Sri Lanka : comment consolider l'Etat multiethnique ?

18 Juillet 2014



Le 27 mars 2014, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a passé une résolution pour qu’un tribunal sur les droits de l’Homme d’un an se tienne au Sri Lanka pour enquêter sur les infractions commises entre 2006 et 2009 durant la guerre civile qui a elle-même duré trente ans. Le gouvernement Sri Lankais accuse le tribunal de politiser la guerre contre le terrorisme tout en questionnant son impartialité. Analyse.


Crédit DR
Crédit DR
Le 27 mars 2014, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a passé une résolution pour qu'un tribunal sur les droits de l’Homme se tienne au Sri Lanka pour un an malgré les protestations du gouvernement. Vingt-trois ont voté en faveur, douze contre et douze se sont abstenus, avec parmi eux l’Inde.

Il y a actuellement un certain nombre d’infractions présumées sur lesquelles le tribunal a pour tâche d’enquêter, commises par les deux parties en présence. Parmi ces violations figurent le mépris du gouvernement pour les zones proclamées « de sécurité » pour les civils en trois occasions, la détention illégale de plus de 250 000 civils quatre mois après la fin de la guerre en 2009 ainsi que les « centres d’aide » mis en place pour les civils déplacés à l’intérieur du territoire. L’organisation terroriste des Tigres de Libération de l'Îlam Tamoul est accusée, entre autres choses, d’avoir utilisé plusieurs centaines de milliers de civils comme boucliers humains tandis qu’elle se retirait d’une bande de terre près de la côte Nord-Est du Sri Lanka au cours de la dernière offensive, et d’avoir fusillé des gens essayant de fuir des territoires tenus par le gouvernement, et devra rendre compte du recrutement de civils dont des enfants ainsi que du travail forcé sur les champs de bataille.

Cependant, le tribunal se concentre seulement sur les trois dernières années (2006-2009) de la guerre civile qui a duré trente ans, un choix qui est critiqué par le gouvernement sri lankais comme étant motivé politiquement. 

La réponse de Colombo

Jusqu’ici, le Sri Lanka rejette ce tribunal international et condamne les lobbies tamouls internationaux et leur « conspiration » pour que le Sri Lanka demeure faible. Il est vrai que Colombo a raison de souligner l’hypocrisie des gouvernements occidentaux qui passent une résolution sur le Sri Lanka après le conflit tandis qu’ils ne font rien au sujet de la Syrie après que la Russie et la Chine ont opposé leur veto à deux résolutions du Conseil de Sécurité.

Ce qui a contribué à une telle perception n’est pas simplement dû à une influence limitée des Tamouls à l’étranger mais aussi à l’action du gouvernement, par exemple l’arrestation de défenseurs des droits de l’Homme sous le prétexte d’essayer de réorganiser les Tigres. Le défenseur des droits de l’Homme Ruki Fernando et le prêtre catholique Père Praveen ont été arrêtés en vertu des Actes de Prévention du Terrorisme (lois britanniques) le 16 mars 2014, ce qui a entraîné les protestations des médias occidentaux tout en renforçant l’idée que les dossiers sur les droits de l’Homme au Sri Lanka devraient faire l’objet d’une enquête. Compte tenu du fait que les arrestations ont eu lieu une semaine avant que le tribunal ne commence, on ne peut que relever le mauvais minutage du gouvernement. Si l’on ajoute à cela l’isolation politique du Sri Lanka par rapport à l’Ouest, même des partisans clés de l’ONU comme la Chine et des alliés proches comme l’Inde ne pourraient pas empêcher une enquête comme celle-ci. L’un des facteurs qui a contribué à la défaite du vote sur le tribunal des droits de l’Homme est certainement la relation controversée du Sri Lanka avec le Royaume-Uni, après la débâcle des Jeux du Commonwealth, mais aussi au regard de son histoire coloniale.

Le rôle de la Grande-Bretagne dans le conflit : la question de l’indépendance du Sri Lanka

The Island, un média national, a violemment critiqué l’appel de David Cameron pour le tribunal après sa visite dans le Nord durant les Jeux du Commonwealth l’an dernier, contre le vœu exprimé par le gouvernement du Sri Lanka. L’appel de Cameron, en tant que représentant de l’ancien pouvoir colonial britannique, est particulièrement controversé du fait que les Britanniques sont considérés comme ayant largement contribué, par leur favoritisme pour les Tamouls, aux doléances sous-jacentes. En réaction à la suppression coloniale, l’état multiethnique post-colonialisme s’est construit comme un Etat unitaire, bouddhiste, destiné exclusivement aux Cingalais. Cet état discrimine à la fois ses minorités religieuses (musulmans, hindous, chrétiens) et ses autres groupes ethniques (les Tamouls dans le Nord et les Tamouls d’origine indienne qui sont arrivés comme des esclaves dans les plantations centrales au XIXème siècle). Par exemple, la loi sur les Langues officielles de 1956 déclara le cingalais la seule et unique langue officielle, tandis que le gouvernement introduisait également un quota ethnique pour les fonctionnaires. Cependant, les premières politiques ont contribué de bien des façons à isoler le Sri Lanka de la scène géopolitique puisqu’en conséquence, beaucoup de Tamouls très instruits ont émigré aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, ce qui a engendré la création de puissants lobbies à l’étranger qui ont joué un rôle clé dans l’internationalisation du conflit. 

Tandis que l’on doit prendre en considération que la tâche du gouvernement est loin d’être aisée, si l’on tient compte du fait que les Cingalais sont une minorité sur la scène internationale bien qu’ils soient majoritaires sur l’île – ce qui conduit à la peur d’une indépendance de facto de l’état Tamoul dans le Nord – le gouvernement devrait travailler son image internationale sans s’incliner devant la volonté de son ancien pouvoir colonial.

Le 13ème amendement à la Constitution : un compromis pour le futur ?

Ce dont le Sri Lanka a besoin est un compromis pour ne plus être vu comme l’un des « méchants » et cité comme allant de paire avec l’Iran, le Pakistan et la Chine. Un bon moyen pourrait être de réellement appliquer le 13ème amendement de 1987, très controversé. Le 13ème amendement contient des dispositions pour mettre en place des Conseils Provinciaux et des Hautes Cours, et de déléguer véritablement un certain pouvoir aux provinces. En outre, il déclare également le tamoul langue officielle et l’anglais comme langue d’échange, ce qui créerait une base plus efficace pour l’égalité dans un état multiethnique. Néanmoins, cette idée est particulièrement controversée dans l’état centralisé comme il est craint qu’une fois que le Sri Lanka sera décentralisé, les demandes d’indépendance de l’Îlam tamoul resurgissent. Tandis que le degré de décentralisation est discutable, le gouvernement a, jusqu’ici, acquis trop peu de choses en terme de dévolution d’un pouvoir limité aux Tamouls.

Il est évident que le gouvernement n’est actuellement pas en faveur du tribunal, puisque ce dernier menace d’ébranler sa prétention de légitimité au gouvernement qui a libéré le Sri Lanka de la menace terroriste. Si le gouvernement admettait qu’en combattant le terrorisme, les militaires (sous la direction du frère du président, Gotabaya Rajapaksa), ont recouru à des méthodes controversées dans un effort pour anéantir le bastion des Tigres tamouls dans la « guerre finale » proclamée par ces mêmes Tigres en 2006, ils se tireraient une balle dans le pied. Après tout, l’histoire d’une guerre est, dans la plupart des cas, racontée par les vainqueurs – en l’occurrence, le gouvernement. Puisque le tribunal semble ébranler ce genre de narration au lieu d’être perçu comme une opportunité de consolation et une unification qui pourrait s’intensifier, il semble être senti comme une tentative par les perdants du conflit de regagner un peu du terrain perdu avec la défaite de la guerre. 

Notez