Venezia amore mio !

12 Juin 2014



« Venise c’est un songe posé sur le bord de la mer » disait Maxence Fermine dans son ouvrage Le Violon Noir. En effet, la cité des Doges en a inspiré plus d'un. Ses canaux, ses ruelles tortueuses, la brume qui habille la place Saint Marc aux aurores, n'appellent qu'ivresse et poésie. Elle en est d’ailleurs devenue l'incarnation de l’amour et du romantisme. Un cliché qui a parfois ses parts d’ombre. Lumière en texte et en image sur une ville magique et ses contradictions.


Crédit Mathilde Grenod
Crédit Mathilde Grenod
Ah, Venise ! Ta légende est donc vraie ! Les gondoles qui caressent tes eaux calmes, la quiétude de tes ruelles, tes églises mystiques, tes ponts mythiques… Tu fais bien honneur à ta réputation. Y a t-il plus belle splendeur que le coucher du soleil sur la chaleur de tes somptueuses demeures ? Venise, tu es bel et bien magique, il n’y a pas de doute.

A peine mon pied avait-il foulé le sol de l’île que déjà j’étais envoûtée. C’était un vendredi matin. Pour payer mon billet d'avion moins cher, j’avais passé la nuit à l’aéroport des compagnies low-cost, allongée sur un bout de magazine et couverte du seul pull que j’avais emporté, au cas où. J’arrive à l’aéroport de Venise-Marco-Polo, il est six heures du matin, et déjà une épaisse brume empêchait de voir dix mètres au loin. Trente minutes de bus, me voilà arrivée. Que le spectacle commence.

Crédit Mathilde Grenod
Crédit Mathilde Grenod
Il était encore tôt et déjà les abords de la gare routière grouillaient de touristes, de taxis, de bus et autres navettes. Les bateaux à moteur et les vaporettos, l’équivalent des transports en commun, troublaient le calme des eaux vénitiennes. A la recherche de l’auberge que j’avais choisie pour passer mon weekend, j’ai déambulé pendant au moins deux heures dans les ruelles suffoquant déjà sous le flot de hordes de touristes, armés de leur appareil photos et autres caméras, prêts à dégainer. Il ne faudrait pas en perdre une miette… Malgré mon plan, je me perds parmi toutes ces rues tortueuses, les milliers de petits ponts qui surplombent les canaux. Je baragouine quelques mots en italien pour trouver mon chemin et j’arrive, enfin, à trouver le toit qui m'abritera pendant ces trois jours. Cela fait seulement quelques heures que je suis arrivée et déjà, je me sens un peu fatiguée. Il faut dire que je n’ai pas beaucoup dormi, mais la foule doit y être pour quelque chose. Un peu de repos, une bonne douche et j’étais repartie.

C’est tout de même incroyable le charme que Venise peut dégager. Cela tombe sous le sens qu’il y ait tant de monde pour venir la voir, la visiter, la consommer. Les vaporettos sont archi-pleins, je dois en laisser passer plusieurs pour pouvoir y monter. Enfin, c’est surtout hors de prix. Déjà au Moyen-Âge, Venise était une des villes les plus riches de ce qui est l’Italie aujourd’hui. Fondée vers le VIème siècle par des habitants des régions voisines après l’invasion de l’Italie du Nord par les Lombards, elle deviendra une cité-Etat des plus influentes. Son accès à la mer permet un rayonnement commercial, diplomatique et militaire importants qui participèrent à sa grande richesse. D’où le fait qu’elle transpire le luxe et la distinction. Mais pour un touriste, assister à un tel spectacle, ça n’a pas de prix, si ? Disons que si sept euros pour un ticket de vaporetto, qui dure environ une heure, ne vous semble pas si cher, alors non, la beauté de Venise n’a pas de prix.
Crédit Mathilde Grenod
Crédit Mathilde Grenod

« Venise, c’est comme manger une boîte entière de chocolats à la liqueur d’un seul coup » Truman Capote

Comment ne pas tomber amoureux de Venise et à Venise ? Pas étonnant qu’elle soit devenue la capitale mondiale de l’amour. Et par la même occasion, une source de profits intarissable. Même si la grande majorité des touristes semblent faire partie de groupes de voyage ou sont en famille, partout vous verrez des couples s’enlacer, se regarder dans les yeux avec tendresse au pied du Pont des Soupirs. Pas les soupirs amoureux, non. Reliant l'ancienne prison aux bureaux dans lequel les prisonniers étaient interrogés, la légende raconte que le pont a pris ce nom en raison du soupir qu'ils poussaient lorsqu'ils jetaient une dernière fois un regard sur la ville avant la sentence fatale. Bref. 

Les eaux du Grand Canal, celui qui traverse la ville en son centre, sont envahies de ces fameuses gondoles et de leurs humbles capitaines vêtus de marinières bleues ou rouges. Il était étonnant pour moi de voir que la plupart des couples qui avaient cédé à la tentation, loin d'être des plus accessibles, ne se parlaient ni ne se regardaient. Comme si Venise était le voyage de la dernière chance. Il me semble que c’est Serge Reggiani qui disait dans une de ses chansons que « Venise n’est pas en Italie, Venise, c’est chez n’importe qui, fais lui l’amour dans un grenier et foutez-vous des gondoliers ». Sage conseil.

Argent pas content

Crédit Mathilde Grenod
Crédit Mathilde Grenod
Imaginez. Comment réagiriez-vous si tout au long de l’année, un infini flot de touristes dans les rues de votre ville ne faisait que sortir, et acheter une baguette de pain vous prendrait quinze minutes au lieu de trois ? Alors ? C’est bien ce que je pensais. Vous seriez à bout. C’est ce que j’ai pu ressentir auprès des très rares Vénitiens que j’ai aperçu durant ce weekend. 

Aux heures de pointe, les vaporettos étaient tellement surchargés que les petites grands-mères ne pouvaient même plus s’asseoir sur les sièges leur étant réservés et pestaient « Dannati turisti ! » (« satanés touristes ! »). Un ras-le-bol, voire une colère générale compréhensible mais aussi justifiée. En effet, une loi votée en 2013 qui réduisait à cinq par jour le nombre de grands navires entrant dans Venise et interdisait les bateaux de croisière devant la place Saint Marc a finalement été abrogée. Au grand dam des habitants et des écologistes qui voient leurs habitations se dégrader de jour en jour par les remous et les vagues que causent ces énormes embarcations. Temps de crise oblige. 
Crédit Mathilde Grenod
Crédit Mathilde Grenod

Un conseil : perdez-vous! 

Si je pouvais seulement vous donner un conseil, ça serait celui-ci : jetez votre plan à la poubelle et déambulez à l’aveugle. Vous en verrez plus que n’importe qui sur la véritable Venise. Fuyez les vendeurs de bibelots de la place Saint Marc bondée et les glaces italiennes à huit euros et laissez vous porter par la magie du hasard. 

Vous tomberez sur des petits autels de rue où les mamma italiennes font des offrandes à la Madonna, la Vierge Marie, les réseaux complexes de fils à linge où sèche l’intimité des vénitiens, les gondoliers qui boivent le café entre amis après une journée de boulot surchargée, les enfants qui jouent au calcio (football) ou qui rentrent de l’école sur leur petit bateau à moteur. C’est là que se trouve la magie de Venise, la vraie.

L’envers du décor

Crédit Mathilde Grenod
Crédit Mathilde Grenod
Evidemment, comme partout, la cité des Doges n’est pas seulement faite de marbre et d’or. Lorsque je me laisser emporter par les embruns marins, j’ai pu entrevoir ce que le touriste lambda ignore, un paysage sur lequel il ne tombera pas en tapant « Venise » dans sa barre de recherche Google. La poussière sous le canapé. C’était là qu’atterrissaient, les mégots, les bouteilles d’eau et autres déchets que des milliers d’entre nous jetons par terre. C’est le quotidien d’une partie des habitants de la capitale de l’Amour, ce sont eux qui subissent le contrecoup d’un succès planétaire sans en toucher réellement les fruits. De quoi vous passer l’envie de laisser s’envoler les petits papiers qui dépassent de vos poches. 

Billet doux

Venise est grandiose. Elle est magique, elle est mystique, elle est secrète. Mais elle est surtout éphémère. Ces trois jours passés dans le temple du romantisme m’ont charmée, m’ont séduite, mais m’ont aussi fait prendre conscience de la manière de voyager au XXIe siècle. « Il faut aller voir ça » m’a t-on répété la veille de mon départ. Je ne savais pas qu’on pouvait aussi consommer des paysages. Il y a une chose que j’ai apprise à Venise : ne voyagez pas pour les photos que vous montrerez à vos amis ou votre famille. Voyagez pour vous. 

Notez


Mathilde Grenod
Master's student in New Media and Digital Culture at the University of Amsterdam. Spending my free... En savoir plus sur cet auteur