Buffalo, un phénix prisonnier de ses cendres

30 Décembre 2014


Buffalo, autrefois perle précieuse de l'économie américaine, a vu s'éteindre au fil du dernier siècle les dernières lumières qui éclairaient les chutes du Niagara quelques kilomètres au loin. En moins d'un demi-siècle, crises économiques et effondrement du secteur primaire ont fini d'achever ce qui faisait de Buffalo l'une des villes les plus puissantes des États-Unis. Pourtant, tout espoir n'est pas perdu, et la ville que les marchands de fourrure français du XVIIIe siècle appelaient « Beau Fleuve » semble lentement s'éloigner d'une noyade jusque là jugée inévitable.


Buffalo City Hall - Crédit Mathilde Grenod
Initialement occupée par les tribus indiennes jusqu'au milieu du XVIIe siècle, la région de Buffalo fut graduellement conquise par les Européens. Elle fit l'objet de nombreux clivages entre Indiens, Anglais, Français, et Américains pour son appropriation, comme lorsque les Britanniques incendièrent la ville en 1812. Après un développement relativement lent, c'est une véritable explosion économique et industrielle qui a frappé la ville à la fin du XIXe siècle. Buffalo incarne alors un point stratégique pour le pays grâce à son infrastructure portuaire et industrielle, sa surface de stockage (notamment de grains, dans le Silo District au sud de la ville) et sa position géographique, au bord du Lac Érié, point fort de la tactique commerciale avec le Canada. La première moitié du XXe siècle a vu Buffalo grandir, rayonner, devenir une ville pleine de ressources, dynamique, et florissante. Le City Hall, aux allures de bâtisse à la Citizen Kane, s'érige comme le cœur de la ville, offrant une vue splendide jusqu'aux chutes du Niagara. Pour l'anecdote historique, le glorieux City Hall fut terminé d'être construit une semaine avant le krach boursier de 1929.

Le début d'une fin ?

Ce premier krach n'était d'ailleurs pas de bon augure pour Buffalo. S'il ne lui fut pas fatal, c'est certainement vers la fin des années 1960 que les adjectifs « florissante » et « prospère » ont été désignés pour la décrire. L'ouverture de la voie maritime du Saint Laurent en 1957, la désindustrialisation et le développement du secteur tertiaire, ainsi que les importations américaines massives de l'étranger ont lentement eu raison de ce qui fut autrefois une des dix villes les plus puissantes du pays de l'American Dream .
Main Street - Crédit Mathilde Grenod

Lorsqu'on s'y promène, la grande majorité des bâtiments du centre ville incarnent les vestiges de cette « ère dorée » qu'a connue Buffalo au début du XXe siècle. A l'instar de Detroit, la cité frontalière semble vidée de ses habitants, de son énergie, de la vie si intense qui l'habitait autrefois. Le Theatre District sur Main Street était autrefois le centre névralgique de l'entertainment américain, des spectacles burlesques qui réchauffaient les froides nuits d'hiver des Années folles, l'épicentre de la vibrante Buffalo lors de ses beaux jours. Aujourd'hui, ses rues semblent quasi désertes. Certes, la météo y est certainement pour quelque chose, notamment avec la récente tempête de neige qui a paralysé la surnommée City of Lights, où l'équivalent de plus d'un an de précipitations neigeuses s'est abattu en une semaine, ayant fait 13 morts. Mais pas seulement. On ne manquera pas d'apercevoir depuis le pont qui relie le territoire canadien et les États-Unis, des dizaines d'anciennes usines abandonnées voire parfois en ruine. Près du port, la Silo City, là où les grains étaient stockés dans d'immenses silos, expose à ciel ouvert les carcasses de ce qui fut le gagne-pain des habitants de Buffalo. 

L'impact de cette lente descente aux enfers ou de la plus récente crise économique de 2008 ne manque d'ailleurs pas de se faire sentir sur la population. On peut croiser à Buffalo un certain nombre de personnes sans-abri aux alentours de la gare et des grandes artères, des voitures de police aux endroits stratégiques, et un fort taux de chômage s'y est profondément ancré. La répartition socio-géographique de la population n'est pas non plus le fruit du hasard. Une large autoroute qui encercle pratiquement la ville opère une ségrégation entre le centre-ville relativement aisé, le quartier africain-américain à l'est et le quartier portoricain à l'ouest, près de la frontière canadienne. Le moteur autrefois vrombissant de Buffalo a l'air, à première vue, de s'être éteint.
Concert des chants traditionnels de Pilgrims, église Saint Paul - Crédit Mathilde Grenod

Une ville à l'aube de son printemps

Mais ne soyons pas si pessimiste. Comme un phénix qui renaîtrait de ses cendres, Buffalo semble doucement se réveiller, ou ne s'est jamais vraiment endormie. Avec un peu plus de 261.000 habitants, sa petite échelle en fait une ville chaleureuse où on se connaît de visage ou de nom. Également appelée «City of Good Neighbours » (la « Ville des Bons Voisins »), Buffalo possède une forte communauté et solidarité, notamment pendant les mois d'hiver si difficiles. Si votre voiture est enlisée dans la neige, vous n'attendrez pas même cinq minutes avant que quelqu'un vienne vous prêter main forte. La religion joue aussi son rôle et les très nombreuses églises de Buffalo constituent le fondement d'une solide communauté confessionnelle, notamment chrétienne (plus de 232 églises, toutes confessions confondues).

Le quartier d'Allentown et d'Elmwood sont également la vitrine d'un nouveau vent de fraîcheur sur l'activité de Buffalo, où fleurissent de plus en plus de foodtrucks et de restaurants locavores et végétariens, par ailleurs délicieux: chez Ashter's, les smoothies y sont onctueux et leur salade à la dinde grillée est divine ! 

Elmwood Street - Crédit Mathilde Grenod
L'architecture de Buffalo a toujours été une de ses plus grandes richesses, de ses premiers parcs aux usines désaffectées réhabilitées en ateliers d'artistes ou en salles de concerts. Le City Hall tout comme la tour du One M&T Plaza, un projet de l'architecte Minoru Yamasaki à l'origine des tours du World Trade Center à New York, sont des prouesses architecturales qui donnent à la ville ce cachet si particulier. Lors de l'explosion économique au début du XXe siècle, un phénomène de gentrification a fait fleurir des centaines de villas et de manoirs érigés par les grandes et puissantes familles, aujourd'hui souvent réinvesties en écoles, salles de réceptions ou foyers pour de grandes institutions. 

En d'autres mots, Buffalo n'est plus sans espoir. Malgré les nombreux coups durs qu'elle a essuyés et qu'elle essuie encore, la City of Lights est sur la bonne voie pour prendre un second souffle. Avec ses habitants chaleureux et ses bâtisses remplies d'Histoire, elle est pleine de promesses et certainement à la veille d'une nouvelle ère. De plus, à part son été qui se dit l'un des plus agréables des États-Unis, c'est apparemment la seule ville du pays où on peut voir un des plus beaux couchers de soleil directement sur le lac. Une raison parmi tant d'autres pour aller y faire un tour.

Downtown Buffalo - Crédit Mathilde Grenod



Master's student in New Media and Digital Culture at the University of Amsterdam. Spending my free… En savoir plus sur cet auteur