Mexique : "ils nous les ont pris vivants, vivants nous les voulons"

Margot Bauche
17 Novembre 2014



Le 26 septembre dernier, 43 étudiants mexicains disparaissaient dans l’Etat de Guerrero, dans le Sud-Ouest du pays, à la suite d’une attaque menée conjointement par la police de la ville et les narcotrafiquants. Bien que trois membres du cartel des Guerreros Unidos aient avoué avoir tué les étudiants, les familles des victimes continuent à exiger – faute de preuves - que leurs enfants leur soient rendus vivants.


Marco Ugarte / AP
Marco Ugarte / AP
Le 26 septembre, 57 étudiants de l’Ecole normale d’Ayotzinapa, âgés de 18 à 21 ans, se sont rendus à Iguala afin de lancer une récolte de fonds et organiser prochainement une importante manifestation. Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter Iguala, ils ont été attaqués par la police locale et des membres du cartel des Guerreros Unidos dans une fusillade qui fit six morts et près de vingt-cinq blessés. Les survivants ont ensuite été emmenés dans des voitures de police et sont portés disparus depuis lors. Selon plusieurs témoignages, à la suite de la fusillade, les policiers locaux auraient livré les étudiants à l’un des cartels de drogue locaux, les Guerreros Unidos.

Le drame d'Iguala et le «couple impérial»

Dix jours après les faits, les autorités locales ont découvert 28 corps calcinés dans une fosse clandestine, près d’Iguala. La police mexicaine a néanmoins annoncé le 11 novembre qu’aucune trace d’ADN des 43 étudiants n’avait été trouvée dans ces fosses. 

L’affaire fut relancée le 7 novembre, date à laquelle le ministre mexicain de la Justice, Jesús Murillo Karam, a rendu publics les aveux de trois membres des Guerreros Unidos arrêtés après les faits. D’après leurs déclarations, les corps des 43 disparus auraient été brûlés dans un gigantesque bûcher pendant près de 14 heures et leurs restes auraient été jetés dans le fleuve San Juan à proximité.  

Maria de los Ángeles Pineda et José Luis Abarca. Crédit Alejandrino Gonzalez
Maria de los Ángeles Pineda et José Luis Abarca. Crédit Alejandrino Gonzalez
Depuis fin septembre, plus de 70 individus des Guerreros Unidos et de l’administration locale ont été interpellés. Le 4 novembre, les autorités fédérales mexicaines ont notamment arrêté « le couple impérial », José Luis Abarca et son épouse Maria de los Ángeles Pineda, qui avaient fui vers la capitale deux jours après les faits.

José Luis Abarca, le maire d’Iguala, serait effectivement impliqué dans ce drame, du fait qu’il aurait personnellement ordonné l’attaque de la police locale contre les étudiants d’Ayotzinapa. Il est aujourd’hui accusé d’être l’auteur intellectuel de ces crimes en association avec les narcotrafiquants locaux. Maria de los Ángeles Pineda, son épouse, serait elle-même la sœur de trois trafiquants du cartel des Guerreros Unidos. 

L’INSURRECTION CIVILE MEXICAINE : « L’AFFAIRE DE TROP », SELON ABEL BARRERA

Selon Abel Barrera, fondateur du Centre des Droits de l’Homme de la Montagne de Tlachinollan, le drame d’Iguala est « l’affaire de trop pour la population, indignée par l’incapacité du gouvernement à retrouver les disparus ».

Depuis la disparition des 43 étudiants, les manifestations se multiplient au cœur de l’Etat de Guerrero. Les familles des victimes et la population mexicaine continuent à exiger que les disparus leur soient rendus vivants, affichant ainsi leur refus d’accepter sans véritables preuves la version officielle du gouvernement mexicain. 

« Ils nous les ont pris vivants, vivants nous les voulons ». Crédit Henry Romero/Reuters
« Ils nous les ont pris vivants, vivants nous les voulons ». Crédit Henry Romero/Reuters

Les protestataires ont notamment bloqué pendant plusieurs heures, le 10 novembre, l’accès à l’aéroport international d’Acapulco et incendié le lendemain le siège du parti gouvernemental, le PRI, dans la ville de Chilpancingo. Le mercredi 12 novembre, près de 500 élèves et enseignants ont également incendié partiellement le Parlement du Guerrero. 

Les familles des disparus ont entamé depuis jeudi une tournée dans l’Etat de Guerrero afin d’accentuer la pression sur les autorités fédérales pour qu’elles continuent les recherches et retrouvent les 43 étudiants disparus. Elles prévoient dès à présent de se rendre à Mexico le 20 novembre, date de fête nationale de la révolution mexicaine, pour continuer à exiger que justice leur soit rendue. 

Depuis mi-octobre, il semblerait que les manifestations aient pris une envergure internationale comme le démontrent les nombreux rassemblements qui ont été organisés aux quatre coins du globe, et notamment à Paris, en soutien aux familles de victimes. Selon Mauricio Mejia, étudiant mexicain en 4ème année à Sciences Po et présent lors des manifestations à Paris, il est « très important de se manifester en dehors du Mexique pour que la communauté internationale soit au courant de ce qui se passe vraiment. Il faut rompre avec le discours officiel relayé à l’international que le Mexique est en plein changement et en pleine modernisation grâce aux réformes économiques et que la violence est un problème collatéral et presque sous contrôle ». 

De graves conséquences pour la classe politique mexicaine

Après la démission du Gouverneur de l’Etat de Guerrero Ángel Aguirre le 23 octobre et celle du Procureur général de l’Etat Iñaky Blanco le 12 novembre, une grande partie de la population mexicaine demande aujourd’hui la démission du président mexicain, Enrique Peña Nieto. 
 

Enrique Peña Nieto, le 29 octobre 2014.  Yuri Cortez / AFP
Enrique Peña Nieto, le 29 octobre 2014. Yuri Cortez / AFP
Alors qu’il fut adulé par la presse internationale et qu’il fut notamment décrit en Une du Times comme le « sauveur du Mexique »  en février 2014, Enrique Peña Nieto connaît actuellement la plus grave crise de sa présidence depuis son accession au pouvoir en 2012.

Le drame d’Iguala met ainsi malheureusement en lumière l’un des plus profonds fléaux actuels du Mexique: la corruption des autorités politiques et policières avec les cartels de drogue locaux. 

Selon Mauricio Mejia, « le gouvernement mexicain est doublement responsable. Le gouvernement local d’Iguala a commandé la disparition des étudiants et la « prise en charge » par le cartel des Guerreros Unidos. Mais le gouvernement fédéral est aussi responsable par son action tardive, inefficace et par le manque d’information donnée aux familles. On se rend compte que la coalition entre le gouvernement et le narcotrafic est réelle et très dangereuse ». Il ajoute que « la possible démission de Peña Nieto ne doit pas être justifiée « seulement » par la disparition des étudiants mais plutôt par les 20 000 disparus pendant son mandat et l’absence d’un Etat de droit au Mexique ». 

Sans le moindre doute, l’affaire d’Iguala marquera profondément la présidence d’Enrique Peña Nieto. La question reste à présent de savoir si elle permettra de lancer un renouveau de la classe politique mexicaine et une lutte efficace contre la corruption et la main mise des cartels de la drogue sur le sol mexicain. 

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