Suède : égalité des genres au cinéma

Elodie Pradet, correspondante à Stockholm
8 Novembre 2013



L'Institut du film suédois à Stockholm approuve l'initiative de quatre cinémas qui décident de donner un A+ aux films respectant le Test de Bechdel. Entre réflexion sur la présence féminine au cinéma et danger de l'autocensure culturelle, décryptage.


Ellen Telje, directrice du Bio Rio avec la fameuse certification | Crédits photo -- Ami Bramme/AP
Ellen Telje, directrice du Bio Rio avec la fameuse certification | Crédits photo -- Ami Bramme/AP
En Suède, cela fait un mois qu'une mission égalitaire poussée sur le domaine culturel tente de se faire une place. Depuis ce mercredi et les articles de Telegraph et du Guardian, les regards internationaux se portent sur quatre cinémas, dont Bio Rio à Stockholm, qui ont décidé de donner une « Certification Test Bechdel » à quelques-uns de leurs films projetés en salle. En 1985, Alison Bechdel, dessinatrice américaine venue de Pennsylvanie, a inventé la notion de Test de Bechdel dans sa bande dessinée « Les lesbiennes à suivre ». Les règles sont les suivantes : dans un film, deux femmes nommées explicitement parlent l'une à l'autre à propos d'un sujet autre que celui d'un homme.

Deux objets à comprendre ici : le cinéma suédois et le progressisme suédois. Il faut tout d'abord savoir que la Suède est un pays marqué par la censure au cinéma dès 1896, censure uniforme dans la loi en 1911. Petit pays qui voit arriver un exode rural sans précédent, la Suède se rabat sur une protection du public et de la jeunesse. La population plébiscite pendant près d'un siècle la censure car elle protège des extravagances liées à la vie urbaine. Les règles, très strictes jusqu'en 1971 - le film doit alors observer des règles de morale et de décence pour être autorisé à être projeté – ont été mises au goût du jour depuis. Cependant, la distinction des audiences selon l'âge est marquée : les films sont classés selon « tout public », « 7 ans ou plus », « 11 ans ou plus », « 15 ans ou plus ». De 1911 à 2010, la même instance surveille le cinéma projeté dans les salles de près : le Bureau National de la Classification du Film (Statens biografbyrå). Depuis 2011, c'est le Conseil suédois des Médias qui a pris la charge de « protéger la jeunesse de la mauvaise influence des films ».

La Suède est aussi le pays qui se fait remarquer, à intervalles réguliers, pour ses politiques égalitaires : on se souvient du pronom neutre « Hen » et de la proposition d'un député d'interdire les urinoirs à l'école. Désormais, c'est au tour d'une instance déjà bien cadrée que l'égalité des genres peut trouver sa place : le cinéma. Ce A, note symbolique mettant en exergue les rôles féminins dans le film, provoque maintenant une polémique. The Guardian titrait mercredi « No sexism please, we're Swedish » (Pas de sexisme s'il vous plaît, nous sommes suédois, ndlr). Pour un pays à forte réputation progressiste, difficile de faire mieux pour épater et intriguer l'international, même si Anna Read, fondatrice du London Feminist Film Festival, insiste : « Je ne pense pas du tout que ce soit surprenant que la Suède soit le premier pays à faire ça », dit-elle au Telegraph ce mercredi 6 novembre.

Extrait de la BD de Alison Bechdel
Extrait de la BD de Alison Bechdel
Alors que l'Institut du Film suédois a décidé d'approuver la décision des cinémas, Hynek Pallas, critique cinéma suédois, déclare au Svenska Dagbladet que ce n'est pas un signe optimiste pour la production cinématographique : « Un institut subventionné par l'État ne devrait pas envoyer des signaux pour dire ce que quelqu'un devrait ou ne devrait pas inclure dans un film. ». Le fait de noter des films selon des critères aussi clos pourrait provoquer une « autocensure séduisante » concernant le financement des films, toujours selon Hynek Pallas. L'Institut du Film suédois subventionne des films, et ce depuis 2013 à parts égales entre hommes et femmes. Alors que les budgets précédents incluaient une tranche de 40 % minimum, le budget 2013-2015 insiste sur le fait que la parité stricte des subventions accordées doit désormais être observée. : « le financement doit être divisé à parts égales entre les hommes et les femmes », pour ce qui est des rôles de réalisation, scénario et production du film.

Sous la polémique, une information manque : le marché cinématographique suédois est composé essentiellement du cinéma américain et de ses nombreux blockbusters. Sans doublage, les films sortent sous-titrés très rapidement, parfois même quelques jours avant la sortie américaine. Le groupe Bonnier, qui détient une bonne partie des quotidiens suédois ainsi que la société de production Svensk Filmindustri, est aussi aux commandes de la principale chaîne de cinéma : SF Bio, tout en ayant 49 % du capital de la seconde chaîne de cinéma : Svenska Bio. Le cinéma suédois est donc majoritairement contrôlé par une entreprise familiale. Aucune comparaison fiable avec un monopole étatique, tel que celui sur l'alcool avec le Systembolaget, mais le marché cinématographique en pâtit. L'offre culturelle est très étroite, malgré la création d'une association de développement d'un cinéma d'auteur Folkets Bio, autrement dit « le Cinéma du Peuple » est ainsi un moteur pour l'implantation d'un cinéma d'art et essai en Suède.

LE CINEMA EST AMERICAIN EN SUEDE

A l'affiche dans les cinémas détenus par Bonnier : essentiellement des films américains, des effets spéciaux et des contes à l'eau de rose hollywoodienne. Or, une étude des films américains produits en 2011 révèle un degré de présence féminine très réduit : un tiers des personnages sont des hommes, alors que seulement 11% des protagonistes sont des personnages féminins. L'étude réalisée par le Centre de Recherche sur la place des femmes à la télévision et dans les films (Université de San Diego) est peut-être une première piste pour comprendre les idées incongrues de ces féministes du cinéma qui tentent désormais de s'imposer sur une chaîne câblée suédoise dès le 17 novembre prochain.

En effet, lorsqu'un suédois zappera sur Viasat Film pendant cette soirée, il aura droit à un « Super dimanche côté A », autrement dit à trois films respectant le Test de Bechdel : The Hunger Games, La Dame de Fer, et Savages. Les journalistes reportant l'affaire au Canada et au Royaume-Uni y vont chacun de leurs petits commentaires sur tel ou tel film qui n'atteindrait pas la note A, mais qui serait bien plus anti-sexiste qu'un autre film réussissant le test. Le journaliste suédois Jan Holmberg, dans le Dagens Nyheter le 18 octobre, combat, lui, sur un terrain précis : « Beaucoup de films pornos recevraient donc la mention TB ». Tanja Bergkvist, physicienne tenant un blog sur le sujet de la folie du genre en Suède s'insurge : « S'ils veulent des genres différents de films, ils devraient en produire quelques-uns eux-mêmes, au lieu de se contenter de montrer les autres du doigt. ».

Ellen Telje, directrice du Bio Rio à Stockholm (cinéma indépendant d'une seule salle), cinéma appliquant la côte, explique que cette note a « ouvert les yeux » de ses spectateurs cinéphiles. « L'objectif est de présenter davantage d'histoires et de perspectives féminines sur les écrans de cinéma ». Le test pose l'hypothèse suivante : les femmes sont le plus souvent un faire-valoir aux rôles masculins, ce qui expliquerait le peu de réussite des grands films hollywoodiens à ces tests. Cependant, un pays idéalisé progressiste comme la Suède reçoit lui aussi de mauvais résultats : sur 30 films suédois en 2012, 10 seulement reçoivent la certification Bechdel, d'après le Dagens Nyheter.

Que Natalie Portman et Kat Dennings parlent de physique nucléaire dans le film Thor ne signifie pas pour autant que ce film bousculera toutes les normes concernant le féminisme au cinéma. Cette initiative culturelle restera sans doute minime en Suède du fait d'un monopole capitaliste et américanisé dans les deux grandes chaînes de cinéma. Mais, à nouveau, la Suède apparaît comme un pays qui ne se contente pas de sa parité déjà bien installée. Poussant les limites toujours plus loin, le féminisme suédois ne se suffit jamais aux progrès de sa propre société.


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