SISA : une drogue venue de Grèce

27 Juin 2013



Le Journal International est allé à la rencontre d’une victime de la SISA. La personne entretenue (qui a choisi de rester anonyme) était partie en Grèce pour un Service volontaire européen (SVE). Retour sur le calvaire de cette jeune femme, qui s’est terminé il y a seulement quelques mois.


Extrait du documentaire « Sisa, la cocaïne des pauvres » (Capture d’écran)
Extrait du documentaire « Sisa, la cocaïne des pauvres » (Capture d’écran)
Dans quelle situation avez-vous ingéré de la SISA ?

Mon amie et moi avions rencontré un homme plus tôt dans la journée qui avait accepté de nous héberger (on a fait ça pendant tout notre voyage), et nous avons fait une soirée anarchiste avec lui. On a pas mal fumé, pas mal bu, et un moment il me propose une pipe pour fumer, j’ai cru que c’était de l’herbe locale, je n’ai pas regardé ce qu’il y avait à l’intérieur. 

Quels sont les premiers symptômes que tu as ressentis ?

J’ai eu l’impression d’être remplie d’eau. Je ne comprenais plus ce qui se passait autour de moi. Je me souviens que je pleurais, je pleurais dans la voiture. Je voyais des couleurs un peu bizarres, j’avais l’impression que la voiture allait trop vite, puis pas assez d’un coup… Tout ce dont je me souviens, c’est que je n’étais vraiment pas bien, je ne voulais pas rester avec mon amie, ça ne me ressemble pas. J’errais dans la soirée. J’étais super mal, dans un autre monde. Je n’arrivais plus à parler. J’avais l’impression que toutes les discussions que j’avais se reportaient au fil de ma vie, chaque chose était dite pour me faire comprendre quelque chose, et l’impression qu’il fallait que je comprenne quelque chose de très important, c’était un délire un peu « spirituel », il fallait que j’aille vers une « lumière ». J’avais l’impression que tout était factice, un peu comme dans le film Truman Show : qu’il fallait que je me libère, et la libération pour moi c’était la lumière, c’était un délire assez bizarre, tellement que j’ai failli me brûler les yeux en fixant le soleil parce que c’était peut-être un moyen d’accéder à cette lumière. Je n’ai plus eu de contact avec le mec après ça. Je pense qu’il a consommé avec moi, mais je n’ai aucune certitude, je n’étais pas apte à voir si quelqu’un était autant défoncé que moi ou pas.

Suite à cette soirée, que s’est-il passé ?

Je ne voulais plus bouger du lieu où on était, alors qu’à la base on voyageait et qu’on partait tous les jours vers de nouveaux lieux. Cette fois-là, on devait aller à un rassemblement alternatif, qui était vraiment LE but du voyage à la base, mais je ne voulais même plus y aller. Je voulais rester avec le mec. Pendant environ 5 jours, j’avais des hallucinations, je voyais des démons et des êtres « de bonté ». On a quand même réussi à rentrer à Athènes, même si on a trainé à Thessaloniki alors qu’à la base on devait bouger tout autour de la Grèce.

Une fois arrivée à Athènes, tu retrouvais tes repères. Ton état s’est-il amélioré ?

À Athènes je n’ai pas réussi à manger pendant une semaine, j’ai dû perdre autour de 5 kg. Je ne voulais plus m’alimenter, je n’arrivais plus à dormir, j’étais complètement déboussolée, il y a même des passants qui m’ont proposé à manger tellement je ressemblais à une loque. Je n’avais plus les notions de base comme se laver ou se nourrir. C’était horrible, je me sentais dans un autre univers, tout ce qui était normal avant pour moi était remis en question. J’avais l’impression que le monde où l’on vivait n’était pas le vrai monde. Je suis devenue hystérique, je ne voulais plus voir mon amie, je suis partie à pied, mais il fallait que je prenne le bus, je ne savais pas quoi faire, je me demandais si mon amie était là pour mon bien ou le contraire. Finalement, j’ai réussi à prendre le bus et à rejoindre mon institution et là je n’ai plus voulu voir personne, sauf une amie que je connaissais depuis longtemps, qui a réussi à me calmer tant bien que mal. J’ai pu dormir deux heures accompagnées de cauchemars. Mon amie m’a fait à manger, j’ai réussi à manger un tout petit peu, mais ça ne passait pas.

Une fois arrivée, que s’est-il passé ?

Ma coordinatrice m’a proposé de se reposer chez elle, j’ai pété un câble et je suis repartie. Je voulais voir la « montagne sacrée » pour me libérer. Je suis repartie à Athènes et je suis allée dans la rue et ai commencé à enlever mes vêtements parce que Dieu nous aime et nous prend comme on est, sans vêtement pour aller dans l’au-delà. J’ai marché en ville, je me suis retrouvée à moitié nue dans le centre d’Athènes. J’ai cassé phares et rétro de voitures, je criais contre les gens dans la rue parce que j’avais l’impression que tout le monde était en complot contre moi. J’avais arraché tous mes bijoux, j’essayais d’arracher mon atéba, je me suis arraché les cheveux. Je voulais mourir comme pas possible, et je ne comprenais pas pourquoi Dieu ne voulait pas me prendre. C’était vraiment dur. Je me demandais s’il ne valait pas mieux que je me laisse mourir au lieu de remanger.

Comment as-tu fait pour rentrer en France ?

J’avais de rares instants de lucidités. Dans un de ces instants, j’ai appelé ma mère, mais elle me faisait peur. J’avais l’impression que ce n’était pas elle, je paniquais, je raccrochais, elle me rappelait … Elle m’a pris un billet de retour sur le champ. Ça allait un peu mieux, j’étais retournée chez ma coordinatrice, j’ai réussi à remanger un peu chez elle en attendant le jour de mon retour. Ensuite, j’ai réussi à prendre l’avion, mais c’était dur toute seule. J’ai rechuté dans l’avion, j’avais l’impression que des forces maléfiques voulaient me tuer. De retour en France, j’ai revu ma mère qui a pris soin de moi alors que j’avais de très mauvaises relations avec elle. Elle m’a chouchoutée quand je suis retombée dans mes délires, elle dormait avec moi parce que je n’arrivais pas à dormir seul, je vomissais de la bile, je n’arrêtais pas de vomir, comme à Athènes. J’étais comme une gamine, totalement perdue.

Es-tu allée voir un médecin ?

On est allé aux urgences, ils m’ont emmenée dans l’aile spécialisée pour les toxicos. Ils m’ont fait des tests psychologiques. Comme ils m’ont amené un plateau-repas, je devais prendre la bonne cuillère pour manger, c’était très difficile. Ils m’ont aussi fait des analyses, tout était négatif, il n’y avait rien dedans, alors que trois semaines avant j’avais pris du LSD (j’étais adepte des festivals trans-psy).

T’ont-ils conseillé un suivi médical ?

Je n’ai pas eu de suivi médical. Le psy, c’est mon initiative perso.

Que s’est-il passé suite à la déception, quand les médecins ne te trouvent rien ?

Je suis partie un mois en voyage avec ma mère parce qu’elle ne voulait pas me laisser toute seule. Cela a été très long. Pendant un mois je me suis battue pour réussir à m’exprimer comme il faut, parler naturellement. La première semaine, après chaque repas, je vomissais de la bile. 

Au retour de ce voyage, les choses ont-elles évoluées ?

J’ai commencé à aller mieux, à revoir petit à petit du monde. Mes amis m’ont beaucoup aidée, me rassurant, me disant que je n’étais pas folle. J’ai vu un psy pendant 2 mois, une fois tous les quinze jours, ça m’a beaucoup aidée. Ça va mieux depuis, je reprends une vie normale.

Aujourd’hui, comment te sens-tu ? As-tu eu une sensation de manque depuis la prise de la drogue ?

Non, jamais. Ça m’a traumatisée. C’est la pire expérience de ma vie. J’ai vécu des trucs glauques, mais ça pour m’en remettre … Je n’ai plus refait de fêtes depuis, je n’ai plus bu. Rien.

Comment as-tu vu la Grèce par le prisme de la drogue ? De nombreux témoignages parlent d’une hausse de la consommation dans ce pays. L’as-tu ressentie ?

J’étais souvent dans les quartiers anarchiques, et là-bas énormément de drogues circulent. C’est un pays où il y a énormément de festivals psy-trans … Donc il y a beaucoup de drogues. En tout cas, où j’étais, ça circulait beaucoup. 

Même dans les rues d’Athènes ?

Dans Athènes, il y a une force policière très présente, prendre un shoot dans la ville est super dangereux, la police est à tous les coins de rue.

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Nathan Lautier
Ex-rédacteur en chef du Journal International. Etudiant en science politique à l'université Lyon 2,... En savoir plus sur cet auteur