Allemagne : sans-papiers, sans droits?

25 Mars 2013


Le 23 mars, les réfugiés en Allemagne et leurs soutiens ont manifesté à Berlin. L’occasion de rappeler les lois répressives qui empêchent leur intégration.


@Laurène Perrussel-Morin
Le 23 mars, les réfugiés foulaient le pavé verglacé berlinois. Cette manifestation, qualifiée de « Refugee Revolution », a été soutenue par une grande partie de la population de la ville. On estime que les participants étaient environ un millier. « Grenzenlose Freiheit » (liberté sans frontière), « Borders only exist in your head » (les frontières n’existent que dans ta tête), « Freedom has no nation » (la liberté est apatride)… Les slogans, en allemand, en anglais ou en français, protestaient avec poésie contre l’absence de droits des réfugiés.

Des lois oppressantes

Les sans-papiers en Allemagne sont enfermés dans de véritables camps dans des conditions dégradantes. Obligés par la Lagerpflicht (interdiction de sortir du Land attribué) à vivre à deux ou plus dans une chambre, ils sont isolés du reste de la population, souvent dans d’anciennes casernes militaires situées en périphérie. Ainsi enfermés, parfois dans l’attente d’une expulsion qui peut durer un an, les réfugiés se sentent criminalisés et ont le sentiment d’être inutiles. Le cas allemand n’est pas unique : les mauvaises conditions de détention des réfugiés en Grèce et en Italie ont déjà été soulignées dans des rapports officiels.

Par conséquent, les suicides ne sont pas rares. Un réfugié iranien s’est pendu en mars 2012 dans un camp de Würzburg, à l’ouest de l’Allemagne, entraînant une vague de protestations. Des sans-papiers ont organisé en septembre la Protest March qui les a mené de Würzburg à Berlin. Mais cette prise de conscience ne s’est pas faite sans heurts : les réfugiés étaient soumis aux pressions des responsables des camps, qui leur affirmaient qu’ils ne recevraient pas de papiers s’ils manifestaient. La méfiance régnait encore parmi les militants au début du mouvement, les policiers en civil infiltrés n’étant pas rares.

Soumis à la Residenzpflicht, loi unique en Europe, les réfugiés sont contraints de rester dans la région que l’Etat leur a assignée. Cette mesure incite les forces de police à effectuer des contrôles au faciès afin de vérifier que la loi est respectée. S’ils sont arrêtés, les réfugiés en-dehors de leur zone de résidence doivent payer des amendes. Or, il leur est difficile de s’exécuter : l’Etat ne leur fournit que des bons d’achat, et il leur est interdit de travailler.

Des lois et règlements contradictoires

Selon les militants, la politique européenne d’immigration choisie ferme les yeux sur les véritables motifs de migration, qui sont bien souvent politiques. S’il existe en Allemagne une loi relative à la procédure d’asile, le droit d’asile y est en réalité inexistant. Le règlement européen Dublin II stipule en effet que le sans-papiers est demandeur d’asile dans le premier pays européen sur lequel il pose les pieds. Or, l’Allemagne n’est pas frontalière des pays d’émigration. Le pays contrôleur a ensuite six mois pour renvoyer le demandeur d’asile dans son pays européen de référence. Les réfugiés en Allemagne tentent donc de faire durer le traitement de leur dossier afin de pouvoir rester sur le territoire. Si l’Europe a permis l’atténuation des frontières en son sein, elle les a accentuées vis-à-vis de l’extérieur. 

La Protest March est arrivée en octobre à Berlin. Les réfugiés qui sont restés ont monté le désormais célèbre « Protest Camp » de l’Oranienplatz. Cent vingt personnes y logent toujours sous des tentes, malgré le long hiver berlinois, clamant haut et fort : « Aucun homme n’est illégal ! »




Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon… En savoir plus sur cet auteur