Oulan Bator n’est pas mort

Clément Lamy, membre de UN'ESSEC
6 Janvier 2014



La Mongolie ne retient que peu d’attention sur la scène internationale. Enclavée entre l’Ours russe et le Dragon chinois, elle affiche néanmoins une politique extérieure originale. Le pays parvient ainsi, et contre toute attente, à demeurer une pièce importante du grand jeu asiatique.


Crédits -- pixalbum.net
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Depuis la chute du régime communiste mongol en 1992, la Mongolie est devenue progressivement une véritable République démocratique. Le président en poste, Tsakhiagiyn Elbegdorj, est pétri des idéaux démocratiques américains, où il a notamment suivi ses études. La Mongolie a entièrement repensé sa stratégie internationale. Le pays entend particulièrement préserver l’intégrité territoriale et le maintien de la souveraineté nationale dans un pays où les gigantesques ressources minérales aiguisent l’appétit vorace de nombreux États. L’on trouve en effet en Mongolie du cuivre et autres molybdène, fluorine, tungstène, des pierres précieuses et semi-précieuses, de l'or et de l’uranium. Une posture résolument défensive a donc été adoptée. Elle repose sur une stratégie concentrique comportant trois paliers ayant chacun pour but de garantir l’indépendance et la sécurité au pays de Gengis Khan. La Mongolie n’a pas les moyens de s’ériger ouvertement contre la Russie, ou la Chine.

Des forces armées professionnelles et respectées

Oulan-Bator s’est mis en tête de disposer d’une force d’autodéfense et de sécurité à la fois efficace, moderne et compétente; et qui soit reconnue comme telle à l’étranger. En ce sens, les dirigeants mongols cherchent prioritairement à intégrer militairement la région. En 2004, la Mongolie devient membre observateur de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et participe tous les ans à l’exercice militaire Angkor Sentinel au Cambodge. Ces exercices aguerrissent considérablement les forces armées mongoles. La Mongolie s’engage également dans de nombreuses opérations de maintien de la paix au sein de l’ONU. Plus de 1000 soldats mongols sont déployés à l’étranger. A l’heure actuelle, le pays déploie près de 900 militaires, soldats et observateurs, en Afghanistan, au Darfour, au Sahara occidental et en République démocratique du Congo. Près de 900 militaires mongols ont également été dépêchés en Irak depuis 2003 pour soutenir la sécurité et la reconstruction nationale.

Au-delà de cet engagement militaire, ces opérations menées à l’extérieur permettent aux forces mongoles d’acquérir en retour une expérience de terrain essentielle pour la sûreté du territoire mongol, en cas d’agression potentielle de Moscou ou de Pékin. Si ce petit État n’a évidemment aucune prétention de pouvoir un jour écarter la menace extérieure, son armée professionnelle lui procure un relatif sentiment de sécurité.

Une dépendance habilement maîtrisée

Crédits -- Michał Józefaciuk
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Sur le plan régional, le principal défi des élites mongoles est de parvenir à un équilibre de l’influence des Chinois et des Russes en misant sur la forte concurrence économique et politique à laquelle se livrent ces derniers dans cet eldorado d’Asie centrale. Si la Chine, avec une part de marché qui représente plus de 70 % des exportations mongoles, est sans contredit le premier partenaire économique de la Mongolie, la Russie en est indiscutablement son premier fournisseur. 100 % des hydrocarbures et 80 % du blé mongol proviennent de Russie, ce qui soulève un sérieux problème de dépendance qui n’a fait que s’aggraver au cours de la dernière décennie, notamment avec l’envolée des prix du gaz et des denrées alimentaires. Aussi, la Mongolie tente-t-elle tant bien que mal de maîtriser le niveau de pénétration économique de chacun de ses deux voisins. Suivant cette logique, tout accord politique, économique ou commercial conclu avec l’un sera inéluctablement contrebalancé par la conclusion d’un accord de même ampleur avec l’autre. La ratification le 6 janvier 2011 d’un accord sur le nucléaire civil entre Moscou et Oulan-Bator vient d’être récemment compensée en juin par la signature d’une entente économique et stratégique à hauteur de 500 millions de dollars entre Pékin et Oulan-Bator.

Il en va de même pour les visites officielles. Quelques semaines seulement auront séparé la visite de courtoisie du président Tsakhiagiin Elbegdorj à Moscou de celle de son premier ministre à Pékin, l’an dernier. Cette subtile manœuvre d’équilibre des puissances allège quelque peu les inquiétudes économiques de ce pays encore très pauvre et plus que jamais dépendant de son voisinage. Le gouvernement mongol fait preuve d’une finesse politique reconnue tant avec la Russie qu’avec la Chine.

L’ouverture au monde

La scène internationale est l’ultime volet de cette stratégie de desserrement de l’étau russo-chinois. Il s’agit de créer de nouvelles alliances stratégiques à l’étranger, sans toutefois provoquer les susceptibilités économiques et commerciales des Russes et des Chinois. Dans cet ordre d’idée, la Mongolie entretient des liens très étroits avec le Japon, les Etats-Unis, le Danemark ou encore l’Allemagne, pour ne citer qu’eux. Ces coopérations bilatérales s’organisent à tous les niveaux : économique et commercial, dans le cadre du marché unique, avec plusieurs pays membres de l’Union européenne ; politique, en tant que médiateur ponctuel dans le conflit nord-coréen, pour le Japon ; et militaire, en tant que membre de la coalition en Irak, avec les Etats-Unis.

La vulnérabilité économique de ce pays explique en grande partie les efforts importants entrepris par l’Etat mongol auprès des grandes chancelleries occidentales et asiatiques afin d’attirer de nouveaux investisseurs, notamment dans le secteur des infrastructures dont le pays a grandement besoin. Mais l’aide promise par les différents gouvernements tarde souvent à se concrétiser et la crise économique actuelle, qui frappe de plein fouet les principaux pays donateurs, risque de freiner leur élan charitable.

En attendant les retombées de la rente tirée de l’exploitation minérale, la Mongolie reste toujours un pays en voie de développement où le mode de vie nomade concerne encore près d’un tiers de la population. Le fonds souverain, que l’Etat mongol a créé en 2009 à l’image de celui de la Norvège, devrait pouvoir soutenir dans un futur proche le développement nécessaire de ses infrastructures économiques et sociales et lui permettre une relative autonomie financière. En dépit de ce potentiel, le haut niveau de corruption dans l’attribution des licences d’exploitation de gisement minier au sein même de l’administration mongole demeure un énorme obstacle.



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