savoir dépasser, à la fois par le contact avec ses citoyens, et par l'exploration des provinces.
Souks - Crédit Salomé Ietter
Souks - Crédit Salomé Ietter

Le tourisme a d'ailleurs bien évolué au cours des dernières années. La guerre civile a duré de 1975 à 1990, impactant fortement la perception du Liban à l'étranger. Quelques années de reconstruction s'accompagnèrent d'un nouveau boom du tourisme dans les années 2000, mis à nouveau à mal par la guerre de 2005. Et aujourd'hui, c'est le conflit syrien qui perturbe l'image du Liban, enclavé entre la mer et un voisin qui prend beaucoup de place. Le type de tourisme est aujourd'hui spécifique. Je n'ai pas, au cours de mes trois semaines sur place, rencontré de touristes « moyens », venus profiter des paysages, des trésors archéologiques et de la mer. Par contre, la plupart des étrangers présents étaient en études de science politique, de langue arabe, ou encore dans le milieu du journalisme, dans le milieu du développement (le nombre d'ONG présentes au Liban a explosé ces dernières années), dans le milieu de l'humanitaire : des touristes bien spécifiques.

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