Désarmer : pour un monde plus sûr ?

31 Mars 2016


En 2014, selon le SIPRI (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), les dépenses militaires mondiales s’élevaient à 1 776 milliards de dollars. Si ces dépenses sont considérées comme nécessaires face à l’émergence et au renforcement de nouveaux risques tels que le terrorisme, des voix s’élèvent de part et d’autre du globe pour dénoncer la prédominance du militaire sur les besoins humains. À l’approche des journées mondiales d’action sur le désarmement (du 5 au 18 avril 2016), Le Journal International se penche sur un mouvement proposant une approche pacifique des relations internationales. Mise en perspective avec le témoignage de Colin Archer, secrétaire général du Bureau international pour la paix (IPB).


Crédit : Muriel Epailly
« Le monde est surarmé, et la paix, sous-financée », c’est le constat établi par Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies. Avec des dépenses militaires mondiales s’élevant à 1 776 milliards de dollars en 2014, la Banque mondiale estime que seulement 5 % de ce budget serait nécessaire pour accomplir les huit objectifs du millénaire pour le développement, présentés par les Nations Unies. Pour cela, certains considèrent la nécessité d’un changement de mentalité, permettant de redéfinir les priorités au sein des budgets et dépenses des États. C’est sans doute là le défi même du désarmement, étant donné que le niveau de dépenses dépend fortement du niveau de menace perçu par un pays et ses habitants. Pour de nombreux experts, cette perception est fortement déterminée par une culture du militarisme, ancrée dans nos sociétés.

Dépenses militaires : une réduction nécessaire ?

« Afghanistan, Irak, Libye, Yémen, Syrie, Soudan… dans quel cas le militaire a-t-il amélioré les choses ? ». Pour Colin Archer, le constat est sans appel : l’usage du militaire est « ineffectif, provocant et contre-productif » et freine fortement le développement d’une culture de paix et – par conséquent – d’approches non-violentes de résolution et prévention des conflits.

Parallèlement, face à l’augmentation des risques tels que le changement climatique, la pauvreté et la multiplication du nombre de crises humanitaires, organisations internationales, non-gouvernementales mais aussi gouvernements appellent à une augmentation des budgets dédiés au développement. Toutefois, très peu parlent des ressources bloquées dans le budget militaire. Or, d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 1 % du budget militaire global pourrait permettre de répondre aux besoins humanitaires urgents actuels, estimés à 20 milliards de dollars.

« Je ne paye pas pour la guerre » « Guerre : pas avec mon argent, je refuse de payer » Action pour l’édition 2015 des GDAMS, New-York, Etats-Unis. Crédits : IPB
Or, comme le souligne l’IPB, ce transfert d’argent se heurte à de nombreux obstacles mis en place par « un manque de volonté politique ». Pour Colin Archer, plusieurs raisons expliquent cela : « un manque de leadership pour la paix ; une histoire et une culture du militarisme ainsi que du colonialisme » mais aussi le fait que les médias se concentrent principalement sur les « menaces, ennemis, terroristes (…) », ce qui mène à un important soutien de l'opinion publique envers les politiques de défense et le budget qui leur est alloué.

De ce fait, s’il est essentiel d’interpeller les politiques sur leurs priorités budgétaires, un travail de long terme semble nécessaire au niveau éducatif pour expliquer que le militaire n’est pas nécessairement gage de sécurité. Les défenseurs du désarmement sont globalement d’accord sur des usages légitimes du militaire, dans le cas de situations d’urgence et de maintien de la paix par exemple. Ils dénoncent en revanche son recours « excessif et contre-productif » dans des situations où les besoins vitaux des populations sont autres.

Pour Richard Jolly, professeur et chercheur à l’université d’études pour le développement de Sussex, la nature de l’insécurité a changé. Les menaces actuelles touchent directement la sécurité humaine, c’est-à-dire la vie des populations, mais aussi leur bien-être et les services sociaux auxquels ils ont accès. En ce sens, Richard Jolly estime que l’amélioration de la sécurité d’une population donnée ou d’un État ne peut s’effectuer pleinement que par le biais d’un développement économique, social et institutionnel, « plutôt que par les armes et les actions militaires ».

Étant en accord avec cet argument, Óscar Arias Sánchez, prix Nobel de la Paix, dénonce le grand nombre « d'États [comptant parmi] les plus pauvres [qui] fournissent des tanks et [toutes sortes] d’armes pour défendre leurs citoyens, qui sont beaucoup plus menacés par la malnutrition et autres maladies ».

Pour ces universitaires et intellectuels, la notion de sécurité doit être appréhendée plus globalement en se concentrant sur des menaces non seulement militaires, mais également médicales, institutionnelles, économiques, sociales et vitales inquiétant les individus.

La Journée mondiale d’action sur les dépenses militaires (GDAMS) : mobiliser le public, interpeller les politiques

Dans le but de sensibiliser le public et les politiques sur ce sujet, l’IPB a mis en place depuis maintenant 6 ans, la journée mondiale d’action sur les dépenses militaires. D’après l’organisation, si « des centaines d’organisations et des millions d’individus » sont en faveur du désarmement, un « effort sérieux » est nécessaire pour rendre ce mouvement « visible ».

Bannières de la campagne 2016. Crédits : IPB
Cet évènement coïncide annuellement avec la publication du rapport annuel sur les dépenses militaires globales de la SIPRI ainsi qu’avec le tax day aux États-Unis, qui permet aux citoyens américains de débattre de l’usage de leurs taxes. Le but est clair : créer un mouvement mondial pour appeler au transfert des fonds militaires au financement des « besoins humains ».

Depuis six ans, le mouvement est en expansion et chaque année un nombre croissant d’actions collaboratives voit le jour aux quatre coins du globe, touchant de nouveaux publics. Les activités sont diverses : campagnes sur les réseaux sociaux, rapports globaux et nationaux sur les dépenses militaires, flashmobs, conférences ou encore des campagnes selfie ayant pour but d’interpeller directement les politiques. Lors des deux dernières éditions, de nombreux citoyens ont fait circuler sur les réseaux sociaux leurs demandes de réallocation des budgets militaires grâce au hashtag #movethemoney (« Déplaçons l’argent »). Les désirs les plus partagés étant la lutte « contre le changement climatique », « un accès pour tous à l’éducation » ou encore « éradiquer la pauvreté ».

Si l’année précédente a été un succès non discutable avec 128 actions prenant place dans une vingtaine de pays, tous continents représentés, Colin Archer prédit une participation moindre pour cette sixième édition « en partie du fait d’une anxiété croissante du public en Occident à propos du terrorisme, de l’organisation État islamique ou encore de la Russie ».

Désarmer, pour quelles alternatives ?

D’après les supporters du mouvement, cinq principaux secteurs pourraient bénéficier d’une baisse des dépenses militaires : l’aide humanitaire, la construction et consolidation de la paix, les services publics, le développement durable et la lutte contre le changement climatique qui sont, comme le souligne Colin Archer, « tous absolument essentiels ».

Transférer les budgets publics n’est pas si simple, comme le souligne Johan Galtung, politologue norvégien, issu de l'école de pensée des « sciences de la paix » (peace studies). Trois principales difficultés sont observables. D’une part, ce n’est pas « évident, ni automatique » que les fonds enlevés au secteur militaire vont aboutir au désarmement ; ni que l’argent en tant que tel mène au développement. D’autre part, la relation entre désarmement et développement « doit être définie au niveau international ». Du fait que la grande majorité des dépenses militaires se fait dans les pays industrialisés – les États-Unis représentent à eux seuls 34 % des dépenses militaires globales –, un transfert de budget « mènera certainement à un réinvestissement dans les économies nationales plutôt qu’entre les pays ».

« Je planterai des arbres pour combattre le changement climatique » Action de l’édition 2015 des GDAMS à Nairobi, Kenya. Crédits : IPB
Pour Colin Archer, ces défis sont réels à plusieurs niveaux. D’une part, le désarmement en tant que tel a un coût certain à court-terme : destruction du matériel et des bases militaires, réinsertion des travailleurs, etc. Pour Lawrence Klein, économiste américain, les bénéfices économiques sur le long terme seraient positifs : « nous devons travailler pour la paix mondiale dans le but de promouvoir la prospérité économique ». D’autre part, comme le souligne Colin Archer, « une fois que l’argent est disponible, il peut être utilisé pour un large éventail d’objectifs », qui découlent d’un choix purement « politique ». C’est sur cet aspect que l’éducation des populations est un élément primordial pour les défenseurs du désarmement, pour une prise de conscience des besoins humains des générations actuelles et futures.

À ce niveau-là, le mouvement semble essuyer quelques échecs. Si les ressources allouées actuellement au secteur militaire pourraient être d’une grande aide à la lutte liée au changement climatique, cet aspect a été ignoré lors des négociations de la COP21 en décembre dernier. Pour Colin Archer, il n’y a « malheureusement pas de surprise que le mouvement ne gagne pas à tous les coups », considérant les défis auxquels il fait face et les « pauvres moyens financiers » dont il dispose.

Toutefois, pour lui, « les mots-clés sont "sur le long terme", insistant sur l’investissement majeur nécessaire de la part des organisations, leaders et populations, mais simplement verser de plus en plus de ressources dans le secteur militaire aggravera seulement les problèmes » avec le risque de rendre les relations internationales et la vie de nombreux individus encore plus chaotiques. C’est donc avec une motivation certaine, qu’il lance : « cette transformation prendra du temps, autant commencer à agir maintenant ! ».



Etudiante en Master Paix, Conflit et Développement (Espagne), passionnée de relations… En savoir plus sur cet auteur