Northwest : l'ascension du cinéma danois

20 Octobre 2013



Michael Noer réalise un film extrêmement puissant où se mêlent drame familial et violence mafieuse de manière totale et brute. Northwest n'est pas un film policé, il témoigne sans équivoque du dynamisme du cinéma danois.


Crédits Photo -- Magnus Nordenhof Jonck
Crédits Photo -- Magnus Nordenhof Jonck
Nordvest est un quartier populaire de Copenhague, où habite Casper, le jeune protagoniste du dernier film de Michael Noer. La volonté du cinéaste danois est claire, dès le début : inscrire son film dans une dimension sociale, presque descriptive de ce milieu où il est si facile de tomber dans une guerre des gangs. Pour autant, le réalisateur n'oubliera pas qu'il fait un avant tout un film et qu'il est nécessaire de captiver son public pour qu'il puisse, sinon s'identifier, du moins se sentir entraîné dans cet univers. Casper devient familier en à peine une heure et demie, alors qu'il évolue dans un milieu à la fois populaire et dangereux. Noer n'oublie pas son histoire au profit d'une dénonciation d'une situation sociale désespérante, sans verser non plus dans la mise en spectacle de la misère du monde.

Un thriller mafieux

Le scénario de Northwest est classique. Un jeune homme d'une vingtaine d'années subvient à ses besoins et à ceux de sa famille grâce à des cambriolages de petite envergure dans la banlieue chic de Copenhague. Il revend sa marchandise à un Arabe de son quartier qui ne se gêne pas pour l'arnaquer. Casper est contacté par un membre d'un gang local plus important qui lui propose plus d'argent et une sorte de grande famille. Presque sans hésiter, Casper accepte la proposition et est alors entraîné dans une spirale de violence intrinsèque aux gangs mafieux. Le déroulement du scénario est donc prévisible, les mécanismes du genre fonctionnent parfaitement. Mais la singularité du film réside dans la manière qu'a le réalisateur d'investir ce mécanisme connu pour emmener son film vers la chronique familiale et sociale. On pourrait penser aux films de James Gray même si le film danois est beaucoup plus rude et brut.

Tout autour de ce personnage principal, gravitent des personnages essentiels, tous très différents. Il y a son ami de longue date, petite frappe qui refuse de s'engager plus loin dans l'illégalité, sorte de double moins entier et ambitieux. Son associé sera donc son frère de 17 ans qu'il a tenté un temps de mettre à l'abri de ce milieu dangereux. Plusieurs ressorts du film reposent sur ce personnage, traité en arrière plan mais de manière habile. Par petites touches, on comprend que ce frère, protégé et brimé parce que faible, est beaucoup plus radical qu'on ne le pense au premier abord.

La mère est également intéressante avec son attitude à la fois tolérante et aveugle, désespérée et forte. Même l'amour de Casper pour sa petite sœur, plus banal et gratuit, est construit grâce à des scènes rapides et efficaces. La petite amie de Casper semble par contre un personnage moins poussé : on la voit très peu et elle apparaît comme très superficielle. Mais on comprend grâce à sa présence effacée, que Casper ne peut pas être estimé autrement que par l'argent qu'il apporte. Sans travail, sans diplôme ou éducation visible, subvenir aux besoins de ses proches est sa seule chance d'avoir des responsabilités.

Tous ces personnages forment comme une nébuleuse autour de lui et elle seule donne un sens à sa vie, et à l'histoire du film par la même occasion. Casper se jette dans ce monde mafieux violent, vénal où la drogue est le seul plaisir. L'enjeu dramatique du film est fondé sur l'impossibilité de faire concorder ces deux mondes sans que la violence de l'un envahisse l'autre.

Le réalisateur et son co-scénariste n'ont alors pas cédé à une facilité de représentation : le gang n'est pas exactement une seconde famille pour Casper. Son schéma familial d'entraide et de protection (celle par exemple qu'il exerce sur son petit frère) ne fonctionne plus. Certes, Bjorn (le chef du gang) agit parfois comme un père et la structure de son organisation ressemble plus à une famille qu'à un véritable gang. Ce n'est pourtant qu'une façade : la protection de Bjorn est intéressée, Casper est un fils tant que son monde à lui n'empiète pas sur celui du gang. Il n'est pas un individu avec ses besoins, son passé et sa volonté. Il faut qu'il soit simplement un élément obéissant.

Le cinéma de vérité, brut

Les premières minutes de Northwest donnent presque la nausée. La caméra, nerveuse, suit les moindres déplacements de Casper, à son niveau. On suit visuellement sa vie hachée, stressante par essence parce que toujours en dehors des règles et des lois. Le cadre fixe est rare et ne dure jamais plus de quelques secondes. Le cinéma danois a toujours eu ce caractère nerveux et brouillon d'apparence.

Après plusieurs minutes, on oublie ce mouvement constant du cadre. La caméra colle à ce personnage suivi à la trace, dont nous pénétrons l'univers. Jamais ou presque nous ne le quittons, pourquoi alors ne pas aussi adopter son mode de déplacement, symbole de sa vie en suspens.

On s'habitue également à cette valse de l'image parce qu'elle n'est pas un prétexte ou une facilité. L'espace n'est pas pour autant oublié et s'il est flou et inquiétant, il n'est pas indéfini et invisible. Le rythme des mouvements de caméra est aussi celui du film dans son ensemble. Il n'y a pas une minute où nous ne sommes pas sur le qui-vive, la tension s'accroît continuellement jusqu'à la scène finale. Il serait dommage de figer cette fin par écrit, même si elle est prévisible et annoncée dès les premières minutes du film. On dira seulement qu'enfin le cadre se fixe, la danse du film est finie.

Cette image nerveuse est aussi une image brute qui résiste à la narration lisse qu'on peut trouver dans les films américains. La différence avec James Gray réside ici : les images de Northwest ne sont pas poétiques ou esthétiques. Elles résistent à cet aspect lisse de la composition picturale. Elles sont brutes et nerveuses pour nous donner cette réalité sans l'embellir d'aucune façon. On les reçoit comme une claque.

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