Prague, ville secrète

Interrail, sur les traces du rideau de fer

8 Juillet 2013



Trois semaines, six villes. Je commence mon road trip en Europe de l’Est à Prague. La capitale de la République tchèque cache derrière son aspect propret des lieux incongrus.


Crédit Photo -- Laurène Perrusel-Morin
Crédit Photo -- Laurène Perrusel-Morin
Interrail est l’occasion pour les étudiants baroudeurs de découvrir l’Europe en payant un ticket leur assurant un certain nombre de jours de voyage gratuits. J’ai profité de cette opportunité pour partir, avec une amie et seulement deux sacs à dos, faire un tour partiel de l’Europe centrale. Un voyage sur les traces de l’histoire du Vieux Continent qui nous a permis d’appréhender les différences entre des pays bien vite regroupés sous le terme de « pays d’Europe de l’Est ».

Première étape : Prague. Après deux correspondances, à Bruxelles et Cologne, nous prenons un train couchette qui nous berce jusqu’à la République tchèque. J’ouvre un œil lorsque le train s’arrête à Berlin : plus d’un mois après avoir quitté ma ville d’adoption, j’ai l’impression de rêver en entendant la voix de la BVG (Berliner Verkehrsbetriebe, qui exploite le réseau de transports berlinois) annoncer les correspondances pour l’aéroport de Schönefeld. Nous traversons une partie d’une Europe dont les frontières ont été abaissées sans même nous en rendre compte.

Prague les pieds dans l’eau

Nous arrivons en République tchèque avec plus de deux heures de retard : la ville a été touchée par des inondations qui ont causé huit décès. L’état d’urgence a même été déclaré deux jours avant notre départ, nous faisant craindre des difficultés lors de notre séjour. La Vltava, la rivière qui traverse la ville, a atteint son plus haut niveau le 4 juin, jour de notre arrivée. Les passagers du train observent avec un mélange d’inquiétude et d’admiration les arbres entièrement immergés. Le célèbre pont Charles restera fermé pendant tout notre séjour. Des mesures ont été prises, et des digues métalliques empêchent le quartier historique, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, d’être immergé.

À peine arrivées, nous partons à la découverte de la ville. La capitale de la République tchèque frappe par son aspect mignon. Ici, tout est ordonné. La ville a été miraculeusement préservée des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. La plupart des bâtiments, souvent peints de couleur vive, sont intacts. Les églises sont nombreuses et ont valu à la ville son surnom de « ville aux cent clochers ». Le soleil refait son apparition et incite les touristes et les badauds à mettre le nez dehors. Un pianiste joue devant la Tour Poudrière, une des treize portes d’entrée de la ville. Le calme après la tempête.

Arrivées sur la place de la Vieille-Ville, Staroměstské náměstí, nous décidons d’aller écouter un concert de musique classique dans l’église Saint-Nicolas, réputée pour avoir accueilli la première représentation du Requiem de Mozart deux semaines après sa mort. Le bâtiment ne paye pas de mine, mais l’acoustique est excellente. Ce n’est que le lendemain que nous tomberons nez à nez avec la véritable église Saint-Nicolas dans un autre quartier, sur la rive gauche de la Vlatva : deux églises ont le même nom à Prague.

Prague et ses secrets

Pour notre deuxième jour à Prague, nous décidons de monter au château de la ville, qui est en réalité une ancienne cité médiévale. L’ambiance de cette colline diffère de celle du reste de la ville. Lorsque nous arrivons à son sommet, un attroupement de touristes attire notre regard. Tous tendent leurs appareils photo en direction de trois fenêtres dont s’échappent des notes de musique. C’est la relève des gardes. Nous faisons le tour du château, et payons quelques couronnes tchèques pour entrer dans la ruelle d’Or, autrefois quartier des artilleurs, envahi par la suite par les alchimistes, puis par les bourgeois et écrivains. Parmi ses habitants célèbres, on compte Franz Kafka, grande fierté de la République tchèque, alors en quête de calme et d’inspiration.

De retour sur l’autre rive de la Vltava, nous montons jusqu’au sommet de la Tour Poudrière, d’où nous pouvons admirer la place de la Vieille-Ville. À nos pieds, des attroupements se forment au gré des animations. Nous reconnaissons certains restaurants dans lesquels nous avons pu manger pour peu cher, et nous apercevons au loin le château, où nous étions quelques instants plus tôt. Nous redescendons de notre perchoir pour nous réfugier sous les caves d’un bar afin d’y écouter un concert de jazz. Ce style est très répandu à Prague, où certains bateaux offrent même des soirées concert lorsque la ville n’est pas inondée.

Prague recèle des secrets : il suffit parfois de tourner la tête pour découvrir de nouveaux coins incongrus ou de nouvelles cours cachées. En quittant les sentiers touristiques, nous parvenons à goûter à la célèbre bière tchèque pour cinquante centimes d’euros la pinte. Au restaurant, une pinte de bière est moins chère qu’un demi-litre d’eau. Pas étonnant que chaque Tchèque boive plus de 160 litres de bière par an ! Pivo (bière en tchèque) sera d’ailleurs le principal mot de vocabulaire que nous ramènerons du voyage, véritable découverte culturelle.

Une ville historique

Pour être sûres de ne pas être passées à côté de certains aspects de la ville, nous partons pour une visite guidée pour notre dernier jour. Les « Free Walking Tours » sont légion dans les capitales européennes. Souvent assurés par des étudiants bénévoles passionnés par leur ville, ils attirent un public plus jeune que les visites organisées par de grosses agences. Nous avons la chance d’être dans un groupe réduit. Notre guide, une rousse dynamique, se présente : « Je m’appelle Andrea. On dit de moi que je suis la Slovaque dans le groupe de guides, mais la moitié de ma famille est tchèque. »

Elle raconte le sourire aux lèvres comment les Pragois se sont libérés seuls, deux jours avant que les communistes ne lancent une offensive sur la ville : « Au fond, cela nous faisait sourire qu’ils se présentent comme nos libérateurs. Les mecs, on s’est déjà débrouillés tout seuls ! avait-on envie de leur dire. » Comme la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie s’est divisée après la chute du bloc soviétique. D’après Andrea, cette division s’est pourtant bien passée : « On a coutume de présenter la séparation de la République tchèque et de la Slovaquie comme un divorce à l’amiable. »

Notre guide nous mène dans le quartier juif, qui fait partie de ces lieux dans lesquels il est agréable de se promener sans but. Initialement construit pour protéger les Juifs, seuls citoyens qui payaient leurs impôts, le quartier s’est transformé en ghetto aux conditions d’hygiène insalubres au XIXe siècle. C’est le quartier de la légende du Golem, création humanoïde supposée aider la communauté juive jusqu’à ce qu’elle se retourne contre elle. Il a alors fallu la tuer, mais on murmure que la bête se trouverait toujours dans le grenier de la synagogue Vieille-Nouvelle, plus vieille synagogue d’Europe.

Nous reprenons le train après avoir posé nos bagages trois jours seulement dans cette ville dont nous n’avons fait qu’effleurer l’histoire. La nuit est déjà tombée depuis quelques heures lorsque nous montons dans le train couchette qui nous emmènera en Pologne pour découvrir une nouvelle page de l’histoire européenne.


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Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur