Brésil : au coeur d’un pays sous tension

Thomas Nogris
28 Aout 2015


Depuis plus de deux ans, le Brésil est en proie à un vaste mouvement de revendications sociales. À cette situation déjà difficile, il faut en plus ajouter un climat politique particulièrement tendu depuis l’affaire Petrobras, qui fragilise le pouvoir en place. Analyse de la situation du pays de l’ordre et du progrès.


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Samedi 27 juin 2015, battu aux tirs au but par le Paraguay, le Brésil est éliminé de la Copa América, l’équivalent sud-américain de l’Euro de football. C'est une déception de plus dans un pays déjà en proie à une sérieuse crise sociale, et dont même l’équipe nationale de football,qui a longtemps fait la grande fierté du pays, ne fait plus rêver. Cette même équipe s’était retrouvée au cœur de la discorde, entre 2013 et 2014, quand ont éclaté partout dans le pays des mouvements de protestation contre les dépenses liées à la Coupe du Monde. 

Cet argent est mal utilisé selon une large part de la population qui, malgré un attachement viscéral à ce sport, déplore encore le gaspillage des fonds publics destinés à la construction d’immenses stades plutôt qu’à l’investissement dans des infrastructures neuves, et des réformes économiques et sociales jugées indispensables. La médiatisation massive de l’événement avait permis de relayer cette situation au delà des frontières brésiliennes. La frénésie retombée, et malgré le départ des caméras de télévision internationales, s’impose encore aujourd’hui un constat de déception et de mécontentement de la population.

Protestations et austérité au centre de l'agenda politique

Le 29 janvier 2015, le métro de Sao Paulo fut le théâtre de violents affrontements entre jeunes brésiliens et forces de l’ordre. Les manifestants protestaient contre une nouvelle augmentation des prix dans les transports : 3,5 reals contre 3 auparavant, soit environ 1,15 euro pour un ticket de bus. Le but était de rappeler aux autorités brésiliennes que le peuple attend toujours fermement de nouvelles réformes. Le secteur des transports en commun, premier exutoire des contestataires en 2013 et élément déclencheur d’une importante crise sociale au Brésil a été la goutte d’eau de trop pour le peuple, comme en témoigne le slogan qui a rassemblé tant de Brésiliens dans la rue : « Não é só pelleos 20 centavos » qui signifie « Ce n’est pas que pour les 20 centimes ». 

Aujourd’hui, le peuple attend toujours la modernisation promise par le gouvernement.« Les Brésiliens sont en colère, car malgré les promesses d’amélioration des infrastructures, principalement dans le domaine des transports, lors de la candidature du Brésil, rien n’a réellement changé aujourd’hui et les stades construits pour la Coupe du Monde n’ont plus aucune utilité pour le Brésil » explique Bruno, un étudiant Brésilien aujourd’hui expatrié aux États-Unis, qui illustre ce gaspillage avec l'exemple de l’Amazonia Arena, stade flambant neuf de Manaus aujourd’hui inutilisé.

Partout dans le pays et depuis deux ans, la population réclame des réformes sociales en profondeur. Dans le domaine des transports d’abord, mais également dans le domaine de la santé et celui de l’éducation, jugée trop inégalitaire et réservée aux classes supérieures de la population. Le développement de ces services publics n’a pas suivi la forte croissance du pays, et qui apparaissent aujourd’hui dépassés. En avril dernier, et malgré une accalmie générale des mouvements de révolte, des manifestations avaient éclaté dans tout le pays. Des professeurs s’étaient mobilisés suite aux premiers débats parlementaires consacrés à l’étude d’un projet de réforme de l’éducation, que le corps enseignant jugeait insatisfaisant.

Cette modernisation des services publics s’avère d’autant plus délicate que le Brésil doit composer avec des difficultés économiques et une politique d’austérité, réponse du pouvoir en place face à la forte récession qui a marqué l’année 2014. Ces mesures d’austérité, faute d’un terrain d’entente solide au sein de la majorité, n’ont de plus pas engendré les effets escomptés.

Une situation délicate pour Dilma Rousseff

Déjà fragilisé par un climat socio-économique tendu, le pouvoir politique brésilien s’est en plus embourbé dans un vaste scandale financier depuis le début de l’année 2015. La présidente Dilma Rousseff, leader du parti des travailleurs, qui exerce son deuxième mandat depuis sa difficile réélection à l’automne 2014, est dans une situation critique, après que son nom a figuré dans l’affaire Petrobras. Ce vaste scandale de corruption a touché une cinquantaine de dirigeants politiques brésiliens, accusés d’avoir reçu près de 4 milliards de dollars de pots-de-vin de la part du géant pétrolier Petrobras depuis une quinzaine d’années. Ces sommes étaient destinées à sécuriser l’acquisition de contrats publics forts prometteurs. Indirectement touchée par ce scandale, et malgré l’absence de preuve l’incriminant, Dilma Rousseff est au plus bas dans les sondages. 

Elle qui siégeait jusqu’en mars dernier au Conseil d’administration de Petrobras, première entreprise du pays, n’est plus créditée que de 8% d’opinions favorables. Pire, elle pourrait selon ses opposants du parti centriste être contrainte à la démission. C’est en tout cas ce que réclame aujourd’hui une large part de la population. Deux tiers des brésiliens seraient favorables à un changement de président anticipé , « surtout au Sud, où les gens, plus riches et plus éduqués, invoquent l’empêchement inscrit dans la Constitution brésilienne » selon Bruno. Dimanche 16 Aout 2015, environ 500 000 Brésiliens étaient à nouveau dans la rue pour demander sa démission.

Leader du parti des travailleurs, au pouvoir depuis 2002 et ayant pour mot d’ordre la réduction des inégalités, Dilma Rousseff aura fort à faire ces prochains mois avec un défi de taille, l’accueil d’un nouvel événement d’ampleur mondiale, les Jeux Olympiques de Rio 2016 dont l’organisation se déroule pour l’instant sans fausse note apparente. Malgré tout, Bruno, originaire de Rio explique que « beaucoup de Cariocas doutent de la bonne utilisation du budget alloué à l’organisation et craignent encore une fois des dépenses sans réel intérêt pour la population ». Ces Jeux olympiques vont sans aucun doute, et avec tous les risques que cela comporte, remettre le Brésil au centre de l’actualité en 2016.