Citoyenneté américaine : l’État à la solde de la religion

William Mouelle Makolle
26 Juin 2013


Le 26 juin, aux États-Unis, Margaret Doughty, expatriée britannique de 64 ans, se verra octroyer la citoyenneté américaine après près d’un mois de lutte acharnée contre les services de l’immigration. Athée, Doughty a pourtant dû se convertir, au risque de voir son éventuelle naturalisation disparaître. Immersion au pays de la liberté et de la démocratie.


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Lorsque Margaret Doughty est arrivée à Palacios (Texas) de sa petite ville anglaise de Tatsfield il y a trente ans, elle a apporté avec elle ses valeurs, ses principes, que jamais elle n’avait l’intention de dévoyer. Elle rejette catégoriquement le port d’armes autorisé par le deuxième amendement de la Constitution américaine et, comme pour appuyer sa nuisible différence, revendique son athéisme. Aux grands maux les grands remèdes. Si bien que le 7 juin dernier, quand elle remplit un dossier de candidature pour l’obtention de la nationalité américaine, le Service de la Citoyenneté et de l’Immigration (USCIS) lui ordonne de rejoindre une communauté religieuse avant le 21 juin. Le cas échéant, ses chances de devenir américaine s’envoleront.

Seulement, l’American Humanist Association, suivi du Freedom from Religion Foundation, dénonce, dans une lettre adressée à l’USCIS, le caractère « illégal et anticonstitutionnel » de la requête gouvernementale. Le site Daily Kos a même lancé une pétition intitulée « Ne pas nier la citoyenneté des athées ». Le verdict est sans appel : M. Doughty doit prouver que son aversion pour les armes est due à de solides principes religieux, non à de simples valeurs morales et éthiques.

L’intéressée se défend via Facebook, soulignant qu’il n’est « ni moral, ni éthique d’ôter la vie d’autrui », que ses « valeurs spirituelles ou religieuses lui imposent un devoir de conscience, celui de ne pas contribuer à l’effort de guerre en portant une arme. » Sachant toutefois combien le second amendement est un sujet épineux au regard des récents événements de Newtown et de Boston, M. Doughty ajoute, reprenant mot pour mot les termes du serment d’allégeance : « Je suis disposée à exécuter un travail d’intérêt national sous autorité civile et à accomplir mon service militaire non armée pour les États-Unis, si la loi l’exige. »

Pour les lobbies athées, le raisonnement est tout à fait valide. « Il est consternant de voir que l’USCIS ne veut pas admettre qu’une croyance non religieuse et profondément ancrée ne puisse faire office de candidature », rapporte Andrew L. Seidel, avocat-membre du Freedom from Religion Foundation. « Soit les autorités texanes sont incompétentes, soit elles discriminent volontairement les candidats laïcs à la naturalisation. », poursuit-il. Dans un État où, en 2012, plus de la moitié de la population était affiliée à une communauté religieuse, l’analyse ne paraît pas si absurde. Nombre d’Américains semblent décidément obstinés à vouloir oublier que depuis 1791, date de ratification de la Déclaration des Droits, religion et État sont séparés par le premier amendement. Néanmoins, paradoxe à l'américaine, cette religion qui leur est si chère n’est autre qu’une religion dite civile, définie par le sociologue américain Robert Bellah comme une force partagée par tous, délivrant un panel de valeurs servant au bien commun. Quand Barack Obama prête serment sur la bible de Lincoln ? Religion civile. On jure allégeance au drapeau américain « sous l’autorité d’un Dieu indivisible » ? Religion civile. Nous parlerons alors d’une religion non sectaire, non confessionnelle, ralliant tous les principes propres à toutes les religions.

La ferveur patriotique séculaire rassemblant tout citoyen américain est parfaitement compréhensible. Cependant, mieux vaut ne pas s’y méprendre. Ceux souffrant de bigoterie aiguë et de patriotisme malin pourraient se rappeler le cas d’Elliott Ashton Welsh qui, en 1970, avait été arrêté parce qu’à l’instar de Doughty, avait refusé de porter les armes quand le Universal Military Training and Service Act disposait que toute personne refusant de joindre les forces armées devait invoquer un être suprême. La Cour Suprême avait statué par la clause « Welsh v. United States » qu'il était en droit de contester le port d’armes et que l’acte en question était une pure violation du premier amendement.

Présidente de Literacy Powerline, organisation visant à augmenter le taux d’alphabétisation aux États-Unis, M. Doughty est une femme parfaitement intégrée à la société américaine. La naturalisation apparaît comme une suite logique. Son histoire a suscité bien des émois, provoquant un tollé général, constitué de défenseurs comme d’opposants. Sur le site Divided Under God.com, nombreux sont ceux qui se sont pris d’affection pour la vieille dame, comme Karen Oliver-Paull qui soulève que Doughty est « trop vieille pour servir dans l’armée ». Au contraire, James Lott argue qu’elle « doit être disposée à soutenir et à défendre les États-Unis et sa Constitution. » Se pose dès lors le problème de l’interprétation de la Constitution, opposant la « strict construction » à la « loose construction », autrement dit la notion d’un conservatisme judiciaire, la loi est ce qu’elle est, contre un libéralisme juridique acceptant les changements sociétaux et historiques.

Cette débâcle nationale a amené l’USCIS à retirer sa requête, notamment grâce à l’intervention du représentant républicain du Texas, Blake Farenthold. Ce dernier a adressé une lettre à Margaret Doughty, confirmant que sa candidature avait été acceptée et qu’elle serait finalement naturalisée mercredi 26 juin.

Vendredi 21 juin, Margaret Doughty a posté sur Facebook un message visant à remercier les diverses personnes et associations qui l’ont aidée à obtenir la nationalité américaine : « Avant le problème soulevé par ma demande de naturalisation, je ne connaissais que très peu l’influence des organisations nationales et des bloggeurs travaillant sur les questions d’immigration, de discrimination, de justice sociale et de paix, ainsi que sur les problèmes liés à l’objection de conscience et à la religion, sur le fait de porter des armes. […] C’est grâce à leur compréhension de la loi et de la Constitution, leur connaissance approfondie des droits des immigrants et leur soutien aux athées, agnostiques et libres penseurs, que l’USCIS a été forcé de capituler. Merci à tous ! » L’American Dream dans sa toute puissance.