Pourquoi UKIP ne l'emportera pas en Ecosse

2 Mai 2014



Les sondages sont catégoriques : avec près de 31% d'intentions de vote, UKIP est annoncé comme le grand vainqueur des élections européennes en Grande-Bretagne. Le "Parti pour l'Indépendance de la Grande-Bretagne", souvent rangé dans la catégorie des partis d'extrême-droite, peinera pourtant sans doute à remporter un seul siège en Ecosse. Chronique d'une rupture politique anglo-écossaise aux conséquences plus importantes qu'il n'y paraît.


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Créé en 1993, le United Kingdom Independance Party fait au départ figure de petit poucet de la sphère politique outre-manche. Caractérisé par ses positions eurosceptiques et anti-immigratoires, il reste dans l'ombre à ses débuts. En 2004, UKIP fait toutefois une entrée remarquée dans la cour des "grands" : il rassemble en effet 16,6% des voix aux élections européennes et devient de fait un adversaire de taille pour les Conservateurs, les Travaillistes et les Libéraux-Démocrates. Le succès est confirmé lors des élections européennes de 2009 au cours desquelles le parti remporte un nouveau siège, portant le nombre de députés UKIP siégeant à Strasbourg à treize. Le parti est toutefois peu populaire en dehors de ces scrutins, à l'exception des élections locales de 2013 où il a obtenu 23% des votes. Il est aujourd'hui le favori des sondages pour les élections européennes de mai prochain.  

Quelle est la recette du succès de UKIP ? Pour commencer peut-être, l'idée que le parti soit la seule vraie alternative. Il est en effet le seul parmi les quatre principaux partis britanniques à proposer une sortie immédiate de l'Union Européenne. Une rhétorique populiste ensuite : UKIP  se déclare "anti-système", cherchant ainsi à se démarquer des Travaillistes ou des Conservateurs "qui plaçaient traditionnellement la protection des classes les plus populaires au coeur de leurs préoccupations" expliquent les porte-paroles du parti. Il faut aussi compter les trois axes forts du parti : le refus de Westminster, de Bruxelles et de l'immigration. En filigrane se dessine une volonté : celle de redonner sa "fierté" à la Grande-Bretagne. Enfin, UKIP compte un dernier atout : son leader, Nigel Farage. Un temps traité de "malade mental" dans l'hémicycle strasbourgeois du Parlement européen, aujourd'hui encore accusé de racisme et d'actes antisémites, Nigel Farage a pourtant été réélu trois fois. Souvent controversé, le chef de UKIP n'en est pas moins un leader charismatique.

Un parti d'extrême-droite ?

Un scandale a secoué le monde politique britannique ces derniers jours, et rappelé à ceux qui l'avaient oublié que UKIP est loin d'être à l'abri des dérapages. Alors que l'acteur britannique Lenny Henry avait déclaré que la BBC comptait trop peu de minorités ethniques, William Henwood, candidat UKIP pour les élections municipales a répondu sur Twitter qu'il ferait mieux d'aller vivre "dans un pays de noirs" ("in a black country").

Cet évènement a reposé la question de l'appartenance politique du parti : UKIP, un parti d'extrême-droite ? Pour la majorité des politiques britanniques et de la presse, la réponse est oui. Le parti de Farage est en effet taxé de raciste, pas à l'encontre des immigrés asiatiques ou africains à l'instar du très xénophobe British National Party, mais envers les ressortissants de l'Union européenne dont la liberté de circulation est permise dans l'espace Schengen. UKIP serait donc un parti "euroraciste".

Il suffit de jeter un oeil à leur nouvelle campagne de communication pour s'en convaincre. Les affiches représentent un énorme index pointé vers le lecteur, sous-titré de la légende suivante "vingt-six millions de personnes en Europe cherchent du travail. Mais à qui appartient le travail qu'ils cherchent ?". L'affiche ne le dit pas, mais le sous-entendu est plutôt limpide : "à vous qui faites partie des 7% de chômeurs britanniques". En dépit des multiples critiques qu'a suscité l'affiche, elle n'a pas quitté les murs ni les panneaux d'affichage. 

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Les qualificatifs de "raciste" et de "parti d'extrême-droite" sont pourtant catégoriquement reniés par Farage. La déclaration raciste de M. Henwood a ainsi suscité des réactions scandalisées dans les rangs du parti, conduisant à la démission du candidat. On a aussi récemment appris qu'une enquête menée en interne a conduit au lancement d'une procédure d'expulsion à l'encontre de deux membres affiliés à des groupuscules d'extrême-droite. En qualifiant les responsables des dérapages et les extrémistes de "pommes pourries", Nigel Farage entend donc montrer patte blanche et préserver son image d'ici aux élections européennes ; des élections qui pourraient bien marquer l'apogée du parti.

Mai 2014 : une victoire annoncée

Depuis 2004, les élections européennes ont à chaque fois marqué la progression de UKIP ; la tendance sera très probablement confirmée cette année. Avec 31% d'intentions de vote dans les derniers sondages, le parti de Farage s'annonce comme le grand vainqueur des élections de mai 2014. Le programme de UKIP, intitulé "Créer un tremblement de terre", revient sur les engagements du parti : se désengager du processus de construction "d'Etats-Unis d'Europe", continuer à aller au Parlement "non pas pour le rendre plus puissant et pour l'aider à passer plus de lois", mais pour "voir ce que les autres députés y trament". 

Il pointe du doigt le bureaucratisme de l'Union européenne ("depuis 2010, 3600 nouvelles lois ont été imposées à la Grande-Bretagne (...) il nous faudrait  93 jours pour les lire toutes"), son incapacité à réguler l'immigration ("d'ici 2020, la population britannique aura augmenté de 3 millions"), la mise en danger des services publics par l'immigration incontrôlée (le système éducatif et la sécurité sociale notamment), les directives écologiques instaurées par l'Union européenne. "qui forcent des fermiers à installer des éoliennes dans des champs où le vent ne souffle pas"... Le programme s'achève sur les mots "Nous voulons le retour de notre pays. Pas vous ?". Face à cette rhétorique nationaliste et populiste, on comprend que pour de nombreux britanniques, UKIP soit "la" solution.
 

L'exception écossaise

En 2013, le succès commençait à sourire sérieuseument au parti suite aux bons scores réalisé aux élections locales en Angleterre ; l'Union européenne avait alors cessé d'être le seul terrain de jeu du parti, au profit de la Grande-Bretagne. Fort de ce succès, l'Anglais Nigel Farage a donc décidé d'aller inaugurer le lancement de la campagne en Ecosse avec une conférence de presse donnée à Edimbourg. Il y a été pour le moins mal reçu : réceptionné par une foule qui n'a eu de cesse de le huer et de l'interpeller, Farage a dû se faire escorter par des forces de police, finissant par se réfugier dans un pub. 

Cet évènement est peu surprenant quand on connaît les vues de l'Ecosse sur la question de l'Union européenne. Sans pour autant être massivement "europhiles", les Ecossais sont connus pour se démarquer du reste des britanniques concernant la participation de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. Alors que David Cameron prévoit l'organisation d'un référendum sur la sortie de l'Union d'ici à 2017, le gouvernement indépendantiste au pouvoir en Ecosse depuis 2007 défend l'intégration européenne et en fait un axe fort de son programme. Même si l'élection d'un député eurosceptique est peu probable en Ecosse, le parti déclare pouvoir briguer l'un des six sièges dévolus au pays. Une annonce à ne pas prendre à la légère quand on sait que UKIP est crédité de 14% d'intentions de vote.

Pourquoi UKIP ne l'emportera pas en Ecosse
Au-delà de l'enjeu immédiat que représente les élections européennes, c'est une autre question que poseront les résultats du scrutin : l'Ecosse partage t-elle toujours un destin commun avec la Grande-Bretagne ? Sans tomber dans les généralités, il est admis que l'Ecosse tend depuis quelques décennies – et en particulier depuis "l'ère Thatcher", dont une bonne partie des Ecossais ne s'est toujours pas remise - à être plus à gauche que ses voisins. Les positions de UKIP sur l'immigration, le mariage homosexuel, l'environnement ou le nucléaire se situent donc aux antipodes de la majorité de l'opinion publique écossaise. Plus que le fait de savoir si l'UKIP emportera effectivement un siège en Ecosse en mai prochain, il s'agit donc de se demander si le Royaume "Uni" l'est toujours. A quatre mois du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, un plébiscite pour le parti europhobe et nationaliste de Farage en Angleterre accentuerait encore le fossé qui sépare l'Ecosse du reste du pays. De quoi donner des arguments supplémentaires aux défenseurs du "oui", dont la cote de soutien dans les sondages est en hausse depuis déjà quelques jours.

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Alice Quistrebert
Bretonne pur beurre cultivant ses racines à l'IEP de Rennes, co – rédactrice en chef du magazine... En savoir plus sur cet auteur