Poutine et l’échiquier de Sotchi

Victor Andraud, membre de UN'ESSEC
28 Décembre 2013



Sotchi se profile à l’horizon. A lui seul, ce rendez-vous olympique constituera pour Vladimir Poutine la vitrine qu’il attendait pour présenter au monde « sa » nouvelle Russie. Sur les crêtes enneigées du Caucase s’affaire encore la diplomatie russe qui cherche à effacer les traces qui lui valent aujourd’hui opprobre et pression internationales.


© AFP
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Les Occidentaux ont protesté et signifié leur désapprobation à l’égard des comportements contraires à leur perception des Droits de l’Homme. Ils ont manifesté leur courroux de voir emprisonnés arbitrairement des chefs d’entreprise ou autres manifestants défenseurs de la cause homosexuelle.

Ces chefs d’État, à l’instar de Barack Obama ou de François Hollande, montreront leur opposition à la face du monde en boycottant la cérémonie d’ouverture des Jeux… sans pour autant interdire à leurs athlètes d’y défendre leur drapeau. Certains feront figurer quelques symboles dans leur délégation, à l’image de Billie Jean King, cette championne de tennis des années 1960, qui affichait ouvertement son homosexualité. D’autres rendront visite opportunément à Vitali Klitschko, cet opposant ukrainien, champion s’il en fut du « noble art », et qui aujourd’hui réclame l’autonomie de son pays et son rapprochement avec l’Union européenne. Sur ce ring où se jouent la paix, la fin d’une corruption généralisée, ou le maintien d’un pays sous le joug d’un autre, l’apparition de ces boxeurs à mains nues semble bien déséquilibrée, fût-elle emmenée par un colosse charismatique dans les rues de Kiev.

Poutine vient de répondre à ces gestes hostiles, à ce besoin d’exister, à cette aspiration à la libre entreprise. Il libère Mikhaïl Khodorkovski, à qui l’on offre généreusement une sorte d’asile au sein de l’Union européenne. La Real Politik pour les uns, le devoir d’accueil pour les autres. Dans un même élan, Poutine libère aussi Nadejda Tolokonnikova, la Pussy Riot qui avait osé le blasphème, l’outrage, l’indécence, en raillant le nouveau Tsar, pour quelques miettes de mansuétude à l’égard de la communauté gay. Elle est libérée dans un lot de femmes ayant des enfants mineurs, accompagnée d’une tribu de hooligans, dans une loi d’amnistie assimilant barbares et défenseurs des Droits de l’Homme, comme si l’on voulait noyer le symbole dans la masse. Le sacrifice des pions pour préserver le roi ; le fondement même du jeu d’échecs. Sur les terres d’Anatoli Karpov et de Garry Kasparov, cette offensive ne manque pas d’audace.

Ainsi vont donc les jeux. Ainsi vont les enjeux. La communauté internationale, sans toutefois être dupe, qualifiera ces gestes de faveur de premiers pas vers une cause sociale et humaniste. Ces gestes qui feront peut-être oublier le flux d’armements procuré à Damas durant les mois et les années qui ont précédé l’ouverture du conflit sanglant. L’épisode tchétchène, lui aussi, paraît bien loin. Comme si la grâce d’une amnistie accordée à quelques individus couvrait par magie les sanglantes répercussions d’une politique touchant les masses, voire des peuples entiers.

Pourtant, la grandeur et l’Histoire de cette Russie, celle de Dostoïevski, de Tolstoï ou encore de Tchekhov, constitue toujours ce réservoir d’humanité et de compréhension du monde. Sa lecture nous inspire. Elle porte en elle l’espoir. Nous nous y référons, parfois même, sans le savoir. Comme si, étrangement, le XXIe siècle semblait encore hésiter… entre guerre et paix.

Au regard de toute cette intelligence, Sotchi paraît bien futile. Ses héros peupleront les écrans des dévoreurs d’image que nous sommes. Nous n’y percevrons que la blancheur immaculée de la neige. L’Histoire, quant à elle, retiendra peut-être qu’il n’y eut pas de faute de carres de l’organisateur des jeux de Sotchi, qu’il slaloma allégrement entre les portes du droit international, qu’il sut entretenir la flamme de l’olympisme… L’honneur est sauf. Le gaz russe paraît inépuisable !



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