Censure, corruption, scandales : les médias ukrainiens au bord de l'asphyxie

Yuri Martynenko, correspondant à Kiev (Ukraine)
27 Juin 2013


Une société holding, leader du marché de la presse écrite et numérique ukrainienne, a été rachetée par un jeune multimillionnaire. Les journalistes s’inquiètent, certains tentent de répondre à cette situation par la création d’un nouveau média indépendant.


Crédit Photo -- Gleb Garanich/Reuters
Tout a commencé le mardi 23 avril à Kiev. Au petit matin, les journalistes de la chaîne de télévision TVi se pressent, comme à leur habitude, pour arriver sur leur lieu de travail. À leur arrivée, ils sont tout bonnement arrêtés par les agents de sécurité. Ils apprendront, quelques instants plus tard, que le principal actionnaire de la chaîne ainsi que le directeur ont changé. L’ancienne directrice, très étonnée par cette nouvelle, n'hésite pas à appeler la police prétendant que des inconnus l’empêchent de rentrer dans le bâtiment où elle travaille. Finalement, elle réussit à y entrer grâce à l’aide des députés de l’opposition du Parlement.

Les jours suivants, la chaîne affiche un écran noir : la plupart des journalistes ont décidé de se mettre en grève. Ils demandent à leur nouvelle direction de ne pas se mêler du travail de la rédaction, de ne pas licencier des journalistes et – le plus important – de donner des preuves de la légitimité du nouveau propriétaire de la chaîne. Ce n’est pas chose facile. En cause : les comptes offshores de la direction enregistrés à Chypre.

Le drame s’est achevé le 29 avril : 30 journalistes ont annoncé leur démission, soulignant l’impossibilité de réaliser leur travail en toute objectivité. Les programmes de TVi reprennent du service avec de nouveaux présentateurs, mais la réputation de la chaîne est gravement salie.

Avant ces événements, TVi était considérée comme la chaîne d’opposition. Grâce aux révélations sur la corruption et les programmes très critiques envers les autorités publiques, elle est devenue très populaire en Ukraine. Et même si elle ne comptait pas parmi les chaînes les plus connues, elle pouvait au moins se vanter du soutien considérable de ses téléspectateurs. L’an dernier, TVi croulait sous les dettes. Les organismes fiscaux réclamaient plus de 4 millions d’hryvnias (l’équivalent de 400 000 euros). La direction de la chaîne a lancé un appel aux dons : 2,8 millions d’hryvnias ont été recueillies. Le reste a été donné par les partis politiques de l’opposition.

Des investissements qui suscitent des questions

Les médias audiovisuels ne sont pas les seuls à avoir connu un changement drastique. Le 21 juin, le groupe UMH (United Media Holding Group), leader du marché ukrainien de la presse écrite et numérique, qui possède plus de 50 marques telles que Forbes Ukraine et Vogue Ukraine, a annoncé son rachat par le groupe VETEK. La surprise de certains journalistes s’explique par le fait que VETEK a été créée récemment par un multimillionnaire ukrainien de 27 ans qui n’était pas connu du grand public jusqu’à l’année dernière.

La réaction du rédacteur en chef de Forbes Ukraine, Vladimir Fedorine, ne s’est pas faite attendre : « J’estime que le rachat de Forbes Ukraine, qui appartient au groupe UMH, est la finalité du projet tel qu’il est maintenant. Je suis convaincu que l’acheteur poursuit l’un de ces trois objectifs (ou tous les trois en même temps) : faire taire les journalistes avant les élections présidentielles, blanchir sa réputation et utiliser le magazine pour régler des affaires qui n’ont rien à voir avec le business des médias ».

Vladimir Fedorine a également ajouté que son contrat expirait le 1er décembre 2013, mais qu’il avait décidé de quitter son poste le 1er octobre. Tandis que l’acheteur assure les journalistes de sa volonté de s’investir dans l’univers médiatique et de le développer encore plus, tout en respectant les principes du Code d’indépendance journalistique. Certains observateurs sont plutôt inquiets et tentent de découvrir quel grand magnat se cache derrière la direction de VETEK.

Un enthousiasme contagieux

Au beau milieu de cette sombre ambiance, le journalisme web apparaît comme la meilleure solution. Début juin, la principale organisation de journalistes ukrainiens a annoncé le lancement, dans un avenir proche, d’un nouveau média indépendant, hromadske.tv. Cette chaîne de télévision numérique est présentée comme une esquisse de télévision publique indépendante non censurée. Parmi les journalistes de hromadske.tv, une dizaine ont abandonné leur poste à la chaîne TVi, suite à ce scandale. Leur projet : enquêter sur les affaires de corruption et présenter l’actualité générale ukrainienne. Le format web a été préféré à la télévision : c’est le seul moyen de diffuser l’information en toute liberté, sans dépendre d’une autorisation extérieure, obligatoire pour les chaînes de télévision.

Une affaire bien enfouie qui pourrait échouer très vite sans un financement conséquent. Pour l’instant, les journalistes cherchent des partenaires internationaux compétents prêts à financer le projet en toute transparence. Les autres financements proviendront de la publicité et des dons des Ukrainiens. Dans un pays où l’environnement médiatique semble être livide et en dépit des modestes ressources, la chaîne numérique indépendante peut faire mouche. Elle pourrait également faire des envieux.