Un nuage sur les Lumières

25 Janvier 2013



Dans la série de ces affreux nuages qui traversent les frontières, avant Tchernobyl et Fukushima, découvrez le nuage de Laki, celui qui fit trembler l’Europe entière quelques années avant la Révolution française.


Nuage de cendre s’échappant de l’Eyjafjöll en 2010 en Islande. Celui de 1783 s’accompagnait de jets de lave pouvant atteindre 1400m de hauteur.
Nuage de cendre s’échappant de l’Eyjafjöll en 2010 en Islande. Celui de 1783 s’accompagnait de jets de lave pouvant atteindre 1400m de hauteur.
Durant l’été 1783, les chroniques d’Angleterre s’alarment de pluies de cendres qui s’abattent sur leurs contrées et parlent d’un « été de sable » alors que les curés de campagne du Lyonnais constatent un été particulièrement chaud avec des orages de grêles qui déciment les récoltes. Les médecins allemands s’alarment de morts anormales, pendant que Benjamin Franklin s’étonne du soleil étrangement rouge qu’il observe lors de son voyage sur le vieux continent. Les colons espagnols, quant à eux, voient pour la première fois des blocs de glace dans le golf du Mexique. A l’automne suivant, des inondations sans précédent sont enregistrées à Lyon, à Rouen et l’hiver 1783-1784 est redoutable: la Seine se traverse en luge pendant deux mois, les corbeaux gèlent en plein vol. 

A priori, aucun lien entre ces épisodes survenant à des milliers de km de distance et pourtant, tous ces éléments sont dûs à une même cause. Un dérèglement climatique ? Mais l’homme ne pollue pas encore ! Non, il est dû à l’émergence d’une chaîne de volcans de 130 cratères en Islande, cette lointaine île inconnue de la plupart des Européens de l’époque.

L’éruption volcanique du Laki a lieu le 8 juin 1783. C’est la plus importante du dernier millénaire, et la plus grande coulée de lave des temps historiques. Elle est dûe à l’ouverture d’une faille volcanique sur 25 km de longueur. L’éruption dura une année entière mais l’essentiel du gaz et des laves furent émis les cinq premiers mois. Au total, la fissure déversa 120 millions de tonnes de souffre, de gaz carbonique, 8 millions de tonnes de fluor qui envahirent près de la totalité de l’hémisphère nord. Les gaz provoquèrent des modifications dans l’atmosphère qui dévièrent notamment le courant du Gulf Stream et engendrèrent des dérèglements climatiques importants les cinq années qui suivirent : sécheresses, inondations, froid en Europe et même dérèglement des moussons en Asie. 

L’Islande fut à l’évidence le pays le plus touché par le cataclysme. Les habitants pensèrent que l’Enfer était venu sur Terre en voyant les couleurs du ciel, la fumée, les odeurs. On estime que 25% de la population a péri suite à l’éruption. La couche de lave et les dépôts de fluor sur la végétation condamnèrent les terres cultivées et la totalité du bétail qui s’empoisonnait. Beaucoup d’Islandais s’exilèrent. 

Le volcan anéantit l’Islande, étonna l’Amérique. En Europe, il provoqua d’importants troubles économiques et sociaux dans la décennie qui suivit. Les historiens estiment qu’il est responsable de la hausse du taux de mortalité de ces années-là, mesurable avec les registres paroissiaux.

Certains historiens du climat vont même jusqu’à en faire l’un des facteurs majeurs de l’éclatement de la Révolution française en 1789, la population étant exténuée par la maladie, la disette et le froid. C’est aller trop loin dans l’analyse, puisque les mêmes causes n’ont pas eu les mêmes effets en Angleterre et en Allemagne, où la population subissait pourtant les mêmes aléas. Au-delà de ces grandes hypothèses, on ne peut nier l’influence de l’irruption dans la vie économique de l’Europe pré-industrielle.

L’éruption de l'Eyjafjöll, en 2010 dans la même chaîne volcanique avait paralysé le trafic aérien. Le vent avait, là encore, rabattu les cendres et les gaz vers l’Europe occidentale sur des milliers de kilomètres, rappelant à l’homme moderne sa soumission aux événements climatiques fussent-ils fort lointains.

Les Archives municipales de Lyon accueillent actuellement l’exposition « Climats : À nos risques et périls ! ». Jusqu’au 30 mars 2013, vous pouvez apprendre sur les grands événements climatiques qui ont secoué l’histoire lyonnaise depuis le Moyen-Âge. 

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur